J’aurais pu vous en parler… mais vous le savez déjà
©Ici Beyrouth

Quand on prépare un éditorial, on cogite beaucoup avant de trouver un «angle», comme on dit dans notre métier. Mais parfois, les angles sont tellement nombreux et se chevauchent qu’on finit par tourner dans un cercle (je sais, ce n’est pas très trigonométrique comme image).

J’aurais pu vous parler de la Syrie d’Ahmad el-Chareh. Vous savez, ces massacres tournants de la côte alaouite et chrétienne, aux régions druzes et peut-être bientôt du côté du Kurdistan qui se sait être le prochain sur la liste. À chaque fois la même réponse: «On va faire une enquête et les coupables seront châtiés.» Et puis, on passe à autre chose. À un autre cauchemar. Pourtant, sur les vidéos insoutenables qui circulent, on voit parfaitement les criminels et leurs uniformes officiels. N’importe quel enquêteur débutant trouverait l’identité de ces monstres en une heure. Mais non! Tout cela ressemble furieusement au Liban depuis cinquante ans. Une liste sans fin d’assassinats et de massacres. À chaque fois une enquête, mais chaque drame reste une énigme éternelle: ni coupable, ni vérité, ni justice. Juste un nouveau chapitre dans une encyclopédie de crimes impunis.

J’aurais pu vous parler du Hezbollah, qui nous explique depuis trente ans que ses armes sont «sacrées». Plus sacrées que la vie de ceux qui tombent sans raison pour les défendre. Intouchables, éternelles, inscrites au patrimoine mondial de l’hypocrisie.

J’aurais pu vous parler de ces six héros, six soldats morts dans l’explosion d’un dépôt d’armes du Hezbollah près de Tyr. Dépôt, parmi d’autres, supposés ne plus exister. 

J’aurais pu vous parler des camps palestiniens, où l’on est armé jusqu’aux dents, et où l’armée libanaise n’a pas même le droit de mettre une botte. Des poches de souveraineté étrangère plantées en plein cœur du pays, hors la loi, contrôlées par des bandes armées qui n’ont même pas daigné prendre acte de la décision historique de l’État libanais de désarmer toutes les milices du pays. 

J’aurais pu vous parler de l’Iran, qui se croit invité permanent dans notre cuisine nationale, ajoutant ses épices idéologiques ou sa ciguë dans chaque plat politique. Cette semaine encore, Ali Larijani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale, est venu donner des conseils que personne n’a demandés et vérifier que la marionnette bouge bien la tête au bon moment. Il a aussi assuré que son pays cherchait à protéger les intérêts du Liban. C’est très gentil, mais non! On a déjà donné. L’Iran guette, mais le Liban n’est plus sensible aux sirènes de Téhéran. 

J’aurais pu vous parler de notre électricité: la plus chère du monde, la plus rare aussi. On la paie au prix du caviar, mais on la consomme comme de l’oxygène sur Mars: par petites bouffées, entre deux coupures.

J’aurais pu vous parler des routes qui ressemblent à des cratères lunaires, de l’eau qui disparaît des robinets aux premiers rayons de soleil.

J’aurais pu… mais au fond, pourquoi? Ici, les problèmes ne se règlent pas. Ils se conservent. On les polit, on les transmet, comme d’antiques reliques. Et quand on croit en avoir fini avec l’un d’eux, on s’empresse d’en fabriquer de nouveaux.

Le Liban n’est pas un pays. C’est un musée vivant des catastrophes, avec entrée gratuite mais sortie payante. Ce week-end, on célèbre la Vierge Marie. Elle connaît le Liban pour être venue à Maghdouché attendre, dans la grotte la plus sainte du monde, que son Fils aille prêcher dans ce qui était à l’époque Sidon.

Si seulement j’osais lui demander de veiller sur ce pauvre pays… encore un peu.

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