A Beyrouth, les pénuries d'eau s'accentuent
Face à la pire sécheresse depuis des décennies et à des infrastructures vieillissantes, Beyrouth connaît une crise de l’eau aiguë : les puits se tarissent, les habitants dépendent des camions-citernes et le rationnement a été avancé de plusieurs mois, accentuant les difficultés pour les familles les plus vulnérables. ©JOSEPH EID / AFP

Avec des pluies au plus bas et des puits à sec, Beyrouth subit ses pires pénuries d’eau depuis des années, contraignant les habitants à s’approvisionner auprès de camions-citernes.

«Avant, l’eau de l’État arrivait un jour sur deux, maintenant c’est tous les trois jours», raconte Rima al-Sabaa, 50 ans, en rinçant la vaisselle avec précaution dans le quartier de Bourj el-Barajneh, au sud de Beyrouth. Le filet qui en sort est «mince».

Lorsque l’eau vient à manquer, sa famille doit en acheter auprès de camions-citernes -pompée dans des sources et puits privés-  pour plus de 5 dollars le remplissage. Une eau salée qui fait tout rouiller, précise-t-elle. Comme beaucoup de Libanais, Mme Sabaa recourt aussi à l’eau en bouteille pour boire.

«Où suis-je censée trouver l’argent ?», soupire-t-elle, dans un pays en crise économique prolongée, encore marqué par la récente guerre entre Israël et le Hezbollah.

Les pénuries ne sont pas nouvelles: selon le Plan national pour l’eau, à peine la moitié des habitants «dispose d’un accès régulier et suffisant aux services publics d’eau». Le stockage en surface, notamment via les barrages, reste insuffisant, et près de la moitié de l’eau du réseau public est perdue à cause de fuites ou de branchements illégaux.

Cette année, la situation est aggravée par une pluviométrie historiquement basse. La période 2024-2025 est «la pire des 80 dernières années» en termes de précipitations, affirme Mohamad Kanj, du département météorologique. Un rapport de la Banque mondiale avertit que «le changement climatique pourrait réduire de moitié l’eau disponible pendant la saison sèche d’ici 2040».

Rationnement 

Le ministre de l’Énergie et de l’Eau, Joe Saddi, a reconnu début août que «la situation est très difficile».

Dans le Grand Beyrouth, les pénuries se font sentir de manière inégale. Même en temps normal, les toits sont encombrés de grands réservoirs, les rues sillonnées de camions-citernes et la plupart des usagers du réseau délabré n’ont pas de compteurs.

Le mois dernier, le gouvernement a lancé une campagne pour encourager les économies d’eau, diffusant des images de sources et de lacs asséchés à travers le pays. À la station de pompage de Dbayeh, au nord de la capitale, l’eau ne fait que stagner là où elle aurait dû jaillir.

«Je suis ici depuis 33 ans et c’est la pire crise que nous ayons connue», constate Zouhair Azzi, employé de la station. Antoine Zoghbi, de l’Établissement des eaux de Beyrouth et du Mont-Liban, explique que le rationnement commence habituellement en octobre ou novembre. Mais cette année, il a démarré plusieurs mois plus tôt «parce qu’il nous manque 50% de la quantité d’eau» dans certaines sources. Dans certains puits, il a même commencé dès juin pour limiter le risque de surexploitation et d’intrusion d’eau de mer.

En 2020, la Banque mondiale avait annulé un prêt destiné à financer un barrage au sud de la capitale, après l’opposition d’écologistes qui contestent un projet inadéquat de nature à détruire une vallée riche en biodiversité.

Puits à sec 

Bilal Salhab, 45 ans, livre de l’eau avec un petit camion rouillé. La demande a explosé, observe-t-il, les familles passant commande plusieurs fois par semaine.

«La crise de l’eau est très grave», alerte-t-il, ajoutant qu’il peine à remplir son camion car les puits se sont asséchés ou sont devenus salés. Dans certaines zones, les puits complètent ou remplacent le réseau public, mais beaucoup sont aujourd’hui épuisés ou dégradés, laissant une eau impropre à la consommation.

Pour Nadim Farajalla, responsable du développement durable à l’Université libano-américaine, la ville a grandi en taille et en population depuis la guerre civile (1975-1990), mais les infrastructures hydrauliques n’ont pas suivi. De nombreux Libanais ont foré illégalement, parfois jusqu’aux réserves stratégiques d’eaux souterraines.

«Les aquifères côtiers souffrent d’intrusions d’eau de mer, parce que nous pompons beaucoup plus que ce qui est rechargé», avertit-il. Selon lui, le rationnement et les campagnes de sensibilisation auraient dû commencer plus tôt, car «nous savions tous que le manteau neigeux et les précipitations étaient vraiment en dessous de la moyenne».

Par Lisa Golden/AFP

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