À Kibera, un concours de beauté devient cri de révolte
Les finalistes féminines de Mister et Miss Kibera 2025, organisé à l’occasion de la Journée internationale de la jeunesse, se tiennent sur la scène principale dans leurs tenues de gala, dans l’enceinte d’une église du bidonville de Kibera, à Nairobi, le 12 août 2025. ©Luis TATO / AFP

Dans le plus grand bidonville du Kenya, Mister et Miss Kibera dépasse la simple esthétique. L’événement se transforme en tribune de protestation contre la violence, l’injustice sociale et l’oubli dont souffrent ses habitants.

La jeune femme, bouche scotchée, longue robe blanche maculée de taches rouge sang, défile combative sur le podium, arborant un message: «Stop aux violences sexistes». À Kibera, plus grand bidonville kényan, le concours de beauté est un cri de «protestation» pour ses candidats rarement écoutés au quotidien.
Sur le débardeur d'une autre participante, on lit «cessez de nous tuer», en référence aux manifestations de juin et juillet derniers contre le gouvernement au Kenya, réprimées dans le sang, durant lesquelles 65 contestataires sont morts.
Mister et Miss Kibera n'est « pas un concours de beauté » traditionnel, observe son fondateur Ben Ooko. Il met surtout en valeur «l'éclat et l'intelligence», poursuit-il depuis le parking d'une église où se tient l'évènement, à quelques encablures de l'immense bidonville.
Sur le podium, les candidats expliquent vouloir se battre pour la jeunesse, contre l'alcoolisme et la drogue, pour la liberté d'expression... dans un bidonville de centaines de milliers d'âmes où beaucoup vivent encore dans l'insalubrité, sans eau ni électricité, malgré des progrès ces dernières décennies.
«Beaucoup de gens ne voient rien de positif venant d'un bidonville», observe Ben Ooko. «Pourtant il y a des diamants cachés dans notre communauté qui ne demandent qu'à être découverts.».
Mister et Miss Kibera enseigne alors aux participants à s'exprimer et se mouvoir en public, mais aussi à croire en eux, explique-t-il.
Face au podium, des centaines de spectateurs, certains assis sur des chaises en plastique, d'autres dansant frénétiquement, encouragent leurs favoris. Derrière la scène, de nombreuses associations locales vendent sous un chapiteau les produits qui serviront à financer leurs actions.
Un stand propose de jolis sacs en cuir estampillés Rebirth of a Queen (Renaissance d'une reine, NDLR), nom d'un refuge pour femmes battues. Sa fondatrice, Pauline Akinyi, 30 ans, a participé en 2016 à Miss Kibera.
«C'était la première fois que je parlais des violences sexuelles que j'avais subies quand j'étais enfant, la première fois que je sortais de ma culpabilité», relate-t-elle. Mais aussi la première fois qu'elle marchait sur des chaussures à talons ou qu'une foule l'écoutait.

Si elle ne l'a pas emporté, Pauline Akinyi dit avoir appris grâce au concours «à avoir confiance en elle», mais aussi «à être une meneuse».
C'est «de la compétition qu'est née Rebirth of a Queen», assure-t-elle.
Kepha Ngito, 40 ans, a été élu Mister Kibera pour la première édition de la compétition qui mardi a soufflé sa 20e bougie.
«La beauté n'était pas le sujet parce qu'il n'y avait rien de beau» à Kibera, quartier alors considéré comme «criminel» où «un jeune arrivait difficilement à faire quoi que ce soit de positif», se souvient-il. Lui-même dit avoir participé au concours alors qu'il était sans domicile.
Mister et Miss Kibera est un cri de «protestation», affirme-t-il: «Nous voulons montrer au monde que nous avons notre propre définition de la beauté et cette définition, c'est la résilience.».
Après sa victoire, Kepha Ngito a obtenu une bourse d'études qui lui a permis de devenir consultant en développement. S'il ne vit plus à Kibera, il y travaille encore souvent et dénonce cet « environnement d’indignité», où plusieurs générations d'une même famille dorment encore dans une seule pièce.
Au terme d'une longue après-midi lors de laquelle les candidats défilent dans de multiples tenues, arrive le grand moment.
Rozelda Kim, 21 ans, laisse couler quelques larmes lorsqu'elle est couronnée. À l'AFP qui la questionne sur le sens de sa victoire, elle répond que celle-ci est avant tout «un devoir».
Miss Kibera 2025, qui débutera bientôt ses études d'infirmière, assure vouloir se servir de son année dans la lumière pour aider sa communauté à grandir. Et tranche: «Ce n'est pas à votre origine sociale de vous définir.».

Par Joris FIORITI / AFP

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