
Avec Mother, Teona Strugar Mitevska propose un portrait inattendu de Mère Teresa, incarnée par Noomi Rapace. Présenté à la Mostra de Venise, le film explore sept jours fondateurs dans la vie d’une femme prise entre doute, foi et engagement.
Qui était vraiment Mère Teresa? Avec Mother, la réalisatrice macédonienne Teona Strugar Mitevska s’empare de la légende pour montrer une femme, bien loin des clichés. Le film, projeté en première mondiale dans la section Orizzonti à la Mostra de Venise 2025, ne cherche pas à dresser une statue, il s’attache à sept jours décisifs, en 1948, qui ont changé à jamais la vie d’Agnes Gonxha Bojaxhiu, future Mère Teresa.
L’histoire commence dans le couvent de Loreto, à Kolkata (Calcutta). Teresa y vit en religieuse, partagée entre le confort du cloître et la misère qu’elle voit chaque jour à la porte. C’est alors qu’elle prend une décision radicale: quitter le couvent, affronter la pauvreté de la ville et fonder ce qui deviendra l’ordre des Missionnaires de la Charité. Pendant une semaine, seule dans Kolkata, elle fait l’expérience du doute, de la peur, de la fatigue, mais aussi d’une foi qui vacille et se renforce à la fois. C’est cette période que filme Mitevska, sans jamais simplifier le personnage.
Le choix de Noomi Rapace, actrice suédoise connue pour son intensité, donne au rôle une force nouvelle. Rapace incarne une Teresa fragile et déterminée, tourmentée par ses choix, souvent bouleversée, parfois dure ou silencieuse. La réalisatrice voulait éviter tout effet de «sainteté»: Teresa apparaît comme une femme réelle, qui doute, hésite, souffre et agit malgré tout. Rapace décrit son interprétation comme «punk rock», loin des images figées ou attendues.
Tourné en 2024 entre Bruxelles et Kolkata, le film ancre l’histoire dans des lieux emblématiques: Howrah Bridge, Kalighat, les ruelles animées de la ville, mais aussi le couvent de Loreto. Certaines scènes sont chargées d’émotion: un décor clé a même été détruit par un incendie juste après le tournage, ce qui donne au film une valeur de témoignage supplémentaire.
Sept jours qui changent tout
Le scénario, écrit par Mitevska, Goce Smilevski et Elma Tataragić, s’appuie sur des faits historiques mais ne cherche pas la reconstitution minutieuse. Il s’intéresse surtout à l’expérience humaine: la solitude, le choc de la ville, la confrontation à l’indifférence, l’effort d’inventer un chemin hors des règles établies. On suit Teresa, sans artifice, dans sa lutte pour comprendre et agir. Loin de la piété ou de la polémique, le film cherche à montrer la difficulté d’un engagement total: comment trouver sa place? Jusqu’où aller pour être fidèle à soi-même?
La section Orizzonti de la Mostra de Venise, dédiée aux œuvres nouvelles et originales, a choisi Mother pour ouvrir la compétition. C’est le troisième film de Mitevska présenté à Venise. La réalisatrice voit ce projet comme l’aboutissement d’un long parcours: «Il m’a fallu vingt-cinq ans pour arriver là où je suis aujourd’hui et réaliser Mother, un film qui me ressemble pleinement. Mère Teresa fut à la fois stricte et profondément maternelle.»
Mother est aussi le fruit d’une coproduction européenne et indienne: Belgique, Macédoine, Suède, Danemark, Inde. Ce travail d’équipe a permis d’offrir au film une ampleur visuelle et historique tout en conservant une grande proximité avec le personnage.
Le film s’inspire en partie d’une mini-série antérieure, Teresa and I (2015), mais va plus loin dans l’exploration des failles et des choix du personnage. Pas de miracles à l’écran, juste une femme prise dans ses contradictions, prête à se jeter dans l’inconnu au nom de sa foi et de sa compassion. Le film montre aussi la naissance des Missionnaires de la Charité, dans le secret, la solitude et l’incompréhension, avant que la notoriété ne fasse de Teresa une figure mondiale.
Avec Mother, Teona Strugar Mitevska rappelle que toute légende est d’abord une histoire de courage et d’incertitude. En rendant à Mère Teresa son humanité, le film invite à regarder autrement une femme qui, loin d’être une sainte dès le départ, fut surtout une chercheuse de sens, une combattante du quotidien. À Venise, ce portrait nuancé donne à voir la complexité d’une existence, entre lumière et fragilité.
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