
À partir du 1er septembre 2025, l’Union européenne et la Suisse interdiront les vernis à ongles semi-permanents contenant du TPO, désormais classé cancérigène. Un bouleversement qui secoue le secteur de l’esthétique en Europe… mais laisse le Liban, où la réglementation fait défaut, face à ses propres risques.
Depuis plusieurs années, les vernis à ongles semi-permanents séduisent une clientèle de plus en plus nombreuse, portée par la promesse d’ongles brillants, résistants et impeccables pendant plusieurs semaines. Mais sous la lumière des lampes UV des instituts de beauté, une petite révolution s’annonce. Dès le 1er septembre 2025, la Suisse et toute l’Union européenne interdiront la commercialisation et l’utilisation de ces vernis lorsqu’ils contiennent du TPO (Trimethylbenzoyl Diphenylphosphine Oxide), un additif aujourd’hui classé comme substance cancérigène présumée.
Le TPO n’était, jusqu’à récemment, connu que des chimistes et des professionnels de la beauté. Ce photoinitiateur a pourtant joué un rôle clé dans la popularisation des vernis semi-permanents: il permettait un séchage ultra-rapide et une fixation durable sous lampe UV ou LED. C’était, en somme, l’allié invisible de la manucure moderne. Mais cet avantage technologique cache une face sombre: des études récentes, menées notamment par le Comité scientifique pour la sécurité des consommateurs (SCCS), ont mis en lumière les risques de toxicité pour la reproduction et le potentiel cancérigène de la molécule.
Dans la foulée, le TPO a été classé dans la catégorie CMR 1B (cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction), un classement qui implique automatiquement son interdiction dans les produits cosmétiques en Europe, conformément au règlement (CE) n° 1223/2009. En Suisse, pays souvent aligné sur les normes européennes, la mesure sera appliquée à la même date.
Salons en alerte, stocks à la poubelle
La décision des autorités de protection des consommateurs est d’abord motivée par un impératif de santé publique. «Il n’est plus acceptable qu’un produit de beauté puisse exposer, même faiblement, les clientes ou les professionnels à des risques graves», tranche une experte de la DGCCRF en France. Si le risque pour l’utilisatrice occasionnelle reste faible, la répétition des expositions, notamment chez les professionnelles, pose question. L’interdiction du TPO s’inscrit ainsi dans une logique de précaution accrue, dans un contexte où la demande de transparence et de sécurité ne cesse de croître.
Mais ce tournant réglementaire inquiète un secteur déjà soumis à de fortes pressions économiques. Les salons de manucure, petits commerces ou franchises, devront faire le tri dans leurs stocks et souvent jeter à la poubelle des centaines de flacons, sans compensation. Certaines professionnelles redoutent aussi une réduction drastique du choix des couleurs disponibles: «Avec le TPO, on avait accès à plus de 1.500 teintes; demain, il n’en restera qu’une cinquantaine tant que les laboratoires n’auront pas trouvé d’alternative», confie la gérante d’un salon genevois. Pour les fabricants, la réforme exige des investissements massifs dans la recherche et la reformulation, dans un marché ultra-concurrentiel.
En Suisse, l’entrée en vigueur de l’interdiction suscite de vives réactions parmi les professionnels de la manucure. Nina Gasperin, propriétaire d’un salon à Kriens, déplore de devoir éliminer «des milliers de francs» de produits encore neufs dans des déchets spéciaux. Comme beaucoup, elle regrette le manque de transition laissé par les autorités: «Nous avons été informées trop tard, il n’est pas possible d’écouler nos stocks à temps.» Du côté des instances officielles, l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires rappelle que la réglementation s’aligne automatiquement sur celle de l’Union européenne, et qu’il revient aux professionnels de s’adapter en anticipant les évolutions du marché. Résultat: de nombreux salons suisses se retrouvent à la veille d’une rentrée sous tension, avec une palette de couleurs réduite et des pertes financières importantes.
Faut-il pour autant renoncer à la manucure longue durée? Pas nécessairement. L’industrie cosmétique, habituée à jongler avec des normes de plus en plus strictes, a déjà commencé à s’adapter. De nombreux laboratoires planchent sur des alternatives au TPO, à commencer par le TPO-L, un dérivé jugé moins nocif et autorisé jusqu’à nouvel ordre. D’autres photoinitiateurs, moins performants mais plus sûrs, sont également à l’étude. Certaines grandes marques, comme Peggy Sage, annoncent déjà des gammes «TPO-free», tout en mettant en garde leurs clientes: la palette de couleurs et la tenue pourraient s’en trouver limitées.
Ce changement, s’il réduit temporairement l’offre et la rentabilité du secteur, ouvre aussi la porte à une réflexion plus large sur la sécurité des produits de beauté. Car le TPO n’est pas la première – ni la dernière – substance à faire l’objet d’une telle réévaluation. Cette décision rappelle l’importance de la vigilance scientifique et du principe de précaution, dans un secteur où l’innovation va souvent plus vite que l’évaluation des risques à long terme.
Et le Liban face à cette interdiction?
Reste à savoir, toutefois, ce qu’il adviendra dans des pays comme le Liban, où la pratique des vernis semi-permanents est plus que courante, mais où la réglementation sur les cosmétiques est aux abonnés absents. Les clientes et les professionnelles resteront-elles exposées à un ingrédient jugé trop risqué en Europe? Le marché local, largement ouvert aux importations et souvent peu contrôlé, pose la question de la sécurité à deux vitesses, entre exigences européennes et laissez-faire libanais.
En attendant, si votre institut propose encore des vernis semi-permanents à base de TPO, sachez qu’il ne vous reste plus que quelques mois pour en profiter… ou passer à des alternatives plus sûres. La beauté, décidément, n’a jamais été aussi technique, ni aussi réglementée.
Commentaires