Les chiites et la politique des impasses délibérées
©Ici Beyrouth

Le débat creux qui se déroule au Liban autour du désarmement du Hezbollah est non seulement inopportun mais aporétique. La question est réduite à sa dimension militaire alors que l’enjeu est éminemment politique, ce qui révèle la gravité de la fracture libanaise. La question du désarmement à la suite de la défaite du Hezbollah est un enjeu de politique interne instrumentalisé à des fins politiques hautement affichées par les mouvances qui dominent la scène politique chiite. Lorsque le duo chiite conditionne la remise des armes à une refonte pseudo-constitutionnelle, on se demande en quoi cela pourrait impacter les différends géostratégiques avec l’État d’Israël.

La réponse directe est que la prise du pouvoir au Liban est le passage obligé vers la guerre ouverte avec Israël. Rien de vraiment neuf dans l’histoire récente du pays avec les déclarations d’Abou Iyad «la route vers Jérusalem passe par Jounieh», et la devise du Hezbollah stipulant le lien indéfectible entre «armée, peuple et résistance» et les alliances putschistes qui se sont nouées tout au long des six décennies. Nous ne sommes plus dans l’accidentel, nous sommes face à un paradigme bien établi qui dévalorise l’existence même de l’État libanais et le renvoie à sa fonction supplétive de plateforme opérationnelle instrumentée par les politiques de puissance régionale.

Il est essentiel de noter que le Liban, dans la vision des nationalistes arabes d’antan, des marxistes et des islamistes toutes variantes comprises, n’a pas de stature étatique propre et par voie de conséquence contraignante. De toute façon, ces idéologies et leurs stratégies subséquentes font fi des considérations d’État de droit, de souveraineté nationale et de procédures constitutionnelles. Ces notions n’ont aucune pertinence sur le plan conceptuel et pas de résonance politique ou civique, nous avons affaire à des dissonances cognitives. Il suffit de récapituler la rhétorique des soixante dernières années pour s’en rendre compte. Le travail de sape politique à coup de hache et de dévalorisation systématique des institutions politiques a détruit les fondements même du projet national libanais et ses modulations statutaires et politiques.

La banalité et le caractère intentionnellement faussaire des débats en cours contribuent à la mystification pérenne qui maintient la dualité entre le pays réel et la fiction étatique dont on se sert momentanément avant d’achever son élimination en fin de parcours. D’ailleurs, les protagonistes n’ont jamais fait mystère de leurs intentions tant d’un point de vue idéologique que sur les plans politique et stratégique. Ce n’est pas un hasard que leurs politiques subversives aient commencé par une remise en question de l’historiographie libanaise et ses incidences sur la légitimité nationale du pays et de sa complexion plurielle.

Il suffit de récapituler la rhétorique chiite en cours sur le Liban et les maronites, nommément, pour se rendre à l’évidence des visées de cette politique de subversion. Rien d’inédit, il s’agit d’une réédition d’énoncés et de pratiques qui n’ont jamais eu de cesse. La question qui se pose, à l’heure actuelle, est comment faudrait-il venir à bout d’une telle stratégie alors que la possibilité même du dialogue est subvertie. On est dans le mensonge, l’agression éthique et l’usage décomplexé de la violence.

Cet état de fait est de nature à remettre en cause l’existence du Liban et la légitimité de son État national. Le fait de vouloir s’imposer en interlocuteur à l’État relève d’une imposture constitutionnelle qui voudrait, au nom de stipulations idéologiques, neutraliser les énoncés de l’État de droit et ses encadrements institutionnels. Les mouvances chiites veulent imposer leur arbitraire comme source réglementaire au mépris des sources du droit constitutionnel dans sa double mouture (1926, 1989) et de la métanarrativité du pacte national de 1943. Mis à part le fait que les politiques en cours ignorent délibérément les mandats internationaux qui ont été dûment contresignés par N. Berry et entérinés par le Hezbollah. Ce qui prouve que nous sommes dans la manœuvre dilatoire et le mensonge.

La question du désarmement du Hezbollah soulève la question de l’extraterritorialité politique et militaire dont se sont recommandées les politiques de subversion des soixante dernières années. Ces mouvances putschistes ont contesté la légitimité notionnelle et opérationnelle des institutions libanaises. Ils s’y sont opposés en concurrents et en porteurs d’une version alternative qui contredit le récit national libanais et les choix de démocratie libérale qui lui sont rattachés.

Le refus du désarmement est le revers d’une politique de domination franche et sans concessions. Le Hezbollah est le fer de lance de la stratégie des «plateformes opérationnelles intégrées» mise au point par Qassem Suleimani et son coordonnateur au niveau proche-oriental. La déclaration de guerre faite au lendemain du 7 octobre par le Hezbollah et sa défaite conséquente relèvent d’un registre qui n’est aucunement lié à l’État libanais.

En tentant de déjouer la concertation internationale et le mandat de désarmement, il se pose en saboteur et estime restituer le statu quo ante. Il exécute en fait le mandat iranien et met en œuvre une contre-stratégie dont les supports défaillants sont irrécupérables. L’État est mis à l'épreuve et son incapacité à pouvoir reprendre ses prérogatives souverainistes risque d’être fatale pour l’avenir du pays. Malheureusement ce débat ne s’effectue pas au Parlement et confirme une fois de plus la facticité des médiations institutionnelles et la prévalence d’une logique de rapports de force.

La question lancinante qui se pose à l'heure actuelle est celle de la durée: jusqu'à quand l’État libanais peut-il s'abriter derrière son impuissance alors que les impératifs géostratégiques et de sécurité deviennent incontournables? Le temps se fait court et l'inaction peut s'avérer fatale. Les chiites ne peuvent plus se contenter de politiques obstructionnistes, de pétitions idéologiques et de conduites d’évasion mâtinées d’un pathos de «pitié auto-belligérante».

Il est temps d’arrêter des choix et d’avancer, de quitter les sentiers battus qui ont mené au désastre.

 

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