Conseil des ministres: l’épreuve de vérité sur le désarmement
©Ici Beyrouth

Moins de vingt-quatre heures nous séparent d’une journée à laquelle les observateurs ont attribué une multitude de scénarios. Demain, vendredi 5 septembre, le Conseil des ministres se réunit pour discuter du plan d’action proposé par l’armée libanaise pour le désarmement des milices.

Si les scénarios envisageables se multiplient, trois certitudes s’imposent à la veille de la séance: celle de la tenue de cette dernière, celle de la participation des ministres du tandem chiite au conseil des ministres et celle de la soumission du plan de l’armée au gouvernement.

Or, autour de ces constantes gravitent des incertitudes lourdes, qui pourraient mettre en péril la capacité du Liban à imposer sa souveraineté, à se redresser et à se repositionner sur la scène politique régionale et internationale.

Un ordre du jour élargi pour ménager le tandem

Initialement convoqué pour examiner un seul point, à savoir le plan de l’armée visant au désarmement de toutes les milices et au rétablissement du monopole des armes par l’État, le gouvernement devra examiner quatre autres éléments qui sont venus s’ajouter mercredi à l’ordre du jour, un prétexte pour «pousser» en faveur de la participation des ministres du tandem chiite à la séance.

On rappelle, dans ce contexte, que la réunion devait être consacrée exclusivement au plan de l’armée, élaboré dans la foulée des décisions prises les 5 et 7 août dernier. On rappelle qu’en ces dates, le gouvernement libanais avait adopté le principe du monopole étatique des armes et s’était prononcé en faveur des onze objectifs de la feuille de route américaine pour le Liban.

Rejetant l’idée d’une séance «monothématique», le président du Parlement, Nabih Berry, et les ministres proches du mouvement Amal et du Hezbollah, ont exigé que d’autres points y figurent, dont notamment le versement des allocations financières aux militaires pour le mois d’août. Après avoir résisté, le Premier ministre, Nawaf Salam, a fini par céder, sous l’insistance du président de la République, Joseph Aoun. Ainsi, quatre dossiers annexes ont-ils été ajoutés, censés ne pas dépasser vingt minutes de débats, comme confié par des sources ministérielles à Ici Beyrouth. «Un geste présenté comme une «faveur» de la part de M. Salam au tandem chiite, dans l’espoir de maintenir leur participation», souligne-t-on de mêmes sources.

Parce que «si la séance n’a pas lieu, ce serait un coup dur pour le gouvernement», indique un responsable politique à Ici Beyrouth.

Ayant donc consenti à cet élargissement, le chef du cabinet reste quand bien même inflexible sur l’essentiel: le plan de l’armée doit être soumis et débattu. «Le Premier ministre n’a aucun problème à discuter d’autres points, mais il refuse que cela vide la réunion de son objectif central: tracer une feuille de route claire pour le désarmement», précise-t-on de source susmentionnée.

Du côté chiite, la stratégie semble claire: assister à la séance, mais sans cautionner un plan qu’ils rejettent par principe. Plusieurs scénarios sont, dès lors, envisagés: rester sans participer au débat, se retirer dès que le commandant en chef de l’armée, Rodolphe Haykal, commence la présentation du plan ou encore intervenir pour bloquer un vote.

Les modalités du plan de l’armée

Selon une source bien informée, le document préparé par l’état-major ne prévoirait ni invasion de régions sensibles ni confrontation directe avec le Hezbollah. Son esprit est autre: «À partir du jour où il est entériné, toute arme visible ou connue de l’armée devient illégale et celle-ci a mandat de mettre la main dessus», précise-t-on à Ici Beyrouth. Et de poursuivre: «Les permis de port d’armes, aujourd’hui largement distribués, seraient annulés, à l’exception de cas strictement encadrés.»

La mise en œuvre pourrait se faire, selon une source sécuritaire, par étapes géographiques: Beyrouth, le Mont-Liban, le Nord, la Békaa et Baalbeck-Hermel. Progressivement, des zones «libérées» d’armes illégales seraient proclamées. En parallèle, les États-Unis tenteraient d’obtenir des concessions israéliennes, suivant le principe du donnant-donnant, inscrit dans la feuille de route américaine présentée par l’envoyé spécial Tom Barrack.

La crainte du blocage

Reste une crainte selon la source ministérielle précitée: celle d’un retrait des ministres chiites, qui pourrait pousser le président de la République, Joseph Aoun, à lever la séance au nom du respect du pacte national. Une éventualité très peu probable, mais qui plane comme une épée de Damoclès. «Un tel scénario apparaîtrait comme un recul par rapport aux décisions fermes des 5 et 7 août derniers et risquerait d’attiser la colère de Washington et Riyad, qui attendent un engagement concret de la part de Beyrouth», affirme-t-on.

Autre enjeu crucial: la question du calendrier. Sans échéances précises, le plan resterait théorique, signale le journaliste et politologue, Ali Hamadé. Or, le gouvernement a déjà fixé au 31 décembre 2025 la date butoir pour l’achèvement du processus. Encore faut-il s’y tenir.

Par ailleurs, l’actualité régionale s’invite brutalement dans les débats. Le ministre du Travail, Mohammad Haïdar, proche du Hezbollah, a dénoncé jeudi, sur son compte X, l’incongruité de discuter du désarmement alors que «l’ennemi israélien continue de tuer des civils». Les ministres d’Amal et du Hezbollah devraient d’ailleurs ouvrir, selon certaines informations, la réunion du vendredi par une déclaration condamnant l’escalade israélienne et reprochant à l’État son silence.

Une posture qui ne fait que refléter la fragilité de l’équilibre intérieur. En contestant ainsi la capacité de l’armée à protéger le pays, c’est l’ensemble du processus de désarmement qui se retrouve fragilisé, offrant aux Israéliens l’argument idéal pour maintenir leur présence, et, à l’intérieur, risquant de réveiller les vieux démons des milices communautaires.

Le Conseil des ministres de vendredi se présente donc comme un moment de vérité. S’il parvient à approuver le plan de l’armée avec un calendrier crédible, le Liban pourrait franchir un pas décisif vers la restauration de son autorité souveraine. Toutefois, si les blocages l’emportent, le pays risque de s’enfoncer dans une paralysie institutionnelle lourde de conséquences, alors même que les pressions internationales se font plus pressantes et que la région reste à la merci de nouvelles déflagrations.

 

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