
La «céphalée du froid» ou «brain freeze» saisit parfois à la première bouchée de glace ou gorgée de boisson glacée. Ce phénomène bref mais intense révèle, derrière l’anecdote, des mécanismes fascinants sur la sensibilité du cerveau au froid.
C’est une expérience que beaucoup ont connue, souvent à la terrasse d’un café en été ou devant une coupe de glace partagée entre amis. On croque, on avale trop vite… et soudain, une douleur vive traverse le front, un pic fulgurant qui force à s’arrêter net: le fameux brain freeze, ou «céphalée du froid». En anglais comme en français, le terme évoque une sensation presque absurde, comme si notre cerveau lui-même gelait. Pourtant, ce phénomène bien réel intrigue les scientifiques depuis des décennies.
Mais que se passe-t-il réellement dans notre tête lors de cette micro-crise? Contrairement à ce que laisse croire la sensation, le cerveau ne se congèle pas vraiment. Tout commence dans la bouche, précisément au niveau du palais. Lorsque l’on ingère trop rapidement un aliment ou une boisson très froide, le toit de la bouche, riche en vaisseaux sanguins et en terminaisons nerveuses, est soudain soumis à un changement brutal de température. Ce choc thermique provoque d’abord une vasoconstriction – c’est-à-dire que les vaisseaux se resserrent –, puis une vasodilatation réflexe. Cette réaction vise à protéger les tissus et à restaurer la température normale, mais elle déclenche aussi l’activation de nerfs sensibles à la douleur, principalement le nerf trijumeau, qui irrigue la face.
Le cerveau reçoit alors un signal d’alerte: quelque chose de «froid extrême» vient de survenir dans la cavité buccale. Mais, par un curieux mécanisme appelé douleur référée, il interprète parfois ce message comme provenant du front ou du crâne, plutôt que de la bouche. Voilà pourquoi la sensation d’un glaçon avalé peut se traduire par une douleur localisée au niveau du front, juste derrière les yeux.
Une énigme neurologique qui éclaire la migraine
Les chercheurs se sont penchés sur ce phénomène anodin… mais pas si anodin. En effet, le brain freeze partage plusieurs points communs avec la migraine. Des études récentes, menées à l’aide de techniques d’imagerie comme le Doppler transcrânien, ont montré qu’en cas de céphalée du froid, une artère clé du cerveau – l’artère cérébrale antérieure – voit soudain son flux sanguin augmenter puis diminuer rapidement. Ce brusque afflux de sang, suivi d’une contraction du vaisseau, coïncide précisément avec la sensation de douleur. Pour certains neurologues, il s’agirait d’un mécanisme de défense: le cerveau, exposé à une température plus basse, ordonne un apport sanguin accru pour se réchauffer au plus vite. Mais lorsque le flux se normalise, la douleur disparaît aussi subitement qu’elle était venue.
Autre observation intrigante, les personnes migraineuses semblent plus sujettes à ces céphalées du froid. Peut-être parce que leur système nerveux, et en particulier le nerf trijumeau, est plus sensible aux variations brutales, qu’elles soient thermiques ou vasculaires. Chez l’enfant, la fréquence du brain freeze est aussi plus élevée, probablement parce qu’il est courant de manger ou boire très vite des aliments glacés, mais aussi parce que leur palais est plus fin et plus sensible.
La douleur, si vive soit-elle, reste heureusement très brève. Elle survient généralement 10 à 30 secondes après l’ingestion de l’aliment froid et ne dure qu’une à deux minutes au maximum. Quelques astuces simples permettent d’écourter l’épisode: réchauffer le palais avec la langue ou le pouce, boire une gorgée d’eau à température ambiante, ou simplement patienter. Prévenir la céphalée du froid consiste essentiellement à déguster glaces et boissons glacées plus lentement, pour éviter le choc thermique soudain.
Si la céphalée du froid ne présente aucun danger, elle offre un petit aperçu des liens subtils entre notre cerveau, nos nerfs et nos vaisseaux sanguins. Derrière ce réflexe un peu farceur de notre organisme, les chercheurs espèrent aussi mieux comprendre certaines migraines, et peut-être un jour trouver de nouveaux traitements.
En attendant, la prochaine fois qu’un sorbet vous glace le front, vous saurez que ce n’est pas votre cerveau qui gèle, mais un incroyable jeu de nerfs et de vaisseaux et qu’il suffit d’un peu de patience – ou d’une gorgée d’eau tiède – pour retrouver l’été.
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