
Elle promet efficacité, rapidité et gains de productivité. Mais derrière l’enthousiasme, l’intelligence artificielle (IA) soulève une inquiétude planétaire: celle de fragiliser des millions d’emplois. Du siège de Salesforce aux entrepôts d’Amazon, des bureaux de New York aux marchés émergents, la question est la même: l’IA est-elle une bombe sociale à retardement?
Une menace diffuse mais mondiale
Le Fonds monétaire international (FMI) estime qu’environ 40% des emplois dans le monde pourraient être exposés à l’automatisation, un chiffre qui grimpe à 60% dans les économies avancées. Dans les pays émergents, l’impact serait plus limité (26%), mais il toucherait directement les secteurs qui servent souvent de tremplin économique, comme les centres d’appel, la saisie de données ou la logistique, déjà concurrencés par les machines.
Selon une étude de Goldman Sachs, jusqu’à 300 millions de postes pourraient être affectés dans les prochaines années à l’échelle planétaire, avec une hausse temporaire du chômage estimée à 0,5 point aux États-Unis et en Europe.
Les signaux d’alerte: licenciements et restructurations
En 2025, plusieurs multinationales ont déjà utilisé l’IA pour réduire leurs effectifs. Salesforce a annoncé la suppression de 4.000 postes dans le support client, soit près de la moitié du département, au profit de solutions automatisées. Amazon, de son côté, prévoit une réduction progressive de ses équipes administratives et d’entrepôt grâce à l’automatisation et aux robots IA.
Au total, plus de 10.000 emplois ont été supprimés aux États-Unis depuis le début de l’année, directement attribués à l’IA. Une goutte d’eau au regard des millions de postes potentiellement menacés, mais un signe que la machine est lancée.
Jeunes diplômés: la génération sacrifiée?
Ce sont souvent les emplois d’entrée de carrière qui disparaissent en premier. Aux États-Unis, le chômage des jeunes diplômés (22–27 ans) a grimpé à 5,8% en 2025, contre 4,2% pour la moyenne nationale. En Europe, les tendances sont similaires: les stages et premiers contrats en analyse de données, en rédaction ou en support administratif s’évaporent, remplacés par ChatGPT et ses équivalents.
Cette fragilisation inquiète: elle prive une génération entière de son sas d’entrée sur le marché du travail, avec un risque durable de déclassement.
Un risque de polarisation mondiale
Au-delà des chiffres, l’IA accentue une fracture déjà visible.
D’un côté, les emplois hautement qualifiés (ingénieurs IA, spécialistes en cybersécurité, analystes éthiques) connaissent une envolée des salaires. PwC a calculé, en 2025, une prime moyenne de 56% pour les métiers directement liés à l’IA.
De l’autre, des millions de postes intermédiaires comme les comptables, juristes juniors ou assistants administratifs s’érodent progressivement, piégeant les classes moyennes.
Le Forum économique mondial (WEF) prévoit un avenir ambivalent: 92 millions de postes supprimés d’ici à 2030, mais aussi 170 millions créés, avec un solde positif de 78 millions. Un chiffre rassurant sur le papier, mais qui masque un défi colossal: former et qualifier des millions de travailleurs dans un laps de temps réduit.
Une révolution mal préparée?
Pour l’instant, l’effet de l’IA reste contenu. La Fed de New York note que seulement 1% des entreprises de services ont procédé à des licenciements liés à l’IA, tandis que 11% en ont même embauché davantage grâce à elle. Mais ces chiffres pourraient n’être qu’un répit avant une vague plus massive.
La vraie question est ailleurs: les États et les entreprises investissent-ils assez dans la formation et la requalification? L’Organisation internationale du travail (OIT) estime que 50% des travailleurs dans le monde devront acquérir de nouvelles compétences d’ici à dix ans. Or, les programmes de formation actuels restent encore marginaux au regard de l’ampleur du défi.
Une destruction créatrice… mais pour qui?
Joseph Schumpeter voyait dans l’innovation une force de «destruction créatrice»: certains métiers disparaissent, mais d’autres, souvent plus riches et productifs, émergent. L’IA ne fait pas exception.
Le risque, cette fois, est que la destruction se produise plus vite que la création. Avec une adoption galopante (40% des entreprises de services et 26% des industriels utilisent déjà l’IA aux États-Unis), la course est lancée. Reste à savoir si les travailleurs, les institutions et les gouvernements pourront suivre le rythme.
En 2025, une chose est certaine: l’IA est moins un cataclysme instantané qu’un séisme à répliques successives. Et c’est la manière dont nous gérerons ces secousses qui dira si elle sera une promesse ou une menace.
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