Assassinat Nasrallah: à défaut de Jérusalem, le rocher de Raouché…
©ANWAR AMRO/AFP via Getty Images

Nul ne pouvait y songer un seul instant… Il ne venait à l’esprit de personne à l’époque qu’une opération d’une telle ampleur était possible ou même envisageable. Les impressionnants moyens mis en œuvre pour l’assassinat il y a un an, jour pour jour, de Hassan Nasrallah ont provoqué une onde de choc non seulement dans les rangs du parti pro-iranien mais également dans divers milieux politiques et populaires bien au-delà des frontières nationales. Cet assassinat a sans conteste représenté le coup le plus dur assené à la formation chiite depuis sa création au début des années 1980, sous l’impulsion du Corps des Gardiens de la révolution islamique en Iran, qui s’était fortement implanté pour l’occasion dans la Békaa.

Hassan Nasrallah avait, à n’en point douter, un charisme hors norme. Il avait réussi à assumer le rôle de catalyseur d’une vaste mobilisation partisane et d’une cristallisation du courant obstructionniste, atteignant même, parfois, certaines factions dans cette partie du monde. Rien d’étonnant de ce fait que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, ait estimé récemment que l’assassinat de Nasrallah avait pratiquement brisé l’axe iranien dans la région et entraîné la chute du régime Assad.

Cette première commémoration de la mort de l’ancien chef du Hezbollah devrait inciter à engager une sérieuse réflexion critique sur la ligne de conduite de ce parti. Il serait instructif sur ce plan de rebondir sur une interview accordée il y a quelques jours à un confrère arabophone par l’ancien député Élias Atallah, qui fut pendant la guerre l’un des piliers du Parti communiste et, surtout, avec feu Georges Haoui, l’un des fondateurs de la «résistance nationale» laïque mise sur pied après l’opération israélienne de 1982. Mettant l’accent, en substance, sur l’importance de l’autocritique, Élias Atallah souligne notamment, en connaissance de cause, que la «résistance» est «un moyen et non une fin en soi», ou nullement une «marque déposée» ou une «identité permanente». L’ancien député établit une distinction entre «une résistance qui libère et qui par la suite s’éclipse» (au profit de l’État) et «la résistance qui transforme le port d’arme en une profession et qui prend le pays en otage». 

D’une certaine façon, Hassan Nasrallah a payé de sa vie le non-respect par son parti de ces principes clairvoyants avancés par Élias Atallah. À la suite du retrait israélien total du Liban en 2000, la «résistance» que le Hezb s’obstinait à incarner en exclusivité aurait dû s’éclipser et passer la main à l’État pour engager le pays sur la voie du développement, de la réconciliation et de la stabilité interne. Mais c’est sur une voie totalement opposée que s’est engagée la formation inféodée aux Pasdaran. Elle a d’abord provoqué le retour israélien au sud à deux reprises, en 2006 et en 2023. Elle a surtout transformé ce qu’elle qualifiait de «résistance» en un simple instrument de conquête du pouvoir sur le plan interne, et de renforcement de l’expansionnisme iranien hégémonique au niveau régional. 

Au lieu de suivre les conseils de feu l’imam Mohammed Mehdi Chamseddine – qui a exhorté dans ses mémoires les chiites à «ne pas avoir de projet propre à eux et à lutter tout en s’intégrant dans la société dans laquelle ils vivent» –, le Hezbollah a préféré jouer dans la cour des grands en se plaçant au service du régime des mollahs de Téhéran (wilayat el-faqih oblige…). Or celui qui désire jouer dans la cour des grands sans avoir réellement les moyens de sa politique, s’attire nécessairement des réactions à grande échelle – précisément – semblables à l’opération du 27 septembre 2024.

Les moyens surréalistes mobilisés pour l’assassinat de Nasrallah ainsi que la série de revers à caractère hautement stratégique subis par le parti pro-iranien en 2023 et 2024 sont la conséquence directe de ce que l’on pourrait qualifier d’absence de lucidité géopolitique. Comment ne pas évoquer le manque total de lucidité lorsque l’on se base sur l’idéologie, les beaux discours enflammés et les slogans creux pour combattre un adversaire dont l’écrasante suprématie technologique, militaire, économique ainsi qu’en matière de renseignements et d’intelligence artificielle ne peut plus se mesurer? 

Une telle cécité ne peut que déboucher sur l’attaque du 27 septembre 2024 et sur le désastre subi par le Hezb ces derniers mois. Et à défaut de pouvoir concrétiser sur le terrain le leitmotiv «sur la route de Jérusalem», lancé en octobre 2023, le Hezb en est réduit aujourd’hui à avoir pour suprême ambition de réaliser le grand «exploit» de projeter des images sur le rocher de Raouché, avec comme bonus gratifiant une atteinte caractérisée à l’autorité du Premier ministre et du gouvernement, dans le but évident de parfaire encore plus la déconstruction de l’État central.  

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