
Privés de tout, soumis à des bombardements incessants, les civils pris au piège des combats acharnés entre l'armée et les paramilitaires tentent de survivre dans des villes assiégées, coupées de tout secours, dans l'ouest du Soudan.
L'AFP a recueilli leurs témoignages à El Facher, la capitale du Darfour Nord, encerclée depuis près de 18 mois, et dans deux villes du Kordofan Sud, Kadugli et Dingli, assiégées depuis des mois.
Après plus de deux ans de guerre sanglante, l'armée régulière contrôle le nord, le centre et l’est du pays, tandis que les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), dominent l'ouest et certaines parties du sud.
Sous les bombes à el-Facher
«Les bombardements sont permanents. La plupart du temps, nous restons dans les abris que nous avons creusés devant nos maisons», confie Omar Adam, qui s'est réfugié dans cette ville après avoir fui le camp de déplacés Abou Chouk.
Depuis août, les FSR ont redoublé les tirs d'artillerie et les attaques de drones avec l'objectif de faire tomber la dernière capitale régionale encore tenue par l’armée pour asseoir leur contrôle du Darfour.
«Ici, il n’y a plus rien, même l'ambaz - une farine d'écorce d'arachide normalement destinée à l'alimentation des animaux - est devenu rare», témoigne Omar Adam.
«Même si nous décidons de partir, nous craignons que les milices ne nous attrapent, sans parler du coût exorbitant des trajets», explique-t-il.
Selon des images satellites analysées par le Humanitarian Research Lab (HLR) de l'Université Yale, el Facher est ceinturée par près de 68 kilomètres de remblais, avec pour seule issue un corridor de trois à quatre kilomètres.
«Nos stocks de médicaments sont presque vides. Même les instruments pour soigner les blessures et extraire les éclats d'obus sont devenus très difficiles à stériliser en raison du manque de désinfectant», témoigne un médecin joint par l'AFP à l'hôpital d'el Facher. Selon lui, le personnel médical en est réduit à «utiliser des tissus de moustiquaires pour bander les plaies».
«Il y a des cas de malnutrition chez les enfants et les femmes, ce qui augmente le taux de maladies et rend les traitements difficiles, car lorsque le corps est faible, sa résistance diminue», affirme le médecin sous couvert d'anonymat, en précisant ne pas avoir quitté son poste depuis trois mois.
«Nous dépendons de la cantine communautaire. Mais parfois, elle s’arrête. Alors nous ne mangeons pas. Quand l’un de mes enfants tombe malade, je ne peux rien faire. Le plus grand a cinq ans, le plus petit à peine un an», témoigne Halima Issa.
Cette mère de famille s'est réfugiée avec ses trois enfants dans un centre d’accueil, après la mort de son mari, tué dans une des frappes qui touchent la ville au quotidien.
La Coordination des comités de résistance a décrit samedi al Facher comme «une morgue à ciel ouvert», où les «obus tombent comme une pluie», laissant des maisons en ruine, des marchés «réduits en cendre», «des corps extraits des décombres sans noms ni visages». Le sac d’ambaz se vend deux millions de livres soudanaises (environ 2.800 euros), selon la même source.
Subir la faim dans le Kordofan-Sud
«Il y a des jours où nous ne mangeons rien, alors nous nous rabattons vers les plantes vertes disponibles, peu importe si elles sont nocives. L’essentiel est simplement de pouvoir calmer la faim», confie Hagar Gomaa, 28 ans, une habitante de Kadugli, la capitale régionale du Kordofan Sud.
«Chaque jour, nous voyons mourir des patients qu’il serait si simple de sauver en temps normal», témoigne Hassan Ahmed, bénévole au service pédiatrique. «Les médicaments essentiels pour sauver des vies sont totalement absents ici. Il n'y a plus rien».
Selon l'UNICEF, plus de 63.000 enfants souffrent de malnutrition aiguë dans le Kordofan-Sud.
La ville de Dilling, encerclée comme Kadugli par les FSR et leurs alliés du Mouvement populaire de libération du Soudan–Nord (SPLM-N), dirigé par Abdelaziz al-Hilu, est tout aussi exsangue.
«Chaque jour, les prix doublent. Les produits de première nécessité sont devenus scandaleusement chers, les gens ne peuvent plus suivre. Environ 200 à 300 personnes quittent quotidiennement la ville à la recherche de nourriture, d'eau et de soins», affirme Emgahed Moussa, un jeune de 22 ans qui se destinait à l'enseignement mais a dû interrompre ses études pour travailler dans un marché.
«Nous avons retrouvé sur les étals des biscuits destinés aux enfants. Les forces armées en ont pris une partie pour les revendre, c'est scandaleux. On ne s'en sort pas», s'indigne Al-Sadiq Issa, un bénévole secouriste de la cellule d'urgence locale. Comme les autres témoins joints par l'AFP, il assure que l’armée conserve dans ses entrepôts des cargaisons du Programme alimentaire mondial depuis deux ans, sans les distribuer.
Par Abdelmoneim ABU IDRIS ALI avec Nada ABOU EL AMAIM au Caire/AFP
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