Deux ans après le 7 octobre, Israël attend toujours sa vérité officielle
©John Wessels / AFP

Deux ans après l’attaque sanglante du Hamas contre le sud d’Israël, l’établissement d’une vérité officielle reste inachevé. Si l’armée israélienne et les services de sécurité ont reconnu un «échec total», aucune commission d’État, l’outil d’investigation le plus puissant du droit israélien, n’a encore vu le jour.

Cette absence entretient un climat d’incertitude et nourrit une fracture entre une opinion publique avide de transparence et un gouvernement soucieux de préserver ses marges de manœuvre.

Une commission toujours repoussée

Depuis le printemps 2025, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a rejeté, à plusieurs reprises, la création d’une commission indépendante, arguant que la priorité devait rester la poursuite de la guerre et le retour des otages.

L’opposition, les familles de victimes et de nombreux juristes estiment au contraire qu’un tel outil est indispensable pour établir les responsabilités. La procureure générale Gali Baharav-Miara a averti que plus le temps passait, plus l’enquête deviendrait difficile à mener.

Dans ce vide institutionnel, le contrôleur de l’État, Matanyahu Englman, a élargi son propre audit sur les défaillances du 7 octobre, examinant aussi bien la préparation du cabinet de sécurité que la défense de la frontière et la protection civile. Son initiative a provoqué une vive réaction de l’armée, qui a contesté sa compétence et dénoncé une «accélération» jugée inappropriée en temps de guerre.

L’aveu d’un échec militaire

Dès mars 2024, l’armée israélienne avait lancé des enquêtes internes par commandement. En février 2025, une synthèse a reconnu «un échec complet» de la mission fondamentale de protection des civils.

Le constat est accablant: une confiance excessive dans la barrière de Gaza, une conviction que le Hamas n’avait pas intérêt à déclencher une guerre d’envergure et une incapacité à distinguer entre le renseignement des intentions et celui des capacités.

Pourtant, des signaux d’alerte existaient. La veille de l’attaque, des observateurs de terrain avaient signalé une activité inhabituelle et l’activation massive de cartes SIM liées au Hamas. Ces indices furent interprétés comme un simple exercice militaire.

Le général Aharon Haliva, ancien chef du renseignement militaire, était en congé au moment des premières alertes, et les analyses des officiers subalternes ont été bloquées dans la chaîne de commandement. Sur le terrain, la division sud a été submergée dès les premières heures, le commandement désorganisé par le chaos et les renforts trop tardifs pour empêcher le massacre.

En janvier 2025, l’ancien chef d’état-major Herzi Halevi a démissionné, reconnaissant des «échecs terribles». Son successeur, le général Eyal Zamir, a promis une «transformation radicale du renseignement» et s’est engagé à ce que l’armée ne soit plus jamais «prise au dépourvu».

La responsabilité politique

Au-delà des défaillances opérationnelles, la responsabilité du gouvernement reste au centre du débat. Plusieurs médias israéliens, dont Haaretz et le Jerusalem Post, soulignent que l’exécutif tente de focaliser le débat sur des erreurs techniques plutôt que sur la chaîne de décision politique.

Des think tanks comme l’INSS à Tel-Aviv ou le CSIS à Washington rappellent, eux, que la surprise stratégique du 7 octobre ne peut être comprise sans examiner les arbitrages du cabinet de sécurité et du Premier ministre.

Une commission civile indépendante, initiée par des familles endeuillées, a rendu un rapport beaucoup plus sévère, accusant Benjamin Netanyahou et ses ministres d’avoir «affaibli tous les centres de décision» et d’avoir creusé le fossé entre les échelons politiques et militaires.

Cette commission a dénoncé des choix stratégiques jugés contreproductifs: le maintien de transferts financiers au Hamas pour «acheter le calme», la focalisation sur Gaza sans considération pour une éventuelle extension de la menace, et un désintérêt manifeste du Premier ministre pour les briefings sécuritaires. Des témoins décrivent un dirigeant «blasé et indifférent», répétant les erreurs de 1973 et illustrant une incapacité à tirer les leçons de l’histoire.

Dans ce contexte, l’ancien directeur du Shin Bet, Ronen Bar, a publiquement reconnu sa part de responsabilité. «Nous n’avons pas empêché le massacre du 7 octobre», a-t-il déclaré, ajoutant que son service avait failli à sa mission. Il a assumé ce qu’il a appelé un «lourd fardeau» pour le reste de sa vie.

En septembre 2025, le gouvernement a nommé un nouveau directeur du Shin Bet, David Zini, officier issu de l’armée, censé apporter un regard neuf et insuffler une pensée critique.

Des réformes promises mais inachevées

Face à l’ampleur des critiques, l’armée et le gouvernement ont annoncé plusieurs réformes. Des panels d’experts, dont un présidé par le général Sami Turgeman, ont été chargés d’évaluer l’application des leçons tirées.

Mais leur rapport reste en attente, officiellement au nom de la priorité donnée aux opérations en cours à Gaza. Ce retard illustre les tensions persistantes entre l’armée, le contrôleur de l’État et le gouvernement.

Dans certains cas, l’armée a même saisi la Cour suprême pour suspendre des enquêtes civiles, jugeant impossible de les mener en plein conflit.

Une vérité encore incomplète

La société israélienne reste profondément marquée par l’événement. Les sondages de l’Israel Democracy Institute montrent qu’une large majorité soutient la création d’une commission d’État et estime que le Premier ministre devra assumer sa responsabilité, maintenant ou après la guerre.

Sur le terrain, la mobilisation citoyenne ne faiblit pas: manifestations devant la Knesset, boycott de cérémonies officielles, lettres ouvertes signées par des centaines de proches de victimes. ONG et médias israéliens multiplient les enquêtes, alimentant la pression pour une transparence réelle.

Deux ans après, certains points sont établis: la surprise stratégique, l’échec massif de la défense du sud, des signaux ignorés, une doctrine de sécurité inadaptée, et une responsabilité écrasante de l’armée israélienne. Mais des zones d’ombre persistent: la traçabilité des décisions politiques, l’arbitrage entre signaux contradictoires et la part exacte de responsabilité du Premier ministre. Tant qu’aucune commission d’État ne sera mandatée, la société israélienne restera en attente d’une vérité officielle et d’une chaîne de responsabilités claire.

 

 

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