Chaïbani à Beyrouth: une nouvelle approche des relations libano-syriennes
Le ministre syrien des Affaires étrangères, Assaad el-Chaïbani, rencontre son homologue libanais, Youssef Raggi, dans le cadre d'une visite officielle à Beyrouth. ©Al-Markazia

«Une nouvelle page s’ouvre entre le Liban et la Syrie.» C’est par ces mots que le ministre libanais des Affaires étrangères, Youssef Raggi, a salué la visite de son homologue syrien, Assaad el-Chaïbani, à Beyrouth.

Arrivé vendredi matin à la tête d’une délégation de haut niveau pour une visite officielle d’une journée, M. Chaïbani a affiché la volonté de Damas de «surmonter les obstacles du passé» et de tourner la page des années de tensions et de «mauvaise gestion politique» entre les deux pays.

Il s’agit de la première visite d’un chef de la diplomatie syrienne au Liban depuis la chute, le 8 décembre 2024, du régime Assad. Ce déplacement marque une tentative claire de réouverture diplomatique entre Beyrouth et Damas, après plus d’une décennie de gel politique.

Selon M. Raggi, cette visite avait été «longtemps reportée pour des raisons techniques et logistiques», mais elle traduit désormais «une volonté commune d’instaurer des relations fondées sur le respect mutuel et la non-ingérence», ouvrant, selon lui, «une ère de coopération constructive entre les deux États».

Une relance institutionnelle et diplomatique

Lors de leur entretien, les deux responsables sont convenus de créer des comités bilatéraux chargés de traiter «l’ensemble des questions en suspens» entre les deux pays. Il s’agit notamment des dossiers portant sur les détenus, la délimitation et le contrôle des frontières, ainsi que les déplacés syriens présents au Liban.

«Les relations entre le Liban et la Syrie doivent passer d’une logique sécuritaire tendue à une coopération politique et économique», a souligné M. Chaïbani, avant d’ajouter: «Nous respectons pleinement la souveraineté du Liban et n’interférons pas dans ses affaires internes.»

Son homologue libanais a confirmé cet engagement, estimant que «la reprise du dialogue direct, à travers des cadres diplomatiques clairs, constitue une étape positive vers une normalisation progressive des relations».

M. Chaïbani a également exprimé sa gratitude envers le Liban pour «l’accueil des Syriens durant la crise», saluant «la profondeur des liens historiques et humains» entre les deux peuples. On rappelle, à cet égard, que le Liban compte près de deux millions de Syriens sur son territoire, détenant ainsi le record mondial du nombre de déplacés par pays. «Nous espérons que le dossier sera résolu, des discussions étant en cours concernant des plans pour un retour digne et durable qui tiennent compte de la situation d’après-guerre en Syrie», a-t-il ajouté. 

Après son entretien avec M. Raggi, le ministre syrien s’est rendu au palais de Baabda, où il a été reçu par le président Joseph Aoun. Au cours de la rencontre, M. Chaïbani a transmis au chef de l’État une invitation officielle à se rendre à Damas, soulignant que «la Syrie traverse aujourd’hui une phase de redressement et de reconstruction, qui aura un impact positif sur le Liban et sur les relations historiques entre les deux pays». «J’espère que tous les obstacles à la relance des relations entre le Liban et la Syrie seront levés, dans l’intérêt des deux peuples», a-t-il ajouté à l’issue de l’entretien.

De son côté, le président Aoun a souligné que «l’approfondissement et le développement des relations bilatérales entre les deux pays nécessitent la création de commissions mixtes chargées d’examiner l’ensemble des dossiers en suspens». Il a, dans ce contexte, insisté sur la nécessité de revoir, d’étudier et d’évaluer les accords déjà conclus afin d’en actualiser les dispositions.

Accompagné d’une délégation comprenant le ministre de la Justice, Mazhar el-Wais, le chef des services de renseignement, Hassan Salamé, et le ministre adjoint de l’Intérieur, Abdel Qader Tahan, le ministre syrien s’est ensuite rendu au Grand Sérail pour un échange avec le Premier ministre, Nawaf Salam. Une réunion s’est également tenue entre le directeur général de la Sûreté générale libanaise, le général Hassan Choucair et le ministre adjoint syrien de l'Intérieur, Abdel Qader Tahan.

À l’issue des discussions, M. Chaïbani a déclaré que les deux parties étaient convenues de la nécessité d’accélérer le traitement de la question des détenus syriens à la prison de Roumié, soulignant que «des progrès significatifs» avaient été réalisés et que «des résultats concrets» étaient attendus prochainement.

Il a ajouté que les entretiens avaient porté aussi sur le renforcement du contrôle des frontières afin d’améliorer la sécurité et la stabilité, ainsi que sur la situation des réfugiés syriens au Liban.

Le ministre syrien a réitéré que les relations entre Beyrouth et Damas entraient dans «une nouvelle phase, loin des tensions passées», mettant en avant un engagement commun à renforcer la coopération en matière de sécurité et de renseignement, et à convoquer des comités techniques et économiques visant à stimuler l’investissement bilatéral et la croissance économique.

Le Conseil supérieur libano-syrien suspendu

Le ministère libanais des Affaires étrangères a été informé, en amont de la visite et par l’intermédiaire de l’ambassade de Syrie à Beyrouth, de la suspension des travaux du Conseil supérieur libano-syrien et de la décision de restreindre toute correspondance entre les deux pays aux seuls canaux diplomatiques officiels.

Créé en 1991 dans le cadre de l’accord de coopération signé entre les anciens présidents libanais, Élias Hraoui, et syrien, Hafez el-Assad, ce Conseil symbolisait jusque-là la tutelle politique exercée par Damas sur le Liban.

Se prononçant sur la décision de suspension, le président Aoun a estimé qu’elle rendait indispensable la réactivation des relations diplomatiques officielles. Il a, à cet égard, exprimé l’attente du Liban quant à la nomination d’un nouvel ambassadeur syrien à Beyrouth, qui serait chargé de suivre tous les dossiers par le biais des ambassades des deux pays. «Le chemin est long, a-t-il affirmé, mais lorsque les intentions sont claires, les intérêts de nos deux pays frères doivent primer sur toute autre considération. Nous n’avons d’autre choix que de nous entendre sur ce qui garantit ces intérêts communs».

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