
Quand le ministre des Télécommunications, Charles Hage, a révélé le lancement d’un projet triennal pour déployer la 5G sur l’ensemble du territoire libanais, son annonce a soulevé de nombreuses interrogations quant à la capacité du pays à moderniser ses infrastructures.
Annoncé le 15 octobre dernier, le projet se veut la vitrine d’un Liban tourné vers l’innovation. À terme, il promet des vitesses de connexion ultrarapides, une latence quasi nulle et la possibilité d’interconnecter des millions d’appareils, des foyers aux entreprises, en passant par les services publics.
Toutefois, derrière ce discours ambitieux, se cache une réalité plus complexe. «Pour que la 5G devienne autre chose qu’un slogan, encore faut-il disposer d’un réseau stable, d’une énergie continue et d’investissements à la hauteur des ambitions», souligne un expert proche du dossier.
Une thèse que confirme un ancien haut responsable du ministère des Télécommunications, interrogé par Ici Beyrouth, sous couvert d’anonymat. «Il faut avancer, bien sûr, mais avant tout, il est nécessaire de consolider ce qui existe», confie-t-il. «Nous devons progressivement abandonner la 2G et concentrer nos efforts sur la 3G et la 4G avant de parler sérieusement de 5G. Aujourd’hui, le réseau souffre encore de nombreuses failles. Si l’on disperse nos ressources entre plusieurs générations de technologies, on risque de n’obtenir de bons résultats nulle part», note-t-il.
Une remarque lucide selon certains observateurs, appuyée par des constats techniques. «Lors d’un précédent test, les opérateurs libanais avaient atteint des vitesses record de 1.800 Mbps (Mégabits par seconde). Sans doute un exploit, mais sans véritable portée structurelle», avance l’expert susmentionné. D’autant plus qu’un tel projet nécessite, d’après lui, une densité d’antennes bien supérieure à celle de la 4G.
Pour desservir une même zone, explique-t-il, assurer une bonne couverture et éviter que le signal soit bloqué par des obstacles, il faut multiplier les stations de base, renforcer la capacité énergétique et assurer une maintenance constante. Or, le Liban affiche encore des zones où la 3G et la 4G sont instables, voire absentes.
Autre entrave, les interruptions de courant qui sont fréquentes dans bon nombre de régions. Celles-ci fragilisent toute infrastructure de réseau, qui nécessite une alimentation constante (stations 5G, data centers, équipements de backhaul – un réseau intermédiaire qui relie les composants réseaux situés à la périphérie, au cœur du système réseau).
Plus encore, le spectre (bandes de fréquences) adapté doit être disponible, bien régulé et attribué avec transparence. Le développement légal et administratif doit accompagner le progrès technique pour éviter les retards, les surcoûts ou les blocages politiques.
Par ailleurs, un autre problème à relever est le coût que requiert le lancement de la 5G. Le Liban traverse actuellement (et depuis 2019) une crise économique. Les opérateurs et l’État vont devoir mobiliser des capitaux importants pour construire, entretenir et moderniser les infrastructures, parfois avec des importations de matériel dont le coût est considérablement élevé. À la question de savoir quelles seraient les sommes requises, le haut responsable a préféré ne pas se prononcer à ce sujet. Et de marteler: «L’on ne peut pas se lancer à moitié dans un tel processus.»
Des avancées concrètes mais inégales
Malgré ces défis structurels, certains acteurs du secteur refusent de rester immobiles. Les opérateurs publics et privés multiplient les initiatives pour moderniser leurs réseaux et préparer le terrain à l’arrivée de la 5G.
En septembre dernier, Alfa a inauguré un nouveau data center dans la région de Jdeidé à Beyrouth, qualifié comme l’un des plus avancés du pays. Il abrite le cœur du réseau (Core Network) et des plateformes essentielles comme OCS, HLR, CS Core, IMS, etc. Il s’agit là de plateformes qui constituent le noyau technique qui fait fonctionner tout le réseau mobile, et qui gèrent l’identification des abonnés, la commutation des appels, la facturation et les services multimédias modernes. Ce centre devrait donc supporter 40 à 45% du trafic internet d’Alfa.
De son côté, l’opérateur Touch avait mené, en 2018, une démonstration 5G au Grand Sérail, atteignant des vitesses de l’ordre de 1,5 Gbps (Gigabits par seconde) et montrant des usages avancés comme le «cloud VR» (qui permet de déporter le traitement graphique des casques de réalité virtuelle vers des serveurs distants).
Par ailleurs, l’opérateur étatique Ogero a déployé la fibre optique à travers le pays. En 2024, il a raccordé plus de 221.000 foyers à la fibre et prévoit d’en ajouter 406.000 supplémentaires. Dans le même temps, il a élargi sa capacité de backhaul (liaisons principales entre stations ou centres de données) de 20 Gbps à 40 Gbps.
Des progrès indéniables, certes, mais insuffisants selon les experts pour garantir la viabilité d’un réseau 5G national. La couverture 4G reste inégale, nombre de stations relais manquent d’entretien et les coupures d’électricité freinent la performance globale du réseau.
D’après eux, le déploiement de la 5G ne dépend pas uniquement de la technologie. Il implique une coordination étroite entre Ogero, Alfa et Touch, un encadrement rigoureux de la part de l’Autorité de régulation des télécommunications, récemment réactivée après plus d’une décennie d’inertie, avec le mandat d’organiser le marché, d’émettre des licences, de protéger les consommateurs et surtout de définir une vision stratégique à long terme.
«Le Liban devra s’appuyer également sur des partenariats internationaux, notamment européens et asiatiques, capables d’apporter expertise et financement. Sans cette coopération entre le public et le privé, le projet risque de rester un mirage», signale l’ancien haut responsable du ministère.
Sur le plan de la volonté, le Liban est donc prêt à s’y lancer. Il n’en demeure pas moins qu’un chemin long est encore à parcourir avant d’atteindre une 5G pleinement opérationnelle, fiable et accessible. Le pays dispose de briques importantes: fibre optique, démonstrations techniques, un centre de données central, une régulation remise en route, mais le maillage (sites de transmission), la résilience face aux pannes, la couverture rurale ou périphérique, et le financement restent de grands chantiers qu’il s’avère impératif d’entamer.
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