Tuer la femme
©Joseph Mikhael Tawk (Facebook)

Tuez la femme, privez-la de sa nature charnelle et de sa dimension spirituelle, afin d’en finir avec la famille et de pouvoir réaliser l’individu idéologiquement parfait, sans attache aucune, désancré, influençable, vulnérable et malléable, et ayant, par-dessus tout, perdu son ouverture à la transcendance.

À la source de la société, il y a la famille, et à la source de la famille, il y a la femme. La société se construit sur cette cellule de base qu’est le foyer familial, garant de sécurité et de solidarité, pourvoyeur des valeurs et transmetteur de l’héritage. C’est ce noyau de la cohésion sociale, à l’échelle de l’humanité, qui est le point de mire des idéologies libéralistes et globalistes. Pour transformer la personne humaine en individu isolé, vulnérable et donc manipulable, il est nécessaire de la dépouiller de tous ses attributs sociétaux.

Du féminisme au wokisme

La déconstruction de la famille se fait par l’abolition de l’autorité incarnée par le père, par la castration du masculin et par la suppression de la femme, mère et centre du foyer. Sans ces deux piliers de la parenté, la famille se désagrège, entraînant l’effondrement de la société entière. Parce que la mère est porteuse de ce que Hannah Arendt désignait par la continuité humaine et les sphères naturelles d’enracinement (famille, tradition, natalité), c’est à elle qu’il a fallu s’attaquer, après avoir plié l’homme occidental. C’est également ce que dénonce Pierre Manent lorsqu’il constate la menace contre les composantes du masculin, du féminin et de la famille, puisque celles-ci, dit-il, constituent la médiation nécessaire entre l’individu et la cité.

Les théories du féminisme radical ont donc été exacerbées de sorte à pouvoir les retourner contre la femme, non plus pour la protéger mais dans le but de nier jusqu’à son existence. Pour ces théories, il convient de s’attaquer aux faits scientifiques. La biologie est devenue, pour ce que Jean-François Braunstein désigne par la religion woke, un véritable obstacle à la liberté d’identité. Nadia Geerts, elle-même républicaine, laïque et féministe universaliste, dénonce le wokisme qui nie la réalité biologique dans l’intention d’effacer la catégorie «femme» au nom de l’inclusivité.

La femme est humiliée et réduite au statut de victime éternelle. Elle est dévalorisée par ce que Pierre Valentin désigne comme une forme de misogynie implicite. Élisabeth Badinter, une autre figure du féminisme universaliste, y voit une régression des libertés individuelles lorsque la femme est enfermée dans cette posture d’opprimée permanente. Cette logique de confrontation systématique entre les sexes, absolutise les identités, détruisant alors l’idée d’un sujet libre et autonome. C’est un ensemble de ressentiments et de culpabilisation qui a poussé Jordan Peterson à définir le wokisme comme une «tyrannie morale postmoderne».

L’Égalité

Il n’y a pourtant aucun doute sur l’égalité absolue entre la femme et l’homme. Le Catéchisme de l’Église catholique (Cf :2334), rappelle que «l'homme et la femme ont la même dignité et sont d'égale valeur». Toutefois, il est spécifié dans le Compendium de la doctrine sociale de l’Église, publié en 2004 sous Jean-Paul II, que cette égalité dans la dignité ne reflète nullement une égalité statique, car «la spécificité féminine est différente de la spécificité masculine». Et ces deux réalités ne se complètent pas simplement des points de vue «physique et psychique, mais aussi ontologique», nous dit le Compendium.

Car c’est dans cette rencontre entre les deux que se réalise la prise de conscience de l’être. Cette dimension ontologique est également reconnue par des féministes non radicales telles que Sylviane Agacinsky, qui voit dans la différence sexuelle une ouverture vers l’altérité et donc vers la reconnaissance mutuelle.

C’est à la personne humaine que les idéologies de l’Occident postchrétien entendent s’attaquer. Dans La Fin de la chrétienté, Chantal Delsol montre qu’il s’agit de fabriquer un homme nouveau dépourvu de transcendance. Et la négation de la femme s’inscrit dans cette entreprise de création d’un être humain neutre, sans nature, sans enracinement, sans structures communautaires. Nous assistons à l’invention de la créature parfaite, sans attaches, sans faculté de discernement et politiquement malléable. Elle constituera enfin une population fragmentée et docile, incapable de résistance ou de solidarité, et totalement livrée à la logique du marché et des institutions idéologiques.

Comme extension naturelle de l’Occident, le Liban n’échappe pas à cette triste réalité. Sa société, qui traditionnellement prenait pour exemple la Sainte Famille autour de Marie, se décompose à son tour. Ce pays est assailli par les idéologies qui tentent de s’en prendre à ses universités et à ses médias par le moyen de nombreuses ONG qui se parent d’appellations séduisantes et de vertus d’inclusivité.

La famille

La femme est à préserver afin de sauver la famille, et donc la société dans son ensemble, comme lieu de communion, de solidarité et de transmission des valeurs et du savoir. Sans la famille, la société devient un agrégat d’individus sans continuité, sans mémoire et sans avenir.

Dans son Compendium de 2004, la Doctrine sociale de l’Église souligne ce rôle central du noyau familial, «prototype de tout ordre social», et qu’elle désigne comme «première cellule vitale de la société». Elle reconnaît «la priorité de la famille sur toute autre communauté et sur la réalité même de l’État». La famille est pourvoyeuse, dit-elle, des premières notions de la vérité et du bien, et «contribue d'une manière unique et irremplaçable au bien de la société». Sa valeur dépasse le cadre juridique ou économique pour s’étendre aux dimensions culturelles, éthiques, sociales, spirituelles et religieuses. Grâce aux diverses générations qui la composent, et par l’intermédiaire de ses personnes âgées, elle transmet aussi bien le patrimoine spirituel que l’héritage culturel de la nation.

L’importance du rôle de la famille constitue une garantie contre les dérives individualistes et collectivistes, car elle place la personne «au centre de l’attention en tant que fin et jamais comme moyen». Pour cette raison, la Doctrine sociale de l’Église suggère que ce soit la société et l’État qui existent pour la famille.

La contre-civilisation

La famille est la garante de la culture de la vie face à la diffusion de ce que la Doctrine sociale de l’Église appelle la «contre-civilisation» destructrice portée par les idéologies ultralibéralistes, globalistes et wokistes. Par les valeurs qu’elle transmet et qu’elle incarne, elle s’oppose à ce que Jordan Peterson désigne comme la «nivellation générale» qui nie les différences biologiques, psychologiques, culturelles et sociales. La famille fait barrage au nihilisme, à la haine de soi et aux tendances au suicide civilisationnel.

La famille harmonise le monde, et la femme l’humanise. Les idéologies postmodernes et postchrétiennes œuvrent à transformer la femme en une abstraction administrative ou politique, provoquant ce que Nancy Huston voit justement comme un «désenchantement du monde».

Tuez la femme, privez-la de sa nature charnelle et de sa dimension spirituelle, afin d’en finir avec la famille et de pouvoir réaliser l’individu idéologiquement parfait. Celui-ci est dépourvu de toute appartenance naturelle et de toute filiation. Il est sans attache aucune, désancré, influençable, vulnérable et malléable. Il a par-dessus tout, perdu son ouverture à la transcendance.

La désintégration de la famille entraîne immanquablement celle du corps social dont elle forme la cellule première. La question de la femme, de la mère et de la famille touche, pour ainsi dire, au cœur de la crise anthropologique moderne.

 

 

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