Le missile de croisière à propulsion nucléaire testé par la Russie est une arme innovante, pensée pour contrer les efforts américains de défense antimissile, mais qui ne bouleverse pas les équilibres stratégiques actuels, selon les experts.
Comment ça marche?
Contrairement aux missiles classiques exclusivement propulsés par des carburants chimiques, le missile Bourevestnik («oiseau de tempête» en russe) utilise un réacteur nucléaire. «L'air ambiant y est chauffé par le cœur du réacteur, puis expulsé à grande vitesse pour générer la poussée», estime Amaury Dufay, chercheur au centre IESD à Lyon et spécialiste de la propulsion nucléaire.
«Cela permet d’allonger considérablement le temps de vol et la portée», explique-t-il à l'AFP. «C'est un peu comme si vous aviez un moteur de voiture qui consomme beaucoup moins de litres aux 100 km». Résultat: le missile aurait parcouru 14.000 kilomètres en 15 heures, d'après la Russie.
«Son objectif est de voler longtemps, très bas, entre 15 et 200 mètres, ce qui complique la détection», selon lui. On peut imaginer le faire «décoller de Russie, faire un détour par l'Amérique du Sud et attaquer l'Amérique du Nord par le Sud, par des côtés qui pourraient être moins défendus par les défenses anti-missiles américaines».
En revanche, il est relativement lent, à une vitesse subsonique, et «a priori sa capacité de manœuvre et d'évitement est limitée par sa lenteur», estime Héloïse Fayet, spécialiste du nucléaire au centre de réflexion IFRI.
À quoi ça sert?
Cette arme tente de fournir une réponse au renforcement des systèmes de défense antimissile, en particulier les États-Unis et leur projet «Golden Dome».
«Le «Golden Dome» américain et les projets de développement de défense antimissile en général sont parmi les principaux moteurs» du projet, explique sur X l'analyste russe spécialiste des questions nucléaires Dmitry Stefanovich.
«Le missile a entièrement été conçu dans l'idée de contourner les défenses antimissiles», abonde M. Dufay.
«On peut très bien l'imaginer, avec sa capacité de manœuvre et sa portée illimitée, en train de harceler et affaiblir les défenses antimissiles, puis repartir pour laisser la place à d'autres missiles» classiques, explique à l'AFP Héloïse Fayet.
Qu'est-ce que ça change?
À l'heure actuelle, l'impact stratégique reste limité. «Le missile n'est pas opérationnel, il n'y a pour l'instant aucune infrastructure de déploiement dans les forces, pas de doctrine d'emploi», explique Mme Fayet.
«Il est nécessaire de déterminer (ses) possibilités d'application et de commencer à préparer l'infrastructure nécessaire», a déclaré Vladimir Poutine à son sujet.
«Je pense qu'il faut voir cela comme une tentative de Poutine de continuer d'épuiser Trump sur le nucléaire et la défense antimissile. C'est dans son intérêt de le persuader qu'il a absolument besoin d'un «Golden Dome», mobilisant de nombreuses ressources», selon Mme Fayet.
Car aujourd'hui, ni les États-Unis, ni, encore moins, l'Europe, n'ont de «bouclier antimissile permettant d'intercepter une attaque massive de missiles balistiques et de croisière», explique sur X Etienne Marcuz, chercheur à la FRS.
«C'est donc une arme de déstabilisation qui pèse dans le domaine de la défense antimissile, qui montre que les Russes sont toujours capables d'innovation et qu'ils ne se préoccupent pas trop de sûreté», résume-t-elle.
Quels risques radioactifs?
S'il touche une cible ou est intercepté, qu'il porte une charge nucléaire ou conventionnelle, la contamination est inévitable.
Il semble en revanche que le test n'ait pas provoqué de contamination détectable. «L'agence norvégienne de surveillance de la radioactivité n'a rien détecté alors que le test est passé dans sa zone de détection. De même, les stations du TICE (le Traité d'interdiction des essais nucléaires) n'ont rien détecté non plus. Donc a priori, le missile en lui-même n'a pas de dimension radioactive», explique Mme Fayet.
Pour autant, selon M. Dufay, comme «l'air passant dans le réacteur nucléaire, il me semble inévitable qu'il y ait quand même quelques rejets».
«Par ailleurs, le missile lui-même est radioactif, une fois que le réacteur est lancé. Si vous vous en approchez trop, vous êtes irradié, cela veut dire qu'il est difficile à employer, que vous n'allez pas beaucoup pouvoir le tester. Or, dans la dissuasion nucléaire, ce qui compte, c'est le signalement, la crédibilité qui passe par des tests».
Par Fabien ZAMORA/AFP



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