Santé des réfugiés syriens : fin annoncée des prises en charge, choc sanitaire et casse-tête économique à l’horizon
©Hameed Maarouf/HCR

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR/UNHCR), principal financeur des hospitalisations d’une large partie des Syriens au Liban depuis 2011, achève son retrait : après des coupes graduelles engagées en 2024, l’agence avait annoncé le 28 mai 2025 la fin du financement des hospitalisations d’ici la fin 2025. La phase de retrait entre officiellement en vigueur aujourd’hui, 1er novembre 2025, avec des effets immédiats dans plusieurs établissements. Décision contrainte par le tarissement des bailleurs : c’est tout un équilibre sanitaire et économique qui vacille — d’abord dans les zones frontalières, puis dans l’ensemble du pays.

Depuis le début de la crise syrienne, le HCR a soutenu au Liban un dispositif de référence hospitalière (Referral Healthcare) en complément d’un réseau de soins primaires, permettant aux plus vulnérables d’accéder à des accouchements, des chirurgies et des soins intensifs avec un reste à charge maîtrisé. En mai 2024, faute de financements, la couverture a été resserrée aux seules urgences « à risque vital immédiat ». Le 28 mai 2025, l’agence avait officialisé la cessation du soutien aux hospitalisations d’ici fin 2025, en précisant que l’extinction serait échelonnée selon les contrats et les régions. À compter d’aujourd’hui, 1er novembre 2025, nombre d’hôpitaux cessent d’admettre de nouveaux patients sous couverture HCR, tandis que les dossiers en cours sont liquidés jusqu’à extinction complète du dispositif d’ici la fin de l’année. Les hôpitaux proches des frontières — Nord et Békaa, où la concentration des camps est la plus élevée — encaisseront les premières vagues (afflux d’urgences, tensions en maternité et en réanimation, stocks et trésorerie sous pression), avant que l’onde ne gagne l’ensemble du réseau libanais.

Ce qui change concrètement
L’entrée en vigueur ne tombera pas d’un seul bloc. À mesure que les contrats arrivent à échéance, les admissions sous couverture HCR cessent, les créances basculent vers les familles ou restent sans payeur. Les délais de facturation et d’audit créent un décalage : novembre voit s’ouvrir la période de non-admission pour de nombreux hôpitaux ; décembre-janvier cristallise les refus d’hospitaliser faute de garant ; fin 2025 acte l’extinction du dispositif.

Des soins qui se dérobent aux plus fragiles
Les réfugiés n’ont ni l’habitude ni les moyens d’assumer les coûts d’une hospitalisation spécialisée au Liban. L’arrêt de la prise en charge, c’est des accouchements non couverts, des interventions différées, des réanimations repoussées. Les maladies chroniques — diabète, HTA, asthme, insuffisance rénale — se déstabilisent dès que le suivi et les traitements se brisent, avec mortalité évitable en hausse et séquelles durables. L’« effet entonnoir » des urgences s’accentue : sans lits « aval » ni mécanisme de paiement, la porte d’entrée se transforme en cul-de-sac, avec triage plus dur, heures d’attente et sorties « contre avis » faute de moyens. Pendant ce temps, la prévention (vaccination, suivi de grossesse, éducation thérapeutique) se grippe — les complications de demain se fabriquent aujourd’hui.

« Front avancé » Nord–Békaa… avant la propagation
L’impact est national, de Tyr au Chouf, de Beyrouth à Tripoli. Mais la proximité des frontières et la densité de camps en Akkar, Baalbeck-Hermel et Békaa-Ouest créent un avant-poste de crise : afflux d’urgences, épuisement accéléré des consommables critiques, tension sur lits de maternité et de soins intensifs. « Pendant des années, nous étions payés rubis sur l’ongle. Nous avons structuré maternité, chirurgie et soins intensifs sur ce flux. Aujourd’hui, c’est le trou d’air : nos stocks tournent moins, notre trésorerie s’évapore, et la tentation est de fermer des lits. Les malades, eux, ne disparaissent pas », confie à Ici Beyrouth le directeur d’un hôpital de la Békaa. Même alerte à Akkar : « On nous demande d’absorber plus d’urgences avec moins de ressources et sans visibilité de paiement. Un accouchement compliqué, c’est chirurgie, anesthésie, produits sanguins, antibiotiques. Si la famille n’a rien, l’hôpital finance-t-il à perte ? Combien de fois ? Ce n’est pas de la dureté : c’est la survie de la structure », souligne à Ici Beyrouth un responsable médical d’un établissement du Nord.

Le choc de trésorerie dans tout le réseau hospitalier
Au-delà des frontières, tout le réseau subit la casse d’un rouage : volumes stables, factures validées, paiements réguliers — ce modèle s’arrête. Le roulement des stocks ralentit, l’immobilisation de trésorerie grimpe, le risque d’impayés explose ; les achats d’antibiotiques injectables, d’antalgiques forts, de dispositifs de bloc deviennent moins planifiables ; la maintenance est différée, des recrutements gelés. Les centres urbains, qui reçoivent les transferts et les cas lourds, seront vite rattrapés : report d’interventions non urgentes, délais allongés pour les cancers, errance des chroniques décompensés, et fuite de personnel qualifié.

Le regard de la population libanaise : ressentiment social, crise d’équité
Dans un pays où la crise financière de 2019 a fait basculer près de la moitié de la population sous le seuil de pauvreté, où la Sécurité sociale s’est délité, où les assurances privées ont vu leurs primes s’envoler, une partie des Libanais regarde d’un très mauvais œil les « avantages » perçus pour les réfugiés. Le sentiment d’injustice est particulièrement vif dans les régions limitrophes, parmi les plus démunies du territoire. À cela s’ajoute un héritage mémoriel douloureux de la guerre civile. « C’est bien fait. Ils viennent chez nous, profitent d’un système qui leur octroie des choses qui ne nous sont plus accordées. Nos enfants n’ont même pas une chambre d’hôpital décente sans payer une fortune », lâche Fadi S., 52 ans, habitant de la Békaa, interrogé par Ici Beyrouth. Cette dissonance d’équité — des réfugiés parfois mieux couverts que des Libanais pauvres — a longtemps servi de soupape sociale ; paradoxalement, la retirer brutalement ne répare pas l’injustice : elle crée une double pénalité, pour le réfugié privé de soins et pour le Libanais qui hérite d’urgences saturées et de services publics encore plus exsangues.

Répercussions de chaîne : de l’hôpital de district aux centres tertiaires
Les hôpitaux périphériques filtrent et transfèrent ; les grands centres absorbent les cas lourds. Quand l’un cale, l’autre sature. Résultat : retards sur les chirurgies programmées, dysfonctionnements dans les parcours cancers, perte de chance pour les AVC, arrêts de dialyse par manque de kits — autant de coûts qui reviennent plus cher encore au système.

Quelles issues immédiates ?
À court terme, un fonds-pont strictement fléché « vie-sauve » (maternités, urgences majeures, réanimations courtes) avec contrôle ex post ; l’extension des soins primaires et des cliniques mobiles dans tous les mohafazats ; une liste priorisée de médicaments chroniques à prix plafonné distribuée via des centres validés. Ces leviers n’effacent pas la crise, mais ils ralentissent sa bascule en catastrophe sanitaire nationale.

L’illusion de l’économie
Compter l’argent « économisé » en fermant l’hôpital aux réfugiés, c’est oublier la facture différée : complications, séquelles, décès évitables — plus le coût politique d’une colère sociale qui cherche un bouc émissaire. Les zones frontalières seront l’avant-poste, mais tout le pays paiera si l’on laisse casser le maillon hospitalier. Couper aujourd’hui n’est pas faire des économies : c’est avancer une dette sanitaire et sociale à taux usuraire.

 

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