Les guerres inachevées
©Ici Beyrouth

Les conflits au Liban se ressourcent aux confluences de deux impasses, celles des politiques en cours, et celles des guerres culturelles qui remettent en cause la légitimité nationale du pays et la démocratie constitutionnelle et pluraliste qui le caractérise. Nous ne sommes plus dans une crise politique conjoncturelle. Nous faisons face à des désaccords qui portent sur des choix culturels, de styles de vie et de normativité politique qui se greffent sur les conflits en cours engendrés par la guerre du 7 octobre 2023 et leurs retombées sur la géopolitique régionale. 

Les remaniements géostratégiques induits par la contreoffensive israélienne, le démantèlement des “plateformes opérationnelles intégrées” montées par la politique impériale du régime iranien, la fin du régime alaouite en Syrie, la neutralisation de l’Iraq et du Yémen, le double endiguement du régime iranien, la défaite du Hezbollah au Liban et du Hamas à Gaza, sont autant de tournants dans une région où plus rien ne tient.

Le régime iranien entend prendre sa revanche et se remobiliser sur les fronts libanais et gazaouis afin de préempter sa chute rendue inévitable. Tant le Liban que Gaza demeurent otages de la politique iranienne et de ses atermoiements indéfiniment reconduits sous des prétextes qui ne convainquent plus grand monde. Il est certain, désormais, que tout changement dépend des mutations géostratégiques qui doivent mettre fin à des verrouillages résiduels qui maintiennent la région sous l’emprise d’une politique impériale et d’idéologies islamistes peu portées aux règlements négociés et aux accommodements de nature démocratique. 

Les verrouillages au Liban s’inscrivent dans un continuum où les politiques de domination iranienne et chiite libanaise fusionnent et servent de plateforme à la politique de revanche projetée alors que ses chances de réussite sont presque nulles. Les conflits par procuration servent de zones d’hibernation pour permettre à l’Iran de sauvegarder sa latitude opérationnelle quels que soient les coûts défrayés par les pays et les territoires concernés. Ils ne sont en somme que des lignes de défense instrumentalisées par la politique iranienne. Le malheur est que dans les deux cas, les pouvoirs en place, quelles que soient leurs différences statutaires, se maintiennent dans leur rôle d’obstruction quelles qu’en soient les raisons et les déclinaisons. 

Le pouvoir exécutif est tributaire de ses divisions internes, des clivages idéologiques et politiques, et de la perméabilité aux politiques de puissance qui imposent leur diktat de manière discrétionnaire. Les déclarations souverainistes de principe, les engagements pris lors des accords de trêve arbitrés par les États-Unis, et les échanges diplomatiques qui se sont étalés pendant plus d’un an, se sont avérés des échéances creuses négociées non pour mettre un terme aux dynamiques conflictuelles en cours mais en vue de déjouer les contraintes de circonstances et gagner du temps. 

Nous voilà ramenés à la case de départ, où la perpétuation des conflits qui tournent à vide sert de manière adéquate les politiques de l’esquive et des conflits différés et ouverts. La fragilisation de la vie politique institutionnelle au Liban est un acte de sabotage intentionnel qui dessert les objectifs de la politique putschiste et ses calendriers délibérément décalés. La transition politique au Liban s’est révélée factice, aux articulations faibles et gérées par des politiques ombrageux, peu expérimentés et efficaces, et manquant de courage civique et politique. 

La situation politique à Gaza, quoique relevant d’un registre politique entièrement différent de celui qui prévaut en contexte libanais, reprend les mêmes scénarios de blocage dictés et instrumentalisés par le pouvoir de tutelle iranien : le sabotage de tout contre-pouvoir qui viendrait contrarier les desseins stratégiques de la politique iranienne, discréditer le narratif islamiste et démocratiser la scène politique dans le district. La politique de répression qui a brutalement succédé à la fin de la guerre devait largement attester les liens étroits entre les politiques impériales alternées de l’islamisme et de ses variants locaux. 

La dévalorisation des enjeux humanitaires (politique des boucliers humains et exploitation des espaces urbains au mépris de la sécurité des populations civiles) est amplement révélatrice quant à la possibilité de pouvoir conclure des accords de paix viables. Le Hamas compte s’installer dans la durée et n'est du tout pas dans une logique de solution négociée. Toutes les arguties se rapportant aux lignes de démarcation mutantes sont loin de convaincre les israéliens quant à leur intégrité frontalière et favorisent les politiques sécuritaires sans concession. La situation du district demeure dans le vague alors que la scène politique palestinienne est plus que jamais divisée et incapable de se reconstituer sur la base d’un consensus démocratique avalisant son indépendance et son aptitude à pouvoir se définir en dehors de cet univers concentrationnaire que sont les camps palestiniens.

La question qui se pose de manière lancinante est celle de pouvoir se défaire des blocages de tous ordres afin de reprendre les négociations qui doivent mettre fin à ce conflit indéfiniment prolongé. Rien ne s’y prête des deux côtés tant que les liens idéologiques et stratégiques se reproduisent à l’identique. Faudrait-il miser sur des conversions idéologiques et des inflexions stratégiques intentionnelles, ou sommes-nous renvoyés aux champs de bataille et aux avatars des guerres non achevées ? La vérité est quelque part entre les deux.

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