La Suisse de l’Orient a changé d’adresse
©Ici Beyrouth

C’est un symbole qui vaut tous les discours : Ahmed El Chareh, le président syrien, sera reçu ce lundi à la Maison-Blanche. Le monde, décidément, adore les métamorphoses spectaculaires. Hier ennemi public numéro un, aujourd’hui partenaire fréquentable, Chareh — dont la tête était mise à prix il y a encore un an — est devenu l’homme qui a su convertir son passé en atout diplomatique. Il promet la stabilité, la réintégration régionale et, surtout, le mot magique : la sécurité.

Il n’en fallait pas plus pour que les sanctions contre Damas soient levées, que les investisseurs affluent et que les dollars se mettent à déferler sur la capitale syrienne : 28 milliards en six mois, en provenance des pays du Golfe ! De quoi faire pâlir de jalousie le petit Liban.

L’ironie est totale : le pays autrefois sous embargo devient la nouvelle place à la mode. Les capitales occidentales rouvrent leurs ambassades, les entreprises signent des contrats à tour de bras, et Chareh, en costume trois pièces, discute sécurité régionale avec Israël. Ses ministres rencontrent leurs homologues israéliens sans être estampillés du sceau de la trahison. Ce qui, soit dit en passant, au Liban, ne manquerait pas de se produire.

Des accords de sécurité entre les deux pays sont en discussion avancée. L’armée américaine va même s’installer dans une base aérienne à Damas ! Chose auparavant impensable.

Et pendant ce temps, le Liban, jadis « la Suisse de l’Orient », minaude, hésite, s’enferre. Son économie reste à l’arrêt, ses dirigeants demandent la permission à une milice armée de négocier, ses ports vivotent et ses cerveaux fuient.

Là où la Syrie reconstruit, le Liban se délite. Là où Damas attire les fonds, Beyrouth quémande des miettes. On y discute désarmement et « réformes nécessaires », pendant que la vie réelle s’éteint.

Tout cela en raison de l’obstruction et de l’obstination du Hezbollah, qui persiste à vouloir rester un État dans l’État, téléguidé par les mollahs iraniens.

La situation vire à l’absurde : demain, on pourrait bien voir des Libanais traverser la frontière pour chercher du travail à Homs ou à Alep, vendre des babioles dans les rues de Damas ou des gâteaux « faits maison » à des Syriens devenus prospères. On peut même imaginer les habitants des villes syriennes reconstruites recourir à des concierges libanais, moins chers que les locaux.

La fuite des cerveaux se doublera d’une fuite des bras.

Ainsi, la Suisse de l’Orient a déménagé. Elle a traversé l’Anti-Liban et planté son drapeau à l’Est. Et le Liban, jadis modèle et refuge, regarde passer le train — comme toujours, avec élégance, amertume et un sens tragique du décalage.

 

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