Icône de la chanson libanaise, Sabah a traversé près d’un siècle de musique, de cinéma et de lumière. Sa voix vive, son excentricité et son toupet artistique ont marqué les planches libanaises, le monde arabe et les scènes internationales. Son héritage fait écho encore de nos jours, - et plus particulièrement en ce 10 novembre, date de sa naissance - dans les rues de Beyrouth comme dans notre mémoire collective.
Sabah, connue au préalable sous son vrai nom Jeanette Georges Feghali, a vu le jour en 1925 dans le village perché de Bdadoun, tout près de Wadi Chahrour, la mystérieuse «vallée du merle». Dans cette région où les histoires se chantent autant qu’elles se racontent, sa famille portait déjà l’empreinte de la poésie improvisée. Son oncle, Anis Feghali, y avait gagné le surnom de Shahrour El Wadi pour son talent dans le zajal. La jeune Jeanette héritera naturellement de ce souffle poétique et deviendra, elle aussi, la Shahroura, «la merlette» dont la voix allait traverser des continents.
À quatorze ans, elle se lance dans le chant, et trois ans plus tard, à peine sortie de l’adolescence, elle enregistre déjà ses premiers titres. La suite de son histoire ressemble à une fresque: elle a à son actif plus de cinquante albums, des milliers de chansons, des refrains qui s’installent dans la mémoire collective du monde arabe et au-delà. Sa présence scénique, ardente et colorée, lui ouvre les portes des lieux les plus connus. Elle devient l’une des premières artistes arabes à se produire sur les grandes scènes internationales: l’Olympia à Paris, le Carnegie Hall à New York, le Piccadilly Theater de Londres ou encore l’Opéra de Sydney.
Le cinéma égyptien, alors en pleine effervescence, l’adopte lui aussi. Sabah y tourne un grand nombre de films, entourée de grandes figures comme Rushdy Abaza, Salah Zulfikar ou Abdel Halim Hafez. Elle joue, elle chante, elle danse, et chacune de ses apparitions renforce sa réputation de femme de lumière qui ne s’éclipse pas.
Elle choisit son pseudonyme «Sabah», qui veut dire matin ou aube en arabe, en Égypte. Effectivement, Sabah est à l’aube de l’espoir.
Pendant sept décennies, elle demeure une figure familière et adulée. Elle multiplie concerts, interviews et passages télévisés. On se rappelle d’elle encore, souriante et flamboyante, sur les plateaux des premières émissions innovantes libanaises. Quand elle s’éteint à Beyrouth en 2014, c’est tout un pan de la culture libanaise, mais aussi arabe, qui se lève pour saluer celle qui avait su transformer sa vie en une longue scène embrasée.
Ses titres renommés sont Sabouha, la Shahroura ou le Chant des oiseaux. Sabah a certes été reconnue pour sa voix expressive, vivante et enjouée, mais aussi pour son aptitude à tenir la même note pendant plus d’une minute.
Éternelle amoureuse de l’amour, Sabah s’est mariée sept fois. Elle a déclaré que tous ses anciens maris ne l’avaient épousée que pour sa célébrité et sa carrière artistique, quand elle était au sommet de sa gloire. Des rumeurs infatigables sur la mort de Sabah avaient circulé quelques jours avant sa disparition. Déridée par les rumeurs, l’artiste a affirmé que même dans sa mort, elle occupait les esprits et les gens.
Qui dit Sabah dit joie de vivre et monde en couleurs. Qui dit Sabah dit musiques orientales, envie de danser, de se débrancher, de fredonner, des airs libanais qui flottent encore dans l’air du temps. Qui dit Sabah dit légende libanaise aux grands yeux perçants et au sourire affiché. Qui dit Sabah dit avant-gardisme, cran; celui d’affronter la vie et ses obstacles avec un air franc, une joie de vivre malgré les qu’en-dira-t-on, et une attitude affranchie qui chante la vie et l’amour sur tous les toits.
Qu’on soit fan d’elle ou pas, Sabah demeure un des symboles du Liban d’hier, celui qui fait écho encore aujourd’hui dans les rues de Beyrouth, les cafés cachés de Hamra et les voitures de taxis libanaises qui klaxonnent dans les rues. Sur les murs de la capitale, sur les sacs des designers libanais qui rendent hommage à Beyrouth, Sabah est partout. Chevelure blonde frisée atypique, costumes particuliers, la chanteuse demeure, immortelle, malgré toutes les morts dans l’âme. Sur des rythmes endiablés ou entraînants, sa voix revient sans cesse.
«Aujourd’hui marque l’anniversaire de naissance de Sabah». Et cette simple phrase même, cette vérité générale factuelle, ne peut pas laisser indifférent. Sur les petits postes de télévision, ceux des générations en noir et blanc, elle illuminait déjà l’écran. Les notes de joie retentissent encore dans les oreilles des plus âgés. Baalbeck même se souvient de son parfum. L’éternelle amoureuse, l’artiste rebelle, la voix envoûtante, la femme jusqu’au bout des ongles et des boucles blondes, Sabah persiste pour l’éternité. Elle hypnotise les cœurs les plus blasés. Son nom fait encore sourire. Elle a réussi son pari: porter haut l’étendard de l’art et de la vie.

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