La situation financière et économique du Liban traverse une crise inédite «qui exige des mesures décisives pour rétablir la confiance et protéger les fonds des déposants, tout en clarifiant les responsabilités de l’État». C’est en ces termes qu’Alain Hakim, ancien ministre de l’Économie, résume la profondeur du malaise économique que traverse le pays, dans le cadre d’un entretien accordé, lundi, à notre confrère, Houna Loubnan.
Pour lui, aucune stabilité financière n’est possible sans confiance entre l’État et les déposants, et aucune relance économique ne peut se faire sans un plan clair visant à restaurer la liquidité des banques, protéger les économies des citoyens et redonner au secteur bancaire son rôle moteur dans l’économie nationale.
Le constat est implacable: la livre libanaise s’est effondrée à des niveaux sans précédent, les dépôts sont gelés depuis des années et la méfiance s’est installée entre les citoyens, les banques et l’État. Dans ce climat d’incertitude, le Fonds monétaire international continue de conditionner toute aide à une restructuration du secteur bancaire, allant jusqu’à évoquer le remplacement des banques existantes par de nouvelles institutions. Une proposition qui, selon M. Hakim, risque d’aggraver la crise au lieu d’y mettre fin.
«Si les banques existantes sont démantelées, les déposants seront les premiers à subir les pertes, car ils constituent le maillon le plus faible de la hiérarchie des priorités. Les nouvelles banques ne reprendront pas les obligations des anciennes et ne seront donc pas responsables du remboursement des fonds gelés», avertit-il, interrogé par Houna Loubnan.
Face à ce risque, l’ancien ministre plaide pour une approche réaliste et responsable: la mise en œuvre d’un plan de financement national assurant le remboursement progressif des dépôts sur plusieurs années. «Parvenir à une telle solution permettrait de remettre le cycle économique sur les rails, d’améliorer les versements mensuels aux déposants et de restaurer la confiance dans le système financier», explique-t-il, tout en soulignant la nécessité de définir clairement la part de pertes assumée par l’État.
Selon lui, le redressement doit s’appuyer sur trois piliers indissociables, à savoir la normalisation des opérations bancaires, la relance du cycle économique et le rétablissement de la confiance dans l’État libanais. «L’État est aujourd’hui le problème. Le fossé entre lui et les déposants ne doit pas se creuser davantage, car sa responsabilité est claire», insiste-t-il.
Sur le plan international, M. Hakim met en garde, dans le cadre de la même interview, contre les conséquences d’une rupture avec les banques correspondantes étrangères. «Les relations bancaires internationales se bâtissent sur la confiance, la transparence et le respect du droit. Les rompre reviendrait à isoler le Liban du système financier mondial, à compromettre les transferts commerciaux et à menacer la sécurité alimentaire et pharmaceutique du pays», explique-t-il. Il estime que la restructuration des banques existantes, plutôt que leur remplacement, constitue la voie la plus pragmatique pour préserver la stabilité et garantir la continuité des opérations financières.
Concernant la solvabilité du secteur, Alain Hakim précise que la majorité des banques libanaises demeurent solvables mais manquent cruellement de liquidités. Le rétablissement de ces dernières, selon lui, dépend d’une restructuration transparente, du renforcement des fonds propres et de l’attraction de nouveaux investissements. Il préconise également la fusion des banques insolvables et la création d’un environnement juridique stable, qui encouragerait la croissance sans faire peser sur l’État seul le poids des pertes bancaires.
L’ancien ministre propose, à cet effet, un mécanisme innovant qu’il appelle «contrôle de gestion de trésorerie». Contrairement aux contrôles de capitaux classiques, il ne se limite pas à fixer des plafonds de retrait, mais vise à gérer rigoureusement les liquidités au sein des établissements. «L’objectif est de déterminer les montants pouvant être retirés mensuellement, de manière à protéger les dépôts, prévenir la ruée vers la liquidité, maîtriser l’inflation et permettre aux banques de fonctionner normalement», détaille-t-il. Selon lui, une injection de 11 à 12 milliards de dollars dans le cadre d’un tel mécanisme permettrait de stabiliser le secteur et de rembourser une partie significative des dépôts sans compromettre la solidité du système.
Mais au-delà des chiffres et des réformes, M. Hakim insiste sur une réalité politique incontournable: aucune reprise économique ne peut s’opérer dans un contexte de souveraineté partagée. «Aujourd’hui, la décision de guerre et de paix n’appartient pas exclusivement à l’État. Tant que cette situation perdurera, aucun investisseur ne prendra le risque d’injecter des fonds au Liban», déplore-t-il.
Sur la question des responsabilités, l’ancien ministre se veut catégorique: «L’État est le principal responsable de la crise actuelle. Il a utilisé les fonds des déposants pour financer le déficit, la corruption et des subventions aveugles, estimées à près de 20 milliards de dollars. Blâmer uniquement les banques ou les déposants revient à nier la réalité». Et de plaider pour une répartition équitable des pertes et une véritable reddition des comptes, conditions nécessaires à la restauration de la confiance et à la transparence de la gestion publique.



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