Face à l’urgence environnementale et à la crise du sens autour de la mort, une invention italienne propose une révolution douce mais radicale : transformer nos dépouilles en arbres, et les cimetières en forêts vivantes. Utopie verte ou début d’une ère nouvelle?
Et si, après la mort, nous devenions source de vie pour la planète ? L’idée n’est plus un mythe ni une rêverie poétique. Elle se concrétise aujourd’hui avec Capsula Mundi - littéralement, «la capsule du monde» en italien – , un projet conçu par deux designers, Anna Citelli et Raoul Bretzel, qui bouscule en profondeur nos certitudes sur la finitude humaine. Dès 2003, lors du Salone del Mobile à Milan, le duo milanais s’interroge sur l’impact écologique des funérailles classiques: chaque cercueil traditionnel requiert l’abattage d’un arbre de 10 à 40 ans de croissance, souvent pour une utilisation éphémère et un souvenir figé. L’ambition de Capsula Mundi, au contraire, est de proposer un rituel circulaire : nos restes, ou nos cendres, seraient inhumés dans une capsule biodégradable en forme d’œuf, puis nourriraient un arbre planté juste au-dessus. Le lieu de mémoire devient alors une forêt-mémoire, vivante, évolutive, loin des stèles froides et des allées minérales.
Le projet se décline aujourd’hui en deux variantes. La première, toujours à l’état de prototype, concerne la capsule pour corps entier: un pod de grande taille, composé de bioplastique végétal, dans lequel le défunt (non embaumé) est placé en position fœtale avant d’être enterré sous un jeune arbre. Mais la législation italienne et européenne interdit pour l’instant toute inhumation sans cercueil traditionnel. La seconde, déjà commercialisée, est une urne biodégradable pour les cendres issues de la crémation. Plus compacte, cette capsule conçue à partir d’amidon ou de bioplastique d’origine végétale se dissout en quelques mois, permettant à l’arbre-mémoire de prendre racine presque immédiatement. Le choix des essences, comme le chêne, l’érable ou l’olivier, s’adapte au climat local et aux souhaits des familles, inscrivant chaque sépulture dans la continuité du paysage.
Sur le plan scientifique, Capsula Mundi s’inscrit dans le courant international des «green burials». Elle cherche à réduire la consommation de ressources rares, à limiter la pollution des sols – en bannissant formol, béton ou métaux – et à transformer les cimetières en véritables puits de carbone. L’idée séduit par sa promesse: contribuer à la reforestation et à la biodiversité, transformer nos lieux de deuil en espaces écologiques. Mais, en réalité, la quantité de nutriments apportée par un corps ou des cendres demeure modeste. Les cendres, par exemple, sont très basiques et parfois chargées en métaux lourds, ce qui oblige à adapter le sol ou à sélectionner soigneusement l’essence plantée. La gestion de telles forêts-cimetières implique aussi un suivi sur plusieurs générations, pour garantir la survie des arbres et la transmission de la mémoire.
Ce passage du cimetière classique, avec ses tombes alignées et ses noms gravés, à la forêt-mémoire bouscule en profondeur nos repères. Le cimetière traditionnel offre un ancrage matériel, une adresse du souvenir, un ordre social. L’arbre, lui, privilégie une mémoire plus vivante, qui évolue au fil du temps et des saisons. Ce nouveau rituel séduit une génération soucieuse d’écologie, de lien au vivant, mais il déstabilise aussi les traditions religieuses, les habitudes familiales et le rapport occidental à la mort individuelle. Capsula Mundi invite à une forme d’humilité nouvelle: accepter de ne plus être simplement un défunt identifié, mais un élément d’un écosystème qui nous survivra.
Sur le plan juridique, seule la capsule pour cendres a, à ce jour, franchi le cap de la légalité dans plusieurs pays, dont l’Italie, la France, le Canada et certains États américains. La capsule pour corps entier attend encore l’évolution des normes funéraires européennes. En France, quelques collectivités expérimentent la création de forêts mémorielles, mais le cadre réglementaire reste à préciser, notamment sur le type de terrain, la gestion à long terme et les droits de visite pour les familles.
Capsula Mundi n’est ni un gadget vert, ni un fantasme New Age. Demain, nos forêts seront-elles nos cimetières? Peut-être. Il reste que la révolution écologique du deuil ne pourra se faire sans accompagnement social, juridique et dialogue avec la tradition. La mort, devenue arbre, demeure l’ultime question posée à la modernité : que voulons-nous transmettre, et (surtout) à qui?



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