Liban-sud : un an après le cessez-le feu, le quotidien suspendu
©Ici Beyrouth

Un an après la signature du cessez-le-feu, le Liban-sud demeure une région marquée par la tension permanente. Même lorsque les frappes semblent s’atténuer, le souffle de la guerre plane toujours. Les bombardements sporadiques n’ont jamais totalement cessé, et chaque accalmie apparaît comme un simple répit dans un compte à rebours invisible. Ce quotidien fragile façonne une population partagée entre l’urgence de réparer et l’instinct de fuir.

Dans les villages frontaliers de Odeisseh, Khiam, Rmeich et Bint Jbeil, la reconstruction se fait par fragments. «On répare une vitre, on repeint un mur, mais pourquoi dépenser plus pour que ça soit détruit à nouveau ? Pourquoi réparer en sachant que c’est provisoire ? Rien n’est jamais vraiment terminé», souffle Mona, habitante de Marjeyoun. Les valises sont prêtes en permanence. Une routine aussi absurde que vitale.

La fragilité du quotidien : une routine d’entre-deux

Après plusieurs mois d’escalade, la population tente timidement de reprendre le cours de sa vie. «On ne fait que le minimum. On ne planifie plus. Le reste est en pause, comme nos vies», explique Hussein, père de trois enfants à Khiam. Les écoles rouvrent progressivement, et l’agriculture reprend dans les oliveraies endommagées, mais chaque activité reste suspendue à la prochaine frappe.

La solidarité locale compense l’absence d’institutions étatiques. «L’État promet la sécurité, mais il n’a plus les moyens ni la confiance de la population», témoigne Samir de Marjeyoun. Le sentiment d’abandon encourage certains habitants à envisager un exode intérieur.

Économie en apnée : quand la rumeur dicte le marché

La trêve fragile ne suffit plus à relancer l’économie. Les rumeurs se propagent comme une traînée de poudre, affectant profondément les marchés, les écoles, et les investissements, plongeant la population dans une incapacité quasi totale à planifier un avenir serein. Commerçants et consommateurs racontent une même histoire :  les marchés fluctuent au rythme des rumeurs. «Le problème, c’est que tout le monde est perdant : les clients, les commerçants, et l’économie locale», raconte Fahed, épicier à Khiam.

Rares sont les secteurs qui ont repris un rythme normal. «On ne peut plus planifier. Ni une saison touristique, ni une récolte, ni même l’achat de nouveaux produits», lâche d’un ton amer Georges, propriétaire d’un supermarché à Marjeyoun.

Les établissements scolaires fonctionnent, mais au ralenti. Même les universités du Sud voient leurs effectifs baisser : beaucoup d’étudiants vont à Saida ou à Beyrouth, préférant la distance à la peur. «Cette instabilité se répercute sur les écoles, où les parents craignent pour la sécurité de leurs enfants ce qui provoque de dizaines d’absences et une difficulté accrue à planifier l’année scolaire», affirme une directrice d’un lycée à Taybeh.

Rumeurs virales : le front numérique

Dans ce fragile équilibre, une autre guerre fait rage – silencieuse mais ravageuse : celle de l’information. Sur les réseaux sociaux et WhatsApp, l’angoisse se propage à la vitesse d’un missile, nourrie par un flux constant de vidéos, d’alertes et de spéculations. Dans cette sphère numérique sans filtre, la vérité se dissout dans un chaos d’informations contradictoires.

«On reçoit une information, puis son contraire. On ne sait plus quoi croire, ce qui nous empêche de reprendre une vie normale», raconte Lina, une habitante d’Ebel Saqi. La fatigue informationnelle s’installe.  «On est épuisés, par cette surcharge», avoue Samia, qui avoue avoir désactivée ses notifications trois fois ce mois avant de les réactiver par peur «de rater quelque chose d’important».

Au milieu de cette avalanche d’informations en ligne, les alertes relayées sur les réseaux sociaux créent intimidation et confusion. Pour illustrer :le village et la municipalité d’Aitaroun ont été alertés, le 17 novembre, d’une frappe imminente sans précision de date ou de lieu de la frappe. En quelques heures, des parents paniqués ont retiré leurs enfants de l’école, des familles ont pris la route, et des groupes WhatsApp ont relayé des messages alarmants, parfois contradictoires. Ce brouillard d’informations crée un climat de doute généralisé, où chaque menace, même non vérifiée, entraîne un mouvement de panique.

Survivre ou vivre ?

Des fake news circulent à leur suite, reprises sans vérification et parfois instrumentalisées pour attiser la peur ou fomenter la discorde. «Chaque jour, on entend parler d’un nouveau front qui pourrait s’ouvrir. La tension est là, toujours présente», soupire Farid. Le Sud n’affronte plus seulement les bombes : il combat l’incertitude, sublimée par ce cortège de notifications intrusives. Le temps s’est figé entre deux frappes, deux rumeurs, deux reconstructions. «On a survécu à pire», dit Maha, déplacée de Kfarkila. «Mais ce qu’on veut maintenant, ce n’est pas survivre. C’est vivre».

 

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