Montmartre en péril: le refuge du poète Jacques Prévert face à la réhabilitation du Moulin Rouge
Cette photographie, prise le 25 avril 2024, montre l’appartement où a vécu l’écrivain français Jacques Prévert (à l’arrière à gauche) et l’appartement où a vécu l’écrivain français Boris Vian (à l’arrière au centre), au-dessus du cabaret du Moulin Rouge à Paris. ©Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP

L’appartement parisien de Jacques Prévert, témoin vivant de l’histoire littéraire et artistique de Montmartre, est menacé par un projet d’extension du Moulin Rouge visant à restaurer la mythique salle Mistinguett. Témoignage de la vie et de l’œuvre du poète, où il partageait terrasse et fêtes avec Boris Vian, le lieu, devenu petit musée, pourrait disparaître, suscitant l’alerte du Conseil de Paris et des héritiers qui militent pour sa préservation «in situ».

L'appartement parisien du poète Jacques Prévert tombera-t-il aux oubliettes? Un projet d'expansion du Moulin Rouge destiné à ressusciter la scène de la légendaire Mistinguett des années folles menace l'ancienne demeure du poète, au cœur de l'emblématique quartier de Montmartre.

Le Conseil de Paris (assemblée délibérante de la Ville de Paris) réuni cette semaine a adopté un vœu demandant à l'État d'intervenir «rapidement» pour sauver ce patrimoine «unique», témoin de l'histoire culturelle et littéraire de la capitale française.

Jacques Prévert, dont l'œuvre a été traduite en plusieurs langues et continue à être étudiée en cours de français dans de nombreux pays, vécut plus de 20 ans Cité Véron, une étroite impasse bordée de vignes située derrière les ailes du célèbre cabaret, avant de s'installer en Normandie (nord-est) peu avant sa mort en 1977 à l'âge de 77 ans.

Son appartement ouvre sur une terrasse qu'il partageait avec Boris Vian et sa seconde épouse, Ursula Vian-Kübler, où se déroulaient les fêtes du Collège de Pataphysique, la société savante parodique inventée par Alfred Jarry.

Mais il fait aussi partie d'un site emblématique de l'histoire du spectacle vivant, celui où la légende du music-hall, Mistinguett, s'est produite pendant plus de dix ans, jusqu'au début des années 1930.

Ses grandes revues hissèrent le temple du «french cancan» au sommet de sa gloire, lui qui avait été entièrement détruit par un incendie en 1915.

«La salle Mistinguett, c'est la salle historique du Moulin Rouge», explique à l'AFP son directeur général, Jean-Victor Clérico.

La réhabilitation du site, à l'origine un théâtre à l'italienne, offrirait aux futures revues un «cadre scénique plus fort» que la salle accueillant aujourd'hui le public, entre 550.000 et 600.000 visiteurs par an, jugée «en bout de course».

Le cabaret parisien a donc décidé en septembre dernier de ne pas renouveler les baux des appartements de Jacques Prévert et Boris Vian, dont il est propriétaire depuis 2009, et que la salle Mistinguett englobait.

«On a jusqu'à mars 2026 pour partir», se désole auprès de l'AFP Eugénie Bachelot-Prévert, la petite-fille du poète et scénariste. Siège de l'association «Chez Jacques Prévert», l'appartement est aussi un petit musée qu'on peut visiter, seulement certains jours et sur demande.

«Toute la mémoire de mon grand-père»

Il contient le bureau de l'écrivain, son vieux téléphone, sa salle à manger, ses petites toiles et la chambre de sa fille Michèle, meublée du lit à baldaquin qui servit de décor au film Notre-Dame de Paris (1956) avec l'actrice italienne Gina Lollobrigida.

«Toute la mémoire de mon grand-père est là», résume l'héritière. Elle fait aussi valoir l'architecture si particulière à l'appartement que l'écrivain fit aménager par Jacques Couëlle, réputé pour ses maisons aux formes organiques et sculpturales.

Avec ses murs creusés de niches et blanchis à la chaux, c'est aussi «cet esprit méditerranéen en plein Paris qui sera détruit par le projet de transformation du Moulin Rouge», s'inquiète Eugénie Bachelot-Prévert.

Le Moulin Rouge lui a suggéré de relocaliser l'appartement ailleurs, emportant son mobilier.

Mais «une reconstitution ailleurs ne saurait restituer l'esprit et l'énergie du quartier Montmartre, inscrit dans la mémoire collective et dans l'histoire artistique du XXe siècle», selon la mairie de Paris.

Le vœu émanant des élus communistes demande à l'État de «reconnaître et protéger sans délai» le site «in situ», «dans le respect de sa mémoire».

L'héritière de Prévert, qui projette d'en faire un musée permanent, est en discussions avec la Direction régionale des affaires culturelles (Drac). Mais «personne du ministère de la Culture n'est venu voir l'appartement», regrette-t-elle. Le ministère n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP.

Le maire du 18ᵉ arrondissement, Eric Lejoindre, a proposé de son côté une médiation pour «regarder les solutions qui garantissent l'histoire du site tout en respectant les droits de propriété du Moulin Rouge». Sans retour pour l'instant, a-t-il précisé à l'AFP.

«Nos élus ont voulu prendre un coup de projecteur en amont des municipales. À aucun moment ils ne sont intéressés à notre projet, alors qu'ils sont bien contents de prendre la lumière du Moulin Rouge quand il faut», s'agace pour sa part Jean-Victor Clérico.

Il précise vouloir «laisser le temps de la discussion» avec les ayants droit de Jacques Prévert et Boris Vian, au-delà de mars 2026, sachant que la réhabilitation de la salle Mistinguett «s'étendra sur plusieurs années d'ici 2030».

Les ayants droit de Boris Vian, qui sont convenus avec le Moulin Rouge de ne pas s'exprimer dans les médias, se sont désolidarisés de la démarche de la petite-fille de Prévert.

Par Juliette COLLEN / AFP

 

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