Cinq mois après la guerre des douze jours qui a opposé, en juin dernier, Israël à l’Iran, et qui a ramené la République islamique plusieurs années en arrière dans sa course balistique, Téhéran se remet aujourd’hui en mouvement. Lentement au début, désormais à pleine vitesse, sous le regard prudent de Washington et de Tel-Aviv.
Des images satellites analysées ces dernières semaines montrent une réalité difficile à ignorer. Les sites frappés entre le 13 et le 24 juin 2025, notamment le complexe de Parchin situé au sud-est de Téhéran, et considéré comme un pilier historique du programme balistique iranien, sont désormais en reconstruction active, selon des sources sécuritaires interrogées par Ici Beyrouth. Les gravats disparaissent, les toitures sont remplacées, les parois des bunkers se reforment. «Le processus est engagé», avait confié, dimanche, un responsable américain à la chaîne al-Arabiya. «L’Iran reconstitue déjà son programme de missiles», avait-il insisté.
L’opération reste toutefois incomplète. Les machines clés, à savoir les mélangeurs planétaires permettant de produire le carburant solide pour les missiles, manquent toujours à l’appel. Ces équipements lourds, quasi impossibles à fabriquer localement, sont indispensables à la remise en ligne des chaînes de production. Téhéran tenterait d’en acquérir de nouveaux, notamment en Chine. Or, depuis la réactivation des sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU contre l’Iran le 27 septembre dernier, ces achats deviennent de plus en plus difficiles.
Un arsenal renouvelé
Les responsables sécuritaires israéliens en conviennent: la plupart des missiles stockés en surface ou dans des centres identifiés ont été détruits, mais les immenses tunnels creusés sous les montagnes iraniennes, eux, n’auraient pas tous été atteints. Une partie de l’arsenal, dissimulée dans des cavités profondes, aurait survécu.
Interrogé sur l’état réel de la reconstitution de l’arsenal balistique iranien, Jonathan Piron, spécialiste de l'Iran, chercheur associé au Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité (Grips) et professeur de relations internationales à l’école HELMo (à Liège), prévient d’emblée: «Nous sommes dans un véritable brouillard de guerre». Selon l’expert interrogé par Ici Beyrouth, le programme iranien est opaque, secret, inaccessible aux organismes indépendants. Toute estimation repose donc, d’après lui, sur un mélange de spéculations, de communications orientées, de propagande et parfois de désinformation. «On ne connaît ni la taille exacte du stock, ni l’état précis de ses infrastructures souterraines de production et de stockage», souligne-t-il.
Ce que l’on sait, en revanche, c’est que lors de la guerre des 12 jours, Téhéran a tiré un nombre important de missiles, avec des résultats très hétérogènes, avance-t-il. «Certaines des premières salves, composées de modèles plus anciens, ont raté leur cible ou même leur décollage, ce qui avait initialement laissé entrevoir une surestimation de la puissance balistique iranienne», rappelle-t-il. Toutefois, au fil des jours, d’autres missiles ont réussi à percer le Dôme de fer, ce bouclier antimissiles israélien. Les dégâts qu’ils ont causés restent cependant difficiles à évaluer: «Les autorités israéliennes ont strictement censuré toute publication concernant les impacts réels sur leur territoire», note M. Piron.
Pour l’analyste, cette opacité ne doit pas occulter une réalité: l’Iran dispose bel et bien d’une capacité de frappe significative, même si l’on ignore si Téhéran a engagé l’ensemble de ses moyens durant le conflit et si l’on sait peu de choses sur l’état exact de ses réserves actuelles.
Il n’en demeure pas moins, dans ce contexte, que les Iraniens ont tiré plusieurs leçons du conflit, dont l’importance d’opérer plus en profondeur, dans des sites plus enfouis et dispersés, pour prévenir d’éventuelles frappes préventives israéliennes. Ils semblent également avoir réussi à s’adapter au fonctionnement du Dôme de fer en privilégiant un volume de missiles plus élevé plutôt qu’une précision parfaite, comme l’indique le chercheur. L’objectif? Saturer les défenses israéliennes et tenir non plus quelques jours, mais potentiellement plusieurs semaines. «C’est aussi une manière de rétablir un rapport de force dissuasif», explique M. Piron. L’accumulation d’un stock plus important a donc une double fonction: opérationnelle et psychologique.
En effet, un missile moins sophistiqué, mais plus facile à produire, peut suffire à générer l’effet politique ou psychologique recherché. Dans ce contexte et comme rapporté par la chaîne 13 israélienne, si le rythme actuel se maintient, l’Iran pourrait disposer en quelques mois d’environ 2.000 missiles sol-sol prêts à l’emploi. Cette quantité serait similaire à celle qu’il possédait avant la guerre.
Vers une reprise du conflit direct Iran-Israël?
À la question de savoir si une reprise de la guerre est possible, M. Piron estime que ce qui est certain, c’est que le régime iranien se prépare activement à un nouveau choc avec Tel-Aviv. À ses yeux, «la question n’est pas si une nouvelle confrontation aura lieu, mais quand». «On est dans une logique de court à moyen terme: quelques mois à un an peut-être», affirme-t-il à cet égard.
M. Piron identifie plusieurs scénarios déclencheurs: une décision unilatérale du gouvernement israélien de Benjamin Netanyahou confronté à une crise politique interne, une montée de tensions à Gaza ou au Liban, des actions de sabotage attribuées à l’Iran, ou encore des signes d’une militarisation accélérée du programme nucléaire iranien. Le feu vert américain reste une variable, mais il n’est pas la seule. «On ne peut isoler aucun facteur», insiste-t-il, rappelant que personne n’avait anticipé l’attaque du 7 octobre.
Concernant l’hypothèse d’un transfert des nouveaux missiles reconstitués vers les proxys iraniens, notamment le Hezbollah au Liban, M. Piron reste prudent, soulignant deux éléments. D’une part, l’Iran pourrait être tenté de prioriser la sanctuarisation de son propre territoire avant d’aider ses alliés. D’autre part, certains proxys, comme les Houthis au Yémen, continuent de recevoir technologies et assistance. «Les alliés ont aussi leurs propres agendas, parfois divergents de celui de Téhéran», relève-t-il.
Au-delà des sanctions
La rapidité apparente de la reconstitution iranienne pose ainsi la question de l’efficacité des sanctions et des contrôles à l’export sur les matériaux sensibles. Là encore, M. Piron met en garde: faute d’informations fiables, on ignore si l’Iran reconstitue uniquement ses missiles balistiques ou s’il accélère aussi d’autres programmes, notamment celui des drones, domaine dans lequel il a acquis une expertise avérée. «Les Iraniens ont développé des compétences et une autonomie telles que même la perte de cadres stratégiques dans des frappes ciblées n’interrompt pas durablement leurs programmes», analyse-t-il. Les connaissances sont diffusées, internalisées et donc reproductibles.
Pour lui, la véritable question porte moins sur le stock exact que sur la doctrine d’emploi: a-t-elle changé? La stratégie iranienne s’oriente-t-elle vers une posture plus offensive, plus longue, ou plus dissuasive? Quelle serait la capacité réelle de projection et de défense intégrée de l’Iran aujourd’hui?




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