En Bretagne, les mégots de cigarette deviennent mobilier urbain
En Bretagne, les mégots de cigarette deviennent bancs et cendriers. ©Ici Beyrouth

Chaque année, des milliards de mégots de cigarette sont abandonnés dans la nature, dispersant plastiques et toxiques jusque dans les océans. En Bretagne, une entreprise, MéGO !, transforme ce fléau environnemental en mobilier urbain, esquissant les contours d’une filière de recyclage inédite en Europe.

À l’échelle de la planète, le mégot de cigarette figure parmi les déchets les plus présents et les plus insidieux. La pollution qu’il engendre reste largement sous-estimée : composé d’acétate de cellulose, un plastique dérivé, ce petit filtre concentre à lui seul plusieurs milliers de substances toxiques. Jeté au sol, il mettra jusqu’à quinze ans à se dégrader, tout en contaminant les sols et l’eau, parfois jusqu’à 500 litres pour un seul mégot. Environ la moitié des cigarettes consommées dans le monde finit ainsi son parcours dans la nature, transportée par les eaux pluviales vers les fleuves puis les mers.

Face à cette réalité, certains acteurs tentent d’apporter des réponses concrètes. MéGO !, entreprise installée à Bourg-Blanc, en Bretagne, a fait du recyclage des mégots le cœur de son activité. Son approche repose sur la collecte de filtres usagés, récupérés auprès de partenaires dans toute la France et parfois au-delà: municipalités, entreprises, organisateurs d’événements, établissements scolaires. Ces déchets sont ensuite dépollués par un procédé en circuit fermé, garantissant l’extraction des résidus chimiques et la séparation du tabac du plastique. Le tabac est valorisé sous forme de compost, tandis que le filtre, une fois lavé, est broyé puis transformé en granulés et en plaques de plastique recyclé.

Ce matériau est ensuite utilisé pour fabriquer du mobilier urbain: bancs, chaises, cendriers publics, distributeurs de gel hydroalcoolique. À ce jour, l’entreprise a déjà recyclé plusieurs millions de filtres, soit plus de 15 tonnes de mégots chaque année. Chaque objet produit incarne la possibilité d’une boucle vertueuse: détourner un déchet toxique de l’environnement, lui offrir une nouvelle utilité, tout en sensibilisant à la nécessité d’agir à la source.

L’exemple de MéGO ! illustre l’émergence d’une filière encore embryonnaire, mais potentiellement transposable ailleurs. Car le mégot, loin de n’être qu’un problème local, incarne un défi mondial. À l’échelle internationale, l’Organisation mondiale de la santé estime que 4,5 billions de mégots sont jetés chaque année dans l’environnement. Partout, la question de leur gestion se pose: comment organiser la collecte? Comment financer le traitement? Et, surtout, comment transformer le comportement des fumeurs et la responsabilité des fabricants?

Certaines juridictions ont adopté des mesures ambitieuses: l’interdiction de jeter des mégots dans la rue, le déploiement massif de cendriers publics, la création de filières de responsabilité élargie pour l’industrie du tabac, qui doit désormais contribuer au coût de la collecte et du recyclage. Toutefois, la solution technologique, aussi ingénieuse soit-elle, ne suffit pas. Le volume recyclé, même dans les usines les plus innovantes, reste modeste en comparaison de la production mondiale. Le véritable enjeu réside dans une transformation des pratiques: généralisation du tri à la source, campagnes de sensibilisation, pression accrue sur les fabricants pour repenser la conception du filtre ou en limiter l’usage.

Des voix s’élèvent aujourd’hui pour aller plus loin, réclamant l’interdiction pure et simple des filtres plastiques, responsables de cette pollution durable et difficile à nettoyer. D’autres plaident pour des alternatives compostables, ou pour une meilleure traçabilité des déchets du tabac. Ce débat traverse désormais plusieurs continents, porté par des ONG, des collectivités et, de plus en plus, par des entrepreneurs qui, à l’instar de MéGO !, démontrent que l’économie circulaire peut trouver des réponses, même à partir des déchets les plus petits.

Le mégot, longtemps symbole d’incivisme et d’indifférence, devient ainsi le point de départ d’une réflexion plus large sur la gestion des déchets, la responsabilité collective et la capacité à inventer de nouveaux usages. Transformer ce résidu en mobilier urbain, c’est réinscrire l’objet polluant dans la vie  d’une ville: bancs et chaises issus de la collecte rappellent que chaque geste compte, et que le recyclage, s’il ne suffit pas à résoudre la crise, trace au moins un chemin vers des villes plus propres et plus conscientes de leur impact.

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