John F. Kennedy: la naissance d’une malédiction
John F. Kennedy, l’étoile filante de la dynastie Kennedy. ©Ici Beyrouth

Accidents, assassinats, maladies : depuis plus d’un demi-siècle, la famille Kennedy semble condamnée à une succession de drames. À travers une série de portraits, retour sur les vies brisées et les destins contrariés de cette dynastie américaine, où la lumière du pouvoir côtoie l’ombre de la fatalité. Après un premier volet consacré à Tatiana Schlossberg, petite-fille du clan, cet article revient sur John F. Kennedy, président fulgurant et figure originelle d’une tragédie devenue mythe américain.

Dans l’histoire contemporaine, peu de noms évoquent autant d’aura, de passion et de tristesse que celui de John Fitzgerald Kennedy. Symbole du rêve américain, incarnation de la jeunesse et du progrès, il demeure aussi, pour beaucoup, le premier visage de la malédiction Kennedy, ce fil noir qui semble ourdir la trame de la dynastie depuis plus d’un demi-siècle.

Né en 1917 à Brookline, dans la banlieue de Boston, JFK grandit à l’ombre d’un père tout-puissant, Joseph Kennedy, homme d’affaires et stratège politique, qui rêve d’offrir à ses fils le destin dont il s’estime frustré. La fratrie Kennedy apprend très tôt la discipline, l’ambition et le sens du sacrifice: la réussite n’est pas une option, elle est un devoir. Mais cette ascension, bâtie sur le culte de l’excellence, s’accompagne d’une série de blessures précoces – la maladie, les accidents, la perte d’un frère aîné, Joseph Jr., disparu en mission durant la Seconde Guerre mondiale, qui précipite John dans l’arène politique.

John Kennedy n’a jamais été un enfant robuste. Souffrant de multiples problèmes de santé (notamment la maladie d’Addison et de graves maux de dos), il traverse l’enfance et l’adolescence entre les hôpitaux et les convalescences forcées, ce qui forge chez lui une endurance peu commune et un certain goût du défi. Après avoir étudié à la prestigieuse université de Harvard, il publie son premier livre, Why England Slept, alors qu’il n’a que 23 ans. Déjà, le jeune homme se distingue par sa curiosité intellectuelle et son sens de l’histoire.

Sa carrière politique débute à la Chambre des représentants, avant d’être élu sénateur du Massachusetts. À Washington, JFK se fait remarquer par son élégance, son éloquence, mais aussi sa capacité à fédérer, à transcender les clivages. En 1957, il reçoit le prix Pulitzer pour Profiles in Courage, ouvrage consacré au courage politique, qui participe à forger sa légende.

En 1953, John F. Kennedy épouse Jacqueline Bouvier, journaliste brillante et raffinée. Ensemble, ils forment rapidement un couple iconique, incarnant l’élégance et le glamour à l’américaine, et captivant l’attention du public. Sept ans plus tard, en 1960, JFK devient, à 43 ans, le plus jeune président élu au suffrage universel de l’histoire des États-Unis, et le premier catholique à accéder à la Maison-Blanche. Son visage juvénile, son élégance, la beauté magnétique de Jacqueline composent l’image d’une Amérique triomphante, ouverte sur la modernité et l’innovation. La presse, galvanisée, invente le mythe de «Camelot», ce royaume idéalisé, éphémère, où la jeunesse gouverne avec panache.

Mais derrière la vitrine se jouent d’autres drames, moins visibles. Kennedy, longtemps affaibli par des problèmes de santé tenus secrets, gouverne sous l’emprise constante de la douleur et de la médication. À la Maison-Blanche, il doit composer avec les tempêtes de la Guerre froid : fiasco de la Baie des Cochons, mise en place du blocus de Berlin, crise des missiles de Cuba, qui, en 1962, met la planète au bord de l’apocalypse nucléaire. Face à l’URSS, il tient la ligne du dialogue sans jamais céder à la peur. Son ambition est simple et impressionnante: préserver la paix tout en incarnant la grandeur américaine.

Le rêve américain brisé

Sur le front intérieur, Kennedy pose les premiers jalons du combat pour les droits civiques, s’engage pour l’égalité raciale et l’intégration, dans une Amérique encore déchirée par la ségrégation. Il prononce en juin 1963 un discours historique sur les droits civiques, qui ouvrira la voie au Civil Rights Act. Son programme, la «Nouvelle Frontière», entend propulser le pays vers une nouvelle ère: exploration spatiale, justice sociale, éducation, culture. Il crée le Corps de la Paix, encourage la recherche, défend l’idéal d’un engagement citoyen.

Mais le temps lui manque. Tout, chez Kennedy, semble destiné à la fulgurance: rien n’aura le temps de mûrir, tout restera à l’état de promesse.

Le 22 novembre 1963, à Dallas, un coup de feu met fin à la trajectoire du 35e président des États-Unis. L’Amérique bascule dans le deuil. La mort de JFK, diffusée en direct à la télévision, hante les mémoires: la limousine décapotable, le tailleur rose taché de sang de Jackie, le cortège funèbre où John Jr. salue le cercueil de son père – autant d’images qui scellent la tragédie nationale et inaugurent une ère d’incertitude. Pour la première fois, une génération entière fait l’expérience collective de la fragilité du pouvoir et du caractère éphémère du rêve américain.

Derrière l’assassinat, la commission Warren conclura à l’acte isolé de Lee Harvey Oswald, mais l’Histoire, elle, retiendra surtout l’irruption brutale du doute, la naissance de la «malédiction». Car, à travers JFK, c’est toute la lignée Kennedy qui semble frappée. Les années qui suivent, émaillées de morts prématurées, de scandales, de chutes, viendront alimenter le récit d’un destin qui défie la raison. Son frère Robert poursuivra le combat pour la justice avant d’être assassiné à son tour, renforçant la dimension tragique de la dynastie.

Pourtant, le legs de John Kennedy ne se résume pas à son absence. Son discours à l’Université Rice – «We choose to go to the Moon» – inspire toujours, tout comme son appel au courage et à l’engagement civique: «Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous ; demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays.» Sa jeunesse, sa vision, sa capacité à incarner un pays en mouvement, lui confèrent une part d’éternité. Mais c’est aussi cette même lumière qui, en s’éteignant trop tôt, a ouvert la voie à l’ombre – cette ombre de la fatalité qui plane, depuis lors, sur la famille Kennedy.

Aujourd’hui, JFK demeure à la fois une figure historique, un mythe fondateur, et le premier chapitre d’une tragédie moderne. Sa vie – et sa mort – posent la question de l’héritage: que fait-on du rêve inachevé, du destin brisé? Pour les siens, et pour l’Amérique tout entière, la blessure reste béante, et la légende, vivace. En Kennedy, c’est l’espoir qui survit à la tragédie, mais c’est aussi, déjà, le début de la malédiction.

À suivre : Robert F. Kennedy, l’idéaliste foudroyé 



 

 

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