Syrie: Soueïda sous tension, la mort de religieux druzes ravive les fractures
©ABDULAZIZ KETAZ / AFP

Quatre mois après l’accord de cessez-le-feu qui avait mis un terme à une semaine d’affrontements entre tribus bédouines et combattants druzes dans la province orientale de Soueïda, l’insécurité continue de miner la région. La trêve, conclue le 19 juillet via une médiation américaine et jordanienne, demeure fragile et a été violée à maintes reprises, y compris ces derniers jours avec des épisodes de violence particulièrement intenses.

Ce calme précaire a été encore plus durement secoué par la mort de deux religieux druzes, décédés en détention alors qu’ils étaient soupçonnés de collaboration avec le régime de Damas. L’affaire a suscité colère et indignation au sein d’une population déjà épuisée par le siège, la privation et la peur.

Selon une source informée à Soueïda, les cheikhs Raed el-Matni et Maher Falhout sont morts alors qu’ils étaient détenus par la «Garde nationale», une milice alignée sur le leader religieux Hikmat el-Hijri, critique virulent des autorités dirigées par Ahmad al-Chareh. Le groupe affirme que Matni a succombé à une overdose de médicaments contre l’hypertension et que Falhout a été victime d’un arrêt cardiaque. La source, qui a requis l’anonymat, affirme que la version est jugée peu crédible et assure que la majorité des habitants pensent que les deux religieux ont été torturés à mort.

Matni, très respecté dans la campagne orientale de Soueïda, avait été un proche de Hijri avant que leurs relations ne se détériorent, sur fond de violences récentes et suite à la création de la Garde nationale; initiative qu’il rejetait fermement.

Lorsque les affrontements ont éclaté entre communautés druzes et tribus bédouines, en juillet, le régime est intervenu avec une force écrasante et sans discrimination aucune. Le bilan a été catastrophique: plus de 1 000 morts, dont des centaines de civils, et près de 200 000 déplacés. Des accusations d’exactions à caractère communautaire imputées aux forces gouvernementales ont exacerbé les tensions, attisant un cycle de représailles et de méfiance.

Les hostilités avaient éclaté après plusieurs enlèvements, dont celui d’un commerçant druze le 12 juillet sur l’autoroute Damas-Soueïda. La situation s’est rapidement dégradée, entraînant la fermeture de l’axe vers la capitale.

À mesure que la violence s’intensifiait, Israël est intervenu, invoquant la protection de la minorité druze. Depuis fin 2024, l’armée israélienne a mené plusieurs frappes à l’intérieur du territoire syrien. Durant la crise de Soueïda, elle a ciblé des unités blindées du régime près de la province ainsi que des installations de défense à Damas. Ces interventions ont instauré un équilibre de forces tendu qui persiste à ce jour, empêchant tout règlement définitif tout en accentuant l’instabilité régionale.

Entre-temps, la communauté druze s’est réorganisée. Divers groupes armés, auparavant indépendants, se sont regroupés sous une structure militaire unifiée. Les habitants, quant à eux, se sont ralliés à el-Hijri, formulant des revendications claires concernant l’autonomie et l’auto gouvernance. Leurs appels à Israël et à la communauté internationale traduisent un sentiment croissant de menace existentielle.

Sur le terrain, la situation à Soueïda est dramatique. La province est quasiment assiégée. La nourriture manque et elle est inabordable pour la plupart des familles. L’électricité et l’eau sont quasi inexistants. Les fonctionnaires n’ont pas été payés depuis des mois. L’aide humanitaire n’entre qu’au compte-gouttes, sévèrement contrôlée par Damas et très insuffisante pour subvenir aux besoins de centaines de milliers de personnes.

Une partie de l’aide transite également depuis Israël vers Soueïda, mais son volume demeure limité et sujet à controverse.

Après le retrait des forces du régime dans le cadre du cessez-le-feu, la Garde nationale a pris le contrôle de la ville de Soueïda ainsi que des villages du sud et de l’est de la province. La ceinture nord, plus proche de Damas, reste fermement contrôlée par le régime. Selon des évaluations locales, environ 70% de la population soutient aujourd’hui Hikmat el-Hijri.

Cependant, la mort des deux religieux a révélé des fractures au sein même de la communauté druze, mettant en lumière les rapports de force instables qui façonnent l’avenir de Soueïda. Avec une province meurtrie par le siège, l’effondrement institutionnel et l’ingérence d’acteurs locaux et extérieurs, le risque d’une reprise des violences à grande échelle demeure élevé.

À l’approche de l’hiver, alors que les besoins humanitaires explosent, Soueïda se trouve à un carrefour périlleux: un peuple éreinté, une scène politique fracturée, et un horizon assombri par l’incertitude, le deuil et la crainte persistante d’une nouvelle flambée de violence.

 

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