Deux mois après la décision du ministre du Travail Mohammad Haïdar imposant la régularisation de tous les travailleurs étrangers d’ici fin 2025, quel impact sur la main-d’œuvre syrienne? Avec des sanctions sévères prévues contre tous les employeurs de ressortissants arabes et étrangers en situation irrégulière, la réforme redessine progressivement l’un des secteurs les plus sensibles du marché du travail libanais.
Depuis l’exode massif des Syriens vers le Liban en 2011, lié à la guerre civile, les autorités libanaises les ont désignés comme des «déplacés» plutôt que des «réfugiés», évitant ainsi de leur reconnaître des droits permanents ou temporaires. Sur le plan légal, cela signifie que tout Syrien présent au Liban sans permis de séjour ou de travail est en situation irrégulière et peut être rapatrié. Ce retour peut se faire volontairement, en coordination avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ou de force, ce qui relève de la prérogative souveraine des autorités libanaises.
400 000 travailleurs syriens
Selon les chiffres croisés du HCR et des autorités libanaises, le Liban compterait aujourd’hui près de 400 000 travailleurs syriens, qu’ils soient en situation régulière ou non. Un chiffre forcément approximatif, faute de statistiques officielles, tant une grande partie de cette main-d’œuvre évolue dans l’informel ou en situation illégale sur le marché du travail.
Dans un contexte plus large, environ 716 000 déplacés syriens restent enregistrés auprès du HCR au Liban et, selon les estimations officielles, un nombre équivalent ne serait pas enregistré.
En dépit de l'initiative lancée en juillet dernier par le HCR, en collaboration avec le gouvernement libanais - qui prévoit l'élimination des amendes, la prise en charge des frais de transport et une aide financière de 100 dollars par personne pour les Syriens qui souhaitent rentrer volontairement, en plus de la somme de 400 dollars qui sera versée à chaque famille dès son retour sur le sol syrien - la présence des déplacés syriens au Liban n'a presque pas diminué. Fin octobre, il n'y avait que 210 000 dossiers clôturés, un chiffre largement inférieur aux attentes.
Des permis de travail conditionnés pour les Syriens
Consciente du rôle essentiel de la main-d’œuvre syrienne dans plusieurs secteurs économiques, la ministre des Affaires sociales, Hanine Al-Sayyed, a indiqué que «le gouvernement libanais se concentre sur les camps informels où vivent environ 200 000 réfugiés». L’exécutif envisagerait d’accorder des permis de travail, notamment dans l’agriculture, le bâtiment et l’industrie, aux personnes capables de subvenir aux besoins de leur famille et qui resteraient au Liban si leurs proches choisissaient de retourner en Syrie.
Il convient de rappeler que de nombreuses entreprises libanaises emploient des Syriens sans les déclarer, à la fois pour réduire leurs coûts et parce que la loi imposant un travailleur étranger pour trois travailleurs libanais reste difficile à appliquer dans des secteurs comme le bâtiment (plomberie, carrelage, maçonnerie…), l’industrie, le nettoyage ou la gestion des déchets, où la main-d’œuvre locale fait cruellement défaut.
Ce recours massif à la main-d’œuvre étrangère révèle un déséquilibre structurel : le système éducatif libanais reste focalisé sur des filières traditionnelles – médecine, droit, ingénierie, commerce – ou sur des secteurs émergents comme l’intelligence artificielle, tout en délaissant les métiers techniques pourtant très recherchés sur le marché du travail.
Allègement des procédures de régularisation
Le patronat appelle à un assouplissement et à une plus grande flexibilité des procédures de régularisation de la main-d’œuvre syrienne, ainsi qu’à une réduction de leur coût, estimant que le marché du travail en dépend toujours. Une mesure qui ferait d’une pierre deux coups : elle générerait des recettes supplémentaires pour le Trésor et faciliterait le fonctionnement des entreprises industrielles et du secteur du bâtiment.
Certes, la régularisation des travailleurs demeure un véritable casse-tête. Mais ce n’est pas un problème insoluble : une gestion rigoureuse et adaptée serait à la fois utile et indispensable. Il faut dire que la majorité de ces travailleurs sont entrés au Liban illégalement, par des voies de contrebande. Leur mise en conformité impliquerait donc, en principe, une expulsion suivie d’une réadmission légale.
Du côté du secteur agricole, les acteurs économiques plaident pour des dérogations spécifiques afin de tenir compte de la nature saisonnière et journalière du travail fourni par les ouvriers syriens.




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