Un an après la chute du régime de Bachar el-Assad, le Liban se trouve face à une opportunité historique: établir avec la nouvelle Syrie une relation équilibrée et juste, fondée sur le respect de la souveraineté et du droit, ainsi que sur le règlement sérieux des dossiers en suspens. Cette chance dépend toutefois d’une position libanaise unifiée, d’une ouverture syrienne pour reconnaître les responsabilités du passé et d’un soutien arabe et international garantissant le respect effectif de tout accord.
Un an après la chute d’Assad, les évolutions à Damas ne se reflètent pas de la même manière dans les relations libano-syriennes. Le changement politique a ouvert une nouvelle page, mais les dossiers anciens continuent de peser sur le lien entre les deux pays, qu’il s’agisse des déplacés, des frontières, des détenus ou des disparus. Le Liban se trouve désormais face à une occasion historique pour bâtir une relation équilibrée avec la nouvelle Syrie, sous réserve que ces dossiers soient traités en toute transparence et non selon des logiques de compromis conjoncturels.
Les dossiers sensibles à traiter
Le dossier des réfugiés syriens reste le principal obstacle, avec plus d’un million de déplacés vivant aujourd’hui au Liban. Dans un contexte de crise économique sévère, leur présence a coûté plus de 40 milliards de dollars en plus d’une décennie. Malgré l’amélioration de la situation sécuritaire en Syrie et le retour progressif des déplacés depuis les pays voisins, le retour depuis le Liban reste lent et limité.
Cela s’explique par l’absence de garanties officielles syriennes protégeant les rapatriés contre les arrestations ou les représailles, le refus de la communauté internationale de financer tout retour qui ne serait pas qualifié de «volontaire» et l’absence d’un plan libano-syrien liant le retour à la reconstruction. Entre les craintes libanaises d’un réalignement démographique et les pressions internationales, le dossier des déplacés demeure ouvert à toutes les hypothèses, sans vision partagée claire.
Parallèlement, le dossier des Syriens détenus au Liban est tout aussi sensible. Des milliers de Syriens ont été arrêtés pendant la guerre, certains pour des crimes ordinaires, d’autres pour des motifs politiques ou sécuritaires. Avec le changement de régime à Damas, ce dossier a été réexaminé, mais sa gestion demeure complexe. Tout accord sur l’extradition ou le jugement des détenus en Syrie doit être assorti de garanties de procès équitables et ne pas constituer une forme de transfert forcé échappant au contrôle de la justice libanaise. Ce dossier constitue un test direct de la capacité des deux pays à bâtir une relation fondée sur le respect de la loi et non sur des arrangements purement sécuritaires.
Toutefois, la blessure la plus profonde dans la mémoire libanaise reste celle des disparus. Des centaines de familles ignorent toujours le sort de leurs proches disparus dans les prisons et centres de détention syriens pendant la guerre civile et la période de l’occupation syrienne. La chute du régime a permis l’ouverture de certaines archives sécuritaires, révélant de nouvelles informations sur des lieux d’inhumation et des centres de détention, mais la vérité complète reste inaccessible.
Le Liban ne peut pas tourner la page avec la Syrie sans une commission d’enquête indépendante dotée de larges pouvoirs et bénéficiant de garanties arabes et internationales, chargée d’établir le sort des disparus, de déterminer les responsabilités et d’indemniser les familles. Changer de régime n’efface pas la mémoire et la réconciliation ne peut se fonder sur des fosses communes anonymes.
Enfin, les frontières restent l’un des dossiers les plus complexes entre les deux pays. Le Liban, qui a finalisé ses frontières maritimes avec Israël en 2022 et signé un accord de délimitation avec Chypre en 2025, ne dispose toujours pas d’un tracé complet de ses frontières terrestres et maritimes avec la Syrie. L’absence de ce tracé a d’ailleurs favorisé un trafic illicite important, exploité par des réseaux liés à des forces politiques et sécuritaires des deux pays, permettant le transit d’armes, de marchandises et de personnes.
Avec le changement de pouvoir à Damas, une occasion se présente pour régler ce dossier par un tracé officiel des frontières, mettant fin à la contrebande, rétablissant le contrôle des passages illégaux et consolidant la souveraineté de l’État libanais. Sur le plan maritime, la délimitation au nord est devenue une nécessité économique et sécuritaire face à l’intensification des tensions autour du gaz en Méditerranée orientale, nécessitant des négociations précises pour protéger les intérêts stratégiques du Liban à long terme.
Ces quatre dossiers majeurs ne sont pas les seuls à redessiner les relations entre les deux pays. Le changement à Damas se répercute directement sur le Liban, en particulier sur le rôle du Hezbollah, qui a participé pendant une décennie à la guerre en Syrie, sur l’avenir de la coopération sécuritaire aux frontières et sur le sort des réseaux de contrebande qui ont prospéré durant les années de conflit.
Des interrogations persistent également sur la réorganisation des relations commerciales, énergétiques et diplomatiques, ce qui rend la prochaine étape plus complexe qu’il n’y paraît.
Un an après la chute d’Assad, le Liban se voit offrir une occasion rare d'établir une relation équitable et d'égal à égal avec la nouvelle Syrie, une relation fondée sur le respect de la souveraineté et de la loi, et reposant sur un traitement sérieux des dossiers en suspens. Mais cette occasion ne pourra se concrétiser sans une position libanaise unifiée, une ouverture syrienne afin de reconnaître les responsabilités du passé et un parrainage arabe et international garantissant le caractère contraignant de tout accord. Les dossiers historiques peuvent soit être réglés de manière équitable pour ouvrir une nouvelle phase de coopération, soit rester en suspens, condamnant le Liban à payer le prix de sa géographie et de son histoire au lieu de transformer ces facteurs en opportunité de stabilité.
La Syrie a changé, certes, mais la relation avec elle changera-t-elle pour autant ? L’avenir des relations entre les deux pays dépendra de la réponse à cette question.


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