La commémoration du premier anniversaire de la chute du régime de Bachar el Assad a ravivé plusieurs enjeux politiques au Liban comme en Syrie. À cette occasion, les milieux politiques inféodés à «l’axe de la résistance» ont tenté de remettre en circulation un discours médiatique vantant les supposés «mérites» de l’ancien régime baasiste, en l’opposant au nouveau pouvoir syrien qu’ils continuent à diaboliser.
Cette date a également été marquée par la diffusion, sur la chaîne Al Arabiya, de vidéos montrant Assad au volant de sa voiture en compagnie de Louna Chebel, son ancienne conseillère limogée un mois seulement avant sa disparition dans un accident de voiture aux circonstances jamais élucidées. Ce qui a particulièrement retenu l’attention dans ces enregistrements, ce sont les propos empreints de mépris utilisés par Assad pour évoquer les combattants du Hezbollah déployés en Syrie afin de sauver son régime.
La loyauté imposée par l’Iran
Il est établi que ces combattants ne se sont jamais engagés par conviction idéologique pour le Baas ni par loyauté envers Assad. Leur présence répondait exclusivement aux injonctions de la République islamique d’Iran. Ils ont toutefois pu constater de près les méthodes d’un régime rompu aux «alliances» opportunistes, uniquement guidées par les intérêts directs de la «famille régnante». Cette dernière n’a cessé d’éliminer, d’emprisonner ou de pourchasser ses opposants historiques en Syrie et au Liban, ainsi que ses anciens alliés, dès lors que ces derniers contestaient l’ordre établi ou devenaient moins utiles.
Le régime Assad n’a ainsi jamais entretenu de relations basées sur la confiance, mais sur la vassalisation totale. Toute déviation, même minimale, pouvait entraîner l’assassinat de la personne concernée ou l’élimination de la direction d’un parti allié.
C’est ce même régime qui, dès son accession au pouvoir, a contribué à la déstabilisation du Liban, afin d’y intervenir militairement en pompier pyromane, restructurer de force le paysage politique local et s’assurer une mainmise durable, en attendant une annexion de facto. Le Liban fut aussi utilisé comme carte de négociation avec l’Occident et dans le conflit syrien-israélien.
Les illusions d’un soutien populaire
Dans ce contexte, il n’est guère étonnant que d’anciens alliés du régime syrien s’interrogent sur la liesse exprimée dans certaines rues de Beyrouth à l’occasion de ce premier anniversaire. Et ce, malgré des décennies de propagande présentant l’ancien régime comme le «protecteur des chrétiens» et le garant de la pluralité au Levant.
Une image pourtant démentie par les faits: c’est ce même régime qui a fait assassiner des dirigeants politiques, des journalistes, des intellectuels et des civils, chrétiens comme musulmans au Liban, et qui a bombardé l’ensemble du territoire, causant des dizaines de milliers de morts. Même après son retrait militaire, il a continué d’imposer une influence étouffante sur la vie politique libanaise, selon une logique fondamentalement totalitaire.
Les manifestations observées à Beyrouth, où certains participants brandissaient des drapeaux syriens, n’ont donc rien de surprenant. Pourtant, la rue sunnite, dans sa grande majorité, ne s'était pas spontanément mobilisée en faveur du nouveau gouvernement syrien ni de son président, Ahmad al Chareh, contrairement aux anticipations de plusieurs analystes et médias proches de l’ancien régime.
Les provocations du Hezbollah
Ceux qui se sont indignés de la présence de drapeaux étrangers ont d’ailleurs omis de rappeler un point essentiel: c’est la première fois, depuis la chute d’Assad, qu’une telle scène se produit. Ils n’ont pas non plus établi le lien avec les provocations répétées du Hezbollah à l’égard des sunnites et de leurs symboles tout au long de l’année.
L’exemple le plus flagrant reste l’affront fait au Premier ministre libanais lorsque le Hezbollah a ouvertement défié sa décision d’interdire la manifestation prévue à Raouché, tout en utilisant le portrait de Rafic Hariri lors de cet événement. S’y ajoutent les défilés de scouts du Hezbollah scandant des slogans en persan, arborant les couleurs iraniennes et affichant des photos de l’ayatollah Khomeiny. Ces mêmes groupes avaient pourtant été salués par certains des critiques d’aujourd’hui pour l’accueil qu’ils avaient réservé au Pape… alors qu’ils exhibaient aussi les symboles de la République islamique d’Iran.
Redéfinir l’identité et la souveraineté libanaises
Il est impératif, avant toute chose, que chacun se recentre sur son identité libanaise, première, essentielle et indérogeable et qu’elle soit pleinement revendiquée. Une identité qui ne peut véritablement s’exprimer que dans le cadre d’un État souverain, adossé à une armée nationale légale, seule garante de la défense des frontières, de la sécurité nationale et de l’autorité exclusive du pouvoir politique légitime.
Par ailleurs, les relations avec le nouveau gouvernement syrien doivent désormais être abordées selon des critères strictement institutionnels et normaux, comme il sied à deux États souverains entretenant des relations diplomatiques, partageant une frontière et assumant des responsabilités communes, notamment en ce qui concerne le retour des déplacés, dont l’arrivée massive au Liban résulte directement des politiques du régime Assad.
Ce nouveau modèle d’interaction, que Damas semble pour l’instant respecter, ouvre la voie à des rapports plus équilibrés entre les deux pays. Pourtant, il apparaît évident qu’une partie des Libanais, qu’ils aient été alliés ou adversaires de l’ancien régime, peine encore à accepter ou à comprendre cette transition majeure après un demi-siècle de domination assadienne.
Il convient enfin de souligner que la confiance envers le nouveau pouvoir syrien ne pourra s’établir durablement qu’en fonction de ses performances réelles et de sa capacité à s’éloigner des accusations d’extrémisme religieux violent auxquelles il demeure confronté.




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