Accidents, assassinats, maladies : depuis plus d’un demi-siècle, la famille Kennedy semble condamnée à une succession de drames. À travers une série de portraits, retour sur les vies brisées et les destins contrariés de cette dynastie américaine, où la lumière du pouvoir côtoie l’ombre de la fatalité. Après un premier volet consacré à Tatiana Schlossberg, la petite-fille de JFK, puis des épisodes sur John F. Kennedy, Robert F. Kennedy, David Kennedy, ce cinquième chapitre s’attarde sur Jackie Kennedy : incarnation d’une élégance blessée, entre lumière, secret et survie.
Sous les ors de la Maison-Blanche, dans la lumière tremblante des crépuscules new-yorkais ou sur les terrasses balayées par le vent de la Méditerranée, le visage de Jackie Kennedy demeure, énigmatique et familier. Derrière le sourire mesuré, les tailleurs pastel, la voix feutrée, il y a le secret d’une femme que l’histoire n’aura jamais réussi à saisir tout entière : une icône érigée à la croisée du mythe et de la mélancolie.
Née Jacqueline Lee Bouvier en 1929, dans l’opulence disciplinée de la côte Est, elle grandit parmi les rites subtils de l’élite américaine. Enfant douée, cavalière émérite, lectrice passionnée, elle évolue dans les salons mondains, apprend très tôt à se faire discrète tout en captant chaque regard. Entre les murs feutrés de la maison familiale, elle observe, écoute, forge sa légende intime: celle d’une jeune fille qui rêve de beauté, d’art, de liberté. À Paris, sur les bancs de la Sorbonne, la jeune Jacqueline affine un goût singulier pour la littérature, l’histoire, la nuance – une palette qui deviendra la marque de son destin.
Lorsque, en 1953, elle épouse John Fitzgerald Kennedy, jeune sénateur brillant et ambitieux, c’est tout un siècle qui bascule. La voici propulsée dans l’arène politique, héroïne d’une modernité qui fascine la presse et inquiète les vieilles familles. À trente-et-un ans, elle devient la plus jeune Première dame de l’histoire, imposant d’emblée une empreinte nouvelle : élégance silencieuse, raffinement instinctif, curiosité insatiable. Jackie ne joue pas la mondaine : elle restaure la Maison-Blanche, y fait entrer l’art, la culture, la musique, donne à la politique américaine le parfum du vieux monde. Par touches délicates, elle réinvente l’image de la puissance, fait de la présidence un théâtre de la grâce.
Mais derrière le vernis éclatant, la solitude s’invite, tapie dans l’ombre des photographes. Le destin s’acharne : fausses couches, perte d’un enfant, rumeurs d’infidélités qui blessent sans jamais rompre le masque. La vulnérabilité, chez Jackie, n’est pas une faille: elle devient manière de survivre aux tempêtes. Les Américains découvrent alors une femme qui, sous la lumière crue, oppose la pudeur à la cruauté du sort.
Puis vient Dallas, ce jour de novembre 1963 où l’Histoire bascule dans l’horreur. Jackie est là, à côté de John, lorsque les balles déchirent le rêve américain. Le monde entier retient son souffle devant l’image de la Première dame, ensanglantée, tenant la main de son mari assassiné. Cette image fait le tour du globe, imposant à jamais la figure de Jackie comme symbole de dignité dans l’abîme. Le deuil devient son vêtement: elle orchestre les funérailles, veille sur la mémoire de JFK, invente la légende de Camelot, où l’idéal se confond avec la perte.
Mais la vie ne se laisse pas entièrement dévorer par le chagrin. En 1968, Jackie épouse Aristote Onassis, milliardaire grec, titan de la Méditerranée. L’Amérique s’émeut, s’indigne, comprend mal ce choix. Pour beaucoup, c’est une fuite, une trahison du mythe Kennedy. Pour elle, c’est d’abord un geste de protection – pour ses enfants, pour elle-même, contre la férocité d’une époque avide de scandale et de tragédie. Ce mariage, orageux, cosmopolite, la conduit sur d’autres rives : Jackie la Méditerranéenne, silhouette noire sur fond de mer Égée, tente de réinventer sa vie sous les flashes insistants.
Après la mort d’Onassis, Jackie choisit l’ombre et la discrétion. À New York, elle devient éditrice, arpente les allées feutrées des maisons de livres, se consacre à la préservation du patrimoine et à l’éducation. Elle ne se confie jamais tout à fait: la peur d’une destinée toujours frappée par la fatalité, restent contenus dans un regard, une façon de détourner la conversation. Jackie reste, pour tous, une énigme. Elle est le dernier visage d’une Amérique révolue, celle où l’élégance n’était pas qu’une question de mode, mais une forme de résistance à la brutalité du monde.
Elle s’éteint en mai 1994, à soixante-quatre ans, laissant derrière elle une image intacte, une légende sans cesse réinventée. Son nom évoque encore la lumière des salles de bal, et surtout la beauté traversée d’ombre d’une femme qui n’aura jamais appartenu qu’à elle-même. Jackie Kennedy, l’élégance en clair-obscur, incarne la possibilité d’un style qui sauve tout, même l’irréparable.
À suivre: John F. Kennedy Jr.: le rêve brisé de l’héritier


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