Faillite et dépôts en péril, prévient Alain Hakim
©Ici Beyrouth

Au Liban, les débats s’intensifient autour des solutions à l’effondrement financier et bancaire qui perdure depuis plus de cinq ans, en l’absence d’un plan officiel de redressement global, clair et équitable, fondé sur une répartition juste des pertes. Alors que certaines propositions visent à faire assumer au seul secteur bancaire l’intégralité du coût de la crise, des économistes et anciens responsables alertent sur les conséquences désastreuses d’un tel choix : menace directe sur les dépôts des épargnants et effondrement de la crédibilité du système financier, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

Dans ce contexte, la responsabilité de l’État revient au premier plan. Principal bénéficiaire du financement de ses déficits par la Banque du Liban, l’État multiplie pourtant les tentatives pour se soustraire à toute prise en charge substantielle des pertes. Ces débats s’inscrivent également dans le cadre des négociations ardues avec le Fonds monétaire international, où l’absence de justice et de transparence dans toute stratégie de sauvetage demeure un obstacle majeur à la restauration de la confiance, à l’obtention d’un soutien international et à l’arrêt de l’effondrement monétaire et économique.

Au cœur de cette équation complexe, l’ancien ministre libanais de l’Économie, Alain Hakim, propose une lecture globale de la crise. Il met en garde contre les risques d’une faillite totale du secteur bancaire, tout en insistant sur la priorité absolue de protéger les dépôts, condition indispensable à toute relance économique. Dans une lecture critique des propositions en circulation, Hakim souligne les dangers des engagements à long terme en l’absence de véritables réformes, rappelle le rôle incontournable de l’État dans la prise de responsabilités, et avance des alternatives concrètes pour réinjecter de la liquidité dans l’économie. Selon lui, malgré la complexité de la situation, une solution reste possible à condition d’une volonté politique réelle et d’une gouvernance rigoureuse.

Dans une déclaration à «Houna Loubnan», Alain Hakim a averti que faire porter aux banques l’intégralité du coût de la crise financière conduirait inévitablement à une faillite généralisée du secteur bancaire. Un tel scénario signifierait l’arrêt de son activité, la perte totale de confiance à l’échelle nationale et internationale, et, par conséquent, l’effondrement complet du système financier.

Selon M. Hakim, cette issue placerait les dépôts des épargnants face à un risque sérieux de disparition ou de ponctions sévères, en l’absence de tout mécanisme crédible de protection, qu’il s’agisse d’un fonds de garantie efficace ou d’une intervention directe de l’État. Il a également indiqué que les banques seraient privées de leur capacité à satisfaire aux exigences minimales de solvabilité légale, détruisant ainsi un secteur qui avait jusqu’ici réussi à se maintenir.

M. Hakim précise que les liquidités actuellement disponibles dans certaines banques — qu’il s’agisse de liquidités en espèces, de fonds détenus à l’étranger auprès de banques correspondantes, ou encore d’actifs tels que les biens immobiliers et les eurobonds, dont les prix ont remonté jusqu’à environ 21 cents — ne couvrent qu’une part limitée des dépôts. Ces ressources, largement insuffisantes pour combler l’ensemble du gap financier, sont en outre peu liquides par nature, ce qui limite la capacité des banques à poursuivre leur activité normale sans plan de redressement intégré.

Concernant la proposition d’émettre des obligations à long terme, M. Hakim a expliqué que l’objectif est d’étaler le coût des pertes sur une longue période afin d’éviter un choc immédiat, avec des maturités allant de 5 à 10, voire 20 ans selon les instruments. Cette approche pourrait, en théorie, contribuer à la reconstitution progressive du bilan de la Banque du Liban, mais son efficacité dépendrait d’une stabilité politique réelle, d’une gouvernance rigoureuse et d’une transparence totale.

Il a toutefois mis en garde contre les risques de telles obligations si elles ne s’inscrivent pas dans une véritable stratégie de réformes, soulignant qu’elles pourraient accentuer la pression sur le taux de change et alimenter l’inflation.

En outre, l’ancien ministre a insisté sur le caractère central du rôle de l’État dans toute solution durable, dénonçant sa tentative persistante de se soustraire à sa responsabilité directe dans la crise, alors qu’il a été le premier bénéficiaire du financement de ses déficits par la Banque du Liban. Ces fonds, a-t-il rappelé, constituent en réalité une dette de l’État — autrement dit, l’argent des citoyens qui doit être restitué. L’absence de contribution significative de l’État viole le principe d’équité et prive toute stratégie de la confiance des citoyens, de la communauté internationale et des institutions financières, compliquant davantage les négociations avec le FMI et compromettant toute reprise durable.

Selon lui, tout plan de sauvetage crédible doit reposer sur une répartition équitable des pertes entre l’État, les banques et la Banque du Liban, afin de préserver ce qu’il reste des dépôts et de lier cette démarche à une relance économique effective.

S’agissant des solutions concrètes, M. Hakim estime que la sortie de crise «n’est pas facile, mais reste possible». Elle passe avant tout par une réinjection de liquidités dans l’économie libanaise. Il a évoqué la possibilité d’utiliser l’excédent de l’or, destiné à l’origine aux situations exceptionnelles, sans y toucher intégralement, à travers des instruments financiers permettant d’en faire un actif productif plutôt qu’un stock immobilisé.

Combinée à une fraction des réserves obligatoires, cette mobilisation pourrait permettre de fournir entre 18 et 20 milliards de dollars de liquidités à la Banque du Liban. M. Hakim a rappelé qu’entre 2011 et 2016, la BDL injectait environ 1,5 milliard de dollars par an pour soutenir l’activité économique, estimant que les montants aujourd’hui disponibles seraient suffisants, dans le cadre d’un plan clair, pour répondre aux besoins des déposants, stimuler la consommation et relancer l’investissement.

Hakim a enfin affirmé que la crise actuelle est avant tout une crise de liquidité, et non de solvabilité, appelant à une injection progressive des fonds selon un calendrier maîtrisé, conjuguée à un contrôle strict de la gestion monétaire et de la circulation du cash, afin d’éviter toute attaque contre la liquidité ou tout effet pervers.

En conclusion, il a souligné que les obligations actuellement évoquées relèvent des Asset-Backed Securities (ABS), des titres adossés à des actifs, s’interrogeant toutefois : «Adossés à quels actifs et garantis par qui, dans un contexte de défiance envers l’État ?» Selon lui, aucun instrument financier, quelle que soit son appellation, ne peut réussir sans confiance, sans réformes réelles et sans une réelle prise de responsabilité.

 

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