Dépôts menacés: la Gap Law responsabilise banques et déposants, et exonère l’État
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L’application de l’article 113 du Code de la monnaie et du crédit – qui stipule clairement que si la Banque du Liban enregistre des pertes, celles-ci doivent être couvertes par le Trésor libanais, sans précision de montant ni de devise – constitue la seule voie pour rétablir la confiance dans le système financier et relancer l’économie.

Le sort des dépôts des épargnants est au cœur de la crise financière libanaise. Il ne s’agit pas uniquement de chiffres ou de bilans: la question touche directement la vie de milliers de familles et affecte l’ensemble de la stabilité économique du pays. Dans un contexte d’effondrement financier persistant et d’érosion brutale du pouvoir d’achat de la monnaie nationale, a émergé ce que l’on appelle la «Gap Law», un cadre censé déterminer l’ampleur des pertes du système financier libanais et les répartir entre l’État, les banques et la Banque du Liban.

Selon cette loi, l’objectif serait double : clarifier les responsabilités et créer un cadre légal pour traiter la crise. Mais son impact sur les déposants et sur le secteur bancaire reste vivement contesté, notamment face aux accusations selon lesquelles elle marginalise les droits des épargnants et fait peser sur eux l’essentiel du coût de la crise. Le texte a ainsi ouvert un débat houleux sur la justice financière, les droits de propriété publique et privée, et la capacité de l’État à protéger l’épargne des citoyens, alors que l’économie libanaise affronte des défis sans précédent sur tous les plans.

Selon Nassib Ghobril, économiste en chef et directeur de la recherche à la Byblos Bank, toute loi appelée à statuer sur le sort des dépôts devrait poursuivre un objectif primordial: restaurer la confiance dans l’économie et provoquer un choc positif pour le système financier libanais. Or, le projet actuellement en cours sous le nom de «Gap Law» est loin d’atteindre ces objectifs et ne contribue ni à rétablir la confiance ni à soutenir efficacement l’économie.

Ghobril précise que, contrairement aux annonces en début d’année qui prévoyaient un partage des responsabilités entre l’État, la Banque du Liban et les banques commerciales, le projet de loi ne fait peser aucune responsabilité sur l’État. « On dirait que la République libanaise n’est qu’un spectateur, comme si elle découvrait la crise par hasard et n’était pas concernée par ce qui se passe sur le terrain », affirme-t-il.

Résultat, selon Ghobril: le déposant se retrouve à supporter la charge aux côtés des banques, en particulier ceux dont les avoirs dépassent 100.000 dollars. La loi impose aux banques des pertes supérieures à leur capacité d’absorption, ce qui pourrait pousser certaines à la faillite. Dans un tel scénario, les déposants perdraient une part substantielle de leurs fonds et ne récupéreraient que des montants dérisoires.

Ghobril avertit, en outre, que l’application de cette loi encouragerait certaines banques à se retirer purement et simplement du marché, transférant de facto la situation à la Banque du Liban. Depuis le début de la crise, l’option la plus simple pour les banques aurait été de déclarer faillite et de s’en remettre à la banque centrale, qui aurait alors liquidé leurs actifs et restitué aux déposants une fraction infime de leurs fonds. Or, jusqu’à présent, aucune banque n’a emprunté cette voie et le secteur a continué de fonctionner, préservant ainsi les dépôts et les droits des épargnants. Si, en revanche, les banques étaient contraintes à la liquidation en vertu de la loi proposée, les déposants ne récupéreraient qu’une part très limitée de leur argent.

L’expert critique également une vision qui semble vouloir affaiblir le secteur bancaire libanais, présenté comme non nécessaire à la croissance économique, ce qui risquerait de maintenir le Liban dans une économie informelle évaluée à environ 6 milliards de dollars et sur les listes grises de l’Union européenne.

Pour Ghobril, l’exigence fondamentale reste l’application du Code de la monnaie et du crédit. Il rappelle que l’article 113 stipule que les placements des banques commerciales auprès de la Banque du Liban constituent des dettes commerciales, c’est-à-dire des obligations de la banque centrale envers les banques commerciales.

Qualifier la situation de « faille financière » serait inapproprié. « Ce serait comme si la Banque du Liban avait dilapidé les fonds de manière irresponsable ou les avait “joués au casino” », insiste Ghobril. La réalité est tout autre : ce sont les politiques de l’État qui ont gaspillé des milliards, que ce soit dans le secteur de l’électricité ou pour soutenir un taux de change fixe, comme le confirment tous les communiqués ministériels publiés au cours des trente dernières années, jusqu’en 2018.

Ghobril met également l’accent sur l’importance d’appliquer l’article 113 du Code de la monnaie et du crédit, qui prévoit explicitement que les pertes de la Banque du Liban doivent être couvertes par le Trésor libanais, sans précision de montant ni de devise. La mise en œuvre de cette disposition est, selon lui, indispensable pour restaurer la confiance dans le système financier et relancer l’économie. La responsabilité doit être assumée par les trois parties, à commencer par l’État libanais, faute de quoi il sera extrêmement difficile de sortir de la crise, de rétablir la confiance et de réactiver efficacement l’activité bancaire.

Pour l’heure, la loi reste bloquée au sein du Conseil des ministres et devrait être transmise ultérieurement au Parlement pour vote; une perspective peu probable à l’approche des élections législatives et face à la montée des mouvements de protestation des déposants opposés à un texte qui amputerait une partie de leurs économies. De telles mesures, soutiennent-ils, constituent une violation manifeste du principe de la propriété privée, de la Constitution libanaise et des règles les plus élémentaires de justice.

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