Le projet de la Gap Law, également appelé loi sur la régularisation financière, doit être examiné en Conseil des ministres lundi. Le Premier ministre Nawaf Salam a loué ce texte, le présentant comme le premier cadre juridique global visant à récupérer les dépôts et à traiter la fissure financière de manière méthodique et équitable, dans les limites des moyens disponibles; et ce, après six années de paralysie, d’érosion silencieuse des dépôts, de gestion chaotique de la crise financière et de destruction de la classe moyenne libanaise.
Dans son introduction, Nawaf Salam a nourri de faux espoirs chez les déposants, à la veille de l’adoption par le gouvernement d’une loi qui, en réalité, exonère l’État de ses responsabilités et lui accorde un acquittement total pour des décennies de corruption, de gaspillage et de fonds publics dilapidés; qu’il s’agisse de subventions, de pertes dans le secteur de l’électricité ou du maintien artificiel du taux de change; des pertes qui dépassent les 50 milliards de dollars.
Nawaf Salam avait raison d’affirmer que le Liban entre dans une nouvelle phase. Ce qu’il omet de préciser, en revanche, c’est que cette phase se caractérise par l’anéantissement de ce qu’il reste des fonds des déposants et, avec eux, de ce qu’il subsiste du secteur bancaire, afin de dissimuler les dérives des gouvernements successifs et d’éviter que l’État n’en supporte le moindre coût.
Le projet de loi élaboré par le gouvernement ne met pas fin à l’érosion des dépôts: il les efface pur et simple. Il ouvre la voie à une catastrophe sociale et ne traite en rien la fissure financière de manière structurée. Comment le Premier ministre peut-il affirmer que ce texte limite la fuite devant les responsabilités et le déni des pertes?
La Gap Law peut être résumée comme suit:
• Cette loi constitue un revers majeur pour le gouverneur de la Banque du Liban, Karim Souhaid, et pour l’approche qu’il défend depuis le début des discussions sur la crise des dépôts; une approche fondée sur une hiérarchie et une répartition équitable des responsabilités, partant du constat qu’il s’agit d’une crise systémique dont l’État libanais porte la responsabilité première, suivi de la Banque centrale, puis des banques commerciales.
• Le texte impose aux banques de couvrir l’intégralité des pertes estimées à environ 30 milliards de dollars à la Banque du Liban, alors même que l’État a reconnu une dette envers celle-ci de 16,5 milliards de dollars. Si cette dette est admise, la loi ne précise ni les modalités ni le calendrier de son remboursement.
• Le projet oblige les banques à absorber l’ensemble de la fissure financière à la Banque du Liban selon des ratios déterminés par l’ampleur des engagements de la Banque centrale envers chaque établissement, ce qui conduirait de facto à l’insolvabilité des banques et à leur faire porter l’intégralité du coût.
• Dans ce texte, l’État ne s’impose aucune obligation financière, alors qu’il est le premier responsable de la perte des fonds.
• En occultant la responsabilité de l’État dans le coût de la fissure, les rédacteurs oublient que ce sont les politiques publiques qui ont dilapidé des milliards, que ce soit dans l’électricité, la stabilisation du taux de change ou les subventions.
• La loi accorde à l’État le droit de déterminer le montant de sa dette envers la Banque centrale par simple accord entre les deux parties; une formulation qui lui permet d’échapper à ses obligations au nom du principe de «soutenabilité de la dette».
• Comment un texte prétendant traiter la fissure financière peut-il ignorer l’application de l’article 113 du Code de la monnaie et du crédit, qui stipule explicitement que les pertes de la Banque du Liban doivent être couvertes par le Trésor libanais?
• La loi se contente d’offrir au Conseil des ministres une option non contraignante d’injecter des fonds propres dans la Banque du Liban au titre de l’article 113, alors que cette disposition est obligatoire, fondamentale et non négociable. Il semble que le trio Salam–Bsat–Jaber ait oublié que le non-respect de cet article constitue une infraction passible de poursuites.
• Le projet ne prend pas en compte une dette d’environ 84 milliards de dollars due aux banques et ne considère pas les réserves obligatoires détenues à la Banque du Liban -estimées à 11 milliards de dollars- comme des fonds appartenant aux banques et aux déposants, mais comme une contribution de la Banque centrale à la couverture des pertes.
• Il est inacceptable d’exiger des banques de verser 14 milliards de dollars sans intégrer ces réserves, qui leur appartiennent de droit et relèvent en réalité des déposants. La loi prévoit un paiement à partir de l’argent des banques et des déposants, et non des fonds propres de la Banque centrale.
• Le texte est en contradiction flagrante avec le discours du Premier ministre Nawaf Salam et les engagements pris par le ministre des Finances Yassine Jaber, le ministre de l’Économie Amer Bsat et le gouverneur Karim Souhaid.
• La loi proposée constitue un véritable massacre à l’encontre des déposants, transformant leurs pertes en une réalité juridique définitive.
• Elle propose aux déposants la restitution de leurs fonds sous forme d’obligations dépourvues de garanties réelles, à échéances différées et à valeur inconnue.
• Sa mise en œuvre, dans sa forme actuelle, porterait un coup fatal à la confiance des investisseurs et des déposants, nuisant à l’activité économique et privant le Liban de toute perspective de redressement rapide.
• Le texte ne protège ni les droits des déposants ni le secteur bancaire, et sacrifie ces droits en remplaçant les dépôts par des obligations non couvertes.
• Nawaf Salam se trompe en affirmant que les déposants ne subiront aucune ponction sur leur capital: celle-ci existe bel et bien, à travers les conditions opaques de ces obligations. Derrière une apparence rassurante, ces instruments risquent de ne valoir presque rien et relèvent davantage de «chiffres théoriques sans fondement».
• La charge imposée aux banques dépasse leurs capacités et pourrait entraîner la faillite de certains établissements, ce qui se traduirait par la perte de l’essentiel des dépôts.
• Le projet incite donc la sortie des banques du marché, permettant alors à la Banque centrale de liquider leurs actifs et de ne restituer aux déposants qu’une part infime de leurs avoirs.
• Il ignore l’article 13 du Code de la monnaie et du crédit, qui qualifie explicitement les placements des banques commerciales auprès de la Banque du Liban de dettes commerciales, c’est-à-dire d’obligations de la Banque centrale envers les banques.
• Toute réduction ou annulation partielle de ces placements ne saurait être qualifiée de mesure technique neutre, mais constitue une confiscation indirecte de l’épargne.
En définitive, l’application de cette loi -qui n’est ni un plan de redressement ni un projet de sauvetage, mais un cadre juridique organisant l’effondrement généralisé du secteur bancaire et la disparition légalisée des dépôts- conduit à une seule équation et à un seul résultat:
• La liquidation de l’ensemble du secteur bancaire libanais et l’anéantissement des économies des déposants.
• Au terme de ce «mensonge» porté par la loi Salam–Bsat–Jaber, la Banque du Liban détiendrait 55 milliards de dollars, tandis que les déposants n’auraient plus rien.
• L’État libanais sera alors «l’État le plus riche du monde», avec zéro obligation, zéro dette et zéro coût d’indemnisation des déposants.
Conclusion: adieu à l’argent des déposants!



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