«Dirty, Difficult, Dangerous» de Wissam Charaf primé à Venise
Dirty, Difficult, Dangerous, du réalisateur franco-libanais Wissam Charaf, est le film d’ouverture du Giornate degli Autori de la 79e Mostra de Venise. Le long-métrage est le lauréat du prix Label Europa Cinemas 2022 de la meilleure projection de film européen.



Dirty, Difficult, Dangerous (ou Sale, Difficile Dangereux) est un film de lumière. Celle des horizons proches des montagnes ou plus lointains, derrière la mer… celle des corps qui s’entrelacent dans un élan d’amour, et celle aussi du courage surnaturel et de l’espoir.

Le film relate une histoire d’amour au cœur de Beyrouth, entre une employée de maison éthiopienne et un réfugié syrien qui vend «Fer, Cuivre, Batteries»… Un film fait au rythme de l’exil, de la discrimination mais surtout de l’amour qui transcende… tout. «Tu dois me protéger.» Mais peut-on même se protéger soi-même?



Un film fait au rythme des déplacements. À l’arrière d’une camionnette ou dans un bus, deux êtres se tiennent côte à côte dans les espaces ouverts ou fermés, avec entre eux un instant de sérénité volé à la dureté de la vie et à l’ironie du sort, avec pour seul élément porteur, le vent, symbole de cette liberté qu’on va même jusqu’à leur envier. Il nous reste les souvenirs communs d’un brassage de culture qui nous ont accompagnés; des airs familiers de Rémi Bandali, Zeid Hamdan, des pensées qui voltigent avec Le Petit Penseur de Rodin, et une main qui refuse les dollars qu’on lui tend; l’humanité existe encore.

Le film de Wissam Charaf fait le schéma inverse, transporte le spectateur de l’universel au particulier. Il nous restera l’image d’une femme assise sur une chaise au sommet des montagnes, dans le désert de la solitude, les cheveux et le linge au vent, sous le soleil. Et puis les enlacements éphémères ou éternels de deux êtres amoureux. Il nous restera un «lève-toi et marche». Et le vent.

Puisse-t-on ne plus jamais regarder chaque «étranger» que l’on croise de la même façon…



Comment est née l’idée?

En 2012, c’était le début de la guerre en Syrie. On voyait débarquer à Beyrouth des réfugiés syriens. Ils n’avaient que leurs mains pour travailler et parcouraient les rues en répétant «Hadid, Nhass, Bettariyet» soit «Fer, Cuivre, Batteries», le titre arabe du film. Ils rapportaient tout ce que les gens leur donnaient et faisaient leur trajectoire interminable. D’autre part, il y avait ces femmes de ménage éthiopiennes qui aidaient leurs employeurs, souvent de vieilles personnes, à marcher, et les portaient en quelque sorte. J’ai donc vu ces deux trajectoires parallèles de gens qui portaient indéfiniment… Cela m’a touché. Je me demandais comment les relier. En prenant en considération la perception de la société libanaise, j’ai trouvé que la chose la plus parlante, la plus belle et presque «politiquement incorrecte», serait de leur permettre de s’aimer, de tisser une histoire d’amour entre eux et réaliser le film le plus tendre possible pour que la tendresse l’emporte sur la situation extrêmement dure à laquelle sont confrontés les marginaux au Liban, qu’ils soient réfugiés, femmes de ménage ou domestiques. Pour fuir les tire-larmes, j’ai décidé d’élever le film vers un autre lieu, différent du documentaire triste. J’ai donc introduit l’aspect onirique, de vampire ou de bras qui se transforme en métal. Ce côté science-fiction fait basculer le film dans une originalité qui se distingue par rapport à ce thème-là.

Pouvez-vous nous parler du processus de tournage?

Pour des questions de production et de coproduction, on a tourné ce film en Corse dans les deux villes de Bastia et Corte; la plupart des intérieurs avec des acteurs libanais et des acteurs français venus respectivement des deux pays. Les scènes extérieures à Beyrouth et celles des camps de réfugiés syriens impossibles à restituer à l’étranger ont été minimalisées sur dix jours au moment de la pénurie d’essence. On devait également suivre les lois du camp de réfugiés, faire des aller-retours et gérer l’argent et la pandémie de la Covid… Notre expérience a été celle que vivaient les gens au quotidien. Le tournage demeure une belle expérience de collaboration entre l’équipe corse au Liban travaillent avec des techniciens libanais et vice-versa, des acteurs libanais avec des techniciens corses…

Comment le choix des acteurs a-t-il été fait?


Pour le rôle principal, on était à la recherche d’une jeune éthiopienne qui puisse parler l’arabe. Des milliers vivaient au Liban, mais ce film était tourné en majeure partie en Corse pour des raisons de production. On a finalement trouvé à Paris l’actrice idéale pour ce rôle: Clara Couturet, mais elle ne parlait pas un mot d’arabe. Tout son texte a donc été appris en arabe phonétique. De même pour l’acteur, Ziad Jallad, qui a dû apprendre l’accent syrien.

Quels étaient les critères de jeu que vous recherchiez?

La fragilité des comédiens dans un contexte très dur et un air de mélancolie dans le regard, celui de personnes qui ont vu des choses très dures qui les poursuivent après. De plus, qu’ils fassent un beau couple vraisemblable.

Parlez-nous de la direction d’acteurs.

C’est un schéma inhabituel; je leur ai demandé plutôt de ne pas jouer. Dans mon cinéma, je donne la tonalité, pas nécessairement à la prise mais plutôt au montage. Ils jouent très neutre, mais ensuite je dose le ton d’un film, à cheval entre une certaine mélancolie ou tristesse et un ton burlesque à l’autre extrême. Cela peut passer de l’un à l’autre très vite avec dans le décalage cynisme et cruauté… Ce sont de très petites nuances. Il faut donc que les acteurs soient le plus neutre possible afin que je puisse associer les couleurs et les tons ultérieurement.

Avez-vous rencontré des difficultés?

Ils étaient très différents de taille; Ziad est très grand et Clara est très petite et menue. Elle a dû jouer en parlant l’arabe qu’elle ne connaît pas, ainsi que l’éthiopien. Elle portait des doubles semelles pour que le couple ne fasse pas «Laurel et Hardy», ce qui n’était pas chose facile. Clara a surtout été horrifiée et choquée par le traitement qu’on réservait aux éthiopiennes au Liban.

Vous attendiez vous à recevoir le prix Label Europa Cinemas 2022?

J’avais commencé à écrire ce film à Venise en 2012. J’étais caméraman et travaillais pour Arté. On couvrait le festival. Je prenais le café du matin, m’installais et écrivais… Par pur hasard, je me retrouve dix ans plus tard à Venise, participant au Giornate degli Autori de la Mostra de Venise, équivalent de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Cette sélection très prestigieuse était très serrée. Au programme, Abel Ferrara, Steve Buscemi… On a été élus meilleur film européen. C'est une très bonne nouvelle qu’un film libanais gagne un prix dans une pareille sélection.

C’est aussi un progrès pour moi; mon premier long métrage, Tombé du Ciel (2016) avait été projeté à Cannes à L’ACID, dans la sélection des films indépendants.

Quels sont vos plans futurs?

Je monte un court-métrage que j’ai tourné au début de l’été et je développe deux projets de longs-métrages qu’on tentera de filmer au plus vite dans les années à venir.



Marie-Christine Tayah
@mariechristine.tayah
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