Dans le cadre de Beyrouth Livres, la Maison internationale des écrivains à Beyrouth lancera l’ouvrage Ce qui nous arrive (publié aux éditions Inculte), le 30 octobre à 19h 15, à l’Institut français, rue de Damas. À cette occasion, Charif Majdalani, président de cette association, répond aux questions de l’Agenda Culturel.
Après ces 3 années de bouleversements, qui ne sont d’ailleurs pas encore derrière nous, comment se porte la Maison internationale des écrivains à Beyrouth et quels sont ses projets?
Comme nombre d’associations et d’organismes culturels, la Maison internationale des écrivains a dû interrompre ses activités, dès la fin de 2019, à cause des crises diverses et à cause de la disparition de son argent dans les banques. Mais nous n’avons pas vécu en hibernation, nous n’avons pas baissé les bras durant les trois années passées. Courant 2019, nous avions un projet de rencontres sur la ville et ses problèmes dans le monde contemporain, avec Beyrouth comme métaphore. Une résidence de l’écrivaine grecque Ersi Sotiropoulos était prévue aussi, qui a finalement été annulée à cause de la confiscation de notre argent. Après l’explosion du 4 août et l’aide apportée par la communauté internationale au Liban, et parmi celle-ci celle de l’Institut français à la Maison des écrivains, nous avons préparé des rencontres littéraires, mais sur une tonalité plus dramatique. Il s’agissait d’inviter une quinzaine d’écrivains (de Laurent Gaudé à Olivier Rolin, en passant par Maylis de Kerangal) ayant connu Beyrouth et de les entendre évoquer la ville d’avant la crise et l’explosion, et celle d’après. L’intention, terrible mais ô combien symbolique, était d’organiser ces rencontres sur les lieux mêmes où la Maison des écrivains avait l’habitude de proposer ses activités au public: théâtre, galerie d’art ou musée d’art moderne – des lieux qui ont tous été détruits par l’explosion. Hélas, la deuxième vague mondiale du Covid-19 fait tout avorter.
Laissant le temps passer, nous avons repris l’idée de ces rencontres, mais de manière réduite, et d’organiser, à l’été 2021, une série de conversations avec un groupe restreint d’écrivains, non plus sur le thème de Beyrouth avant/après, mais sur celui de la catastrophe, dans laquelle le Liban et le monde se trouvent décidément englués. Nouvelle manifestation du syndrome du mythe de Sisyphe: l’exacerbation de la crise libanaise, à l’été 2021, la disparition complète du fuel et de l’électricité font, pour la quatrième fois, capoter le projet.
La décision demeure néanmoins inflexible de poursuivre par n’importe quel moyen ce dialogue sur les catastrophes, sur ce qui nous arrive à travers elles et, par-delà nos différences, ce qui nous unit contre elles. À défaut de pouvoir réunir les écrivains, et dans la crainte d’un nouvel échec, l’association choisit de poursuivre ce dialogue à distance en demandant aux cinq écrivains initialement sollicités pour venir parler de leur expérience d’en faire désormais le récit par écrit, sous la forme d’une petite fiction. C’est ainsi que naît l’ouvrage intitulé Ce qui nous arrive, sorti le 12 octobre, qui sera présenté durant le festival Beyrouth Livres, en présence des cinq coauteurs: la Grecque Ersi Sotiropoulos, l'Haïtien Makenzy Orcel, le Français du Japon Michaël Ferrier et les deux écrivains libanais Camille Ammoun et Fawzi Zebian.
Quel est le thème de l’ouvrage «Ce qui nous arrive»?
Dans ce livre se trouvent réunies cinq fictions ayant pour sujet les catastrophes qui touchent le monde depuis le début du millénaire et qui résultent tantôt des ruades de la nature, tantôt des actes irresponsables de ceux qui dirigent le destin des peuples et de la planète. D'Haïti à Fukushima, en passant par Beyrouth et Athènes, ces catastrophes (tremblement de terre, explosion, accident nucléaire ou écologique, crise économique) réveillent des échos similaires, parlent des mêmes traumas et des mêmes souffrances, et aussi parfois des mêmes capacités de résurrection et de recommencement.
L’idée du recueil est liée au choc causé par l’explosion du 4 août 2020 dans le port de Beyrouth et à ses conséquences, une explosion qui a mêlé en elle les composantes et la forme tant du séisme que de la déflagration atomique. Mais le fait que le projet d’un tel ouvrage part de Beyrouth vient de ce que la capitale libanaise et le Liban tout entier vivent aussi une crise économique qui est en train de se transformer en catastrophe sociale et écologique.
Longtemps, le Liban est passé pour un modèle, un pays «message», ou encore un laboratoire dans la gestion des complexités sociales du monde moderne. Naguère, c’était son système politique et sa gestion des différences communautaires et confessionnelles qui faisaient l’admiration du monde, ainsi que son système économique hyper libéral, ou encore ses capacités à se redresser après tous les coups durs. Aujourd’hui, il apparaît, à l’inverse, comme la métaphore de la mauvaise gouvernance, avant que la classe dirigeante libanaise, par son irresponsabilité et son laxisme, ne réussisse le tour de force de réunir tous les ingrédients et toutes les déclinaisons possibles de la catastrophe – explosion, séisme, crise économique, sociale et écologique – et d’en offrir au monde effaré le modèle ainsi condensé.
Pour les Libanais, parler de leur épreuve est devenu une épuisante routine. Confronter ce qui constitue le sujet constant de la préoccupation des citoyens de ce pays à ce que d’autres ont vécu, ou vivent encore, de similaire nous a semblé passionnant, et peut-être thérapeutique, comme le serait une thérapie de groupe. Mettre en commun le récit de la catastrophe et réfléchir à la manière dont l’homme en gère les conséquences, le souvenir et le traumatisme: telles sont donc les idées à l’origine de cet ouvrage.
Les 5 écrivains publiés dans l'ouvrage seront présents lors du festival Beyrouth Livres et interviendront le 30 octobre. Est-ce que des notes d’espoir y trouveront leur place?
On peut l’espérer, même si le monde ne nous donne pas à l’heure qu’il est un spectacle rassurant, ni les hommes qui le gouvernent des raisons de croire en leur sens des responsabilités. Mais il y a toujours moyen. Le beau texte de Michaël Ferrier, dans Ce qui nous arrive, offre ainsi de magnifiques échappées dans la quête du bonheur à partir de leçons venues du Japon. Et puis la littérature et l’art (comme le montrent aussi bien Michaël Ferrier que Makenzy Orcel) sont aussi des moyens de réfléchir au sens de désordre du monde, de lui donner sens, et donc de le rendre habitable, malgré tout.
Michaël Ferrier, sera en résidence à Beyrouth avant et après le festival. Ferrier est un écrivain français d’origine mauricienne et indienne, qui a passé son enfance au Tchad, qui vit au Japon, et dont une partie de l’œuvre traite des questions liées au désastre de Fukushima, mais aussi de son enfance africaine et du Japon. Il est l’auteur, entre autres, d’un saisissant Fukushima, récit d’un désastre (Gallimard). Charif Majdalani débattra avec lui le 28 octobre (Crypte de l’Université Saint-Joseph, à 18h), dans le cadre du festival où son Journal d’un effondrement sera confronté au récit du désastre de Fukushima…
Après ces 3 années de bouleversements, qui ne sont d’ailleurs pas encore derrière nous, comment se porte la Maison internationale des écrivains à Beyrouth et quels sont ses projets?
Comme nombre d’associations et d’organismes culturels, la Maison internationale des écrivains a dû interrompre ses activités, dès la fin de 2019, à cause des crises diverses et à cause de la disparition de son argent dans les banques. Mais nous n’avons pas vécu en hibernation, nous n’avons pas baissé les bras durant les trois années passées. Courant 2019, nous avions un projet de rencontres sur la ville et ses problèmes dans le monde contemporain, avec Beyrouth comme métaphore. Une résidence de l’écrivaine grecque Ersi Sotiropoulos était prévue aussi, qui a finalement été annulée à cause de la confiscation de notre argent. Après l’explosion du 4 août et l’aide apportée par la communauté internationale au Liban, et parmi celle-ci celle de l’Institut français à la Maison des écrivains, nous avons préparé des rencontres littéraires, mais sur une tonalité plus dramatique. Il s’agissait d’inviter une quinzaine d’écrivains (de Laurent Gaudé à Olivier Rolin, en passant par Maylis de Kerangal) ayant connu Beyrouth et de les entendre évoquer la ville d’avant la crise et l’explosion, et celle d’après. L’intention, terrible mais ô combien symbolique, était d’organiser ces rencontres sur les lieux mêmes où la Maison des écrivains avait l’habitude de proposer ses activités au public: théâtre, galerie d’art ou musée d’art moderne – des lieux qui ont tous été détruits par l’explosion. Hélas, la deuxième vague mondiale du Covid-19 fait tout avorter.
Laissant le temps passer, nous avons repris l’idée de ces rencontres, mais de manière réduite, et d’organiser, à l’été 2021, une série de conversations avec un groupe restreint d’écrivains, non plus sur le thème de Beyrouth avant/après, mais sur celui de la catastrophe, dans laquelle le Liban et le monde se trouvent décidément englués. Nouvelle manifestation du syndrome du mythe de Sisyphe: l’exacerbation de la crise libanaise, à l’été 2021, la disparition complète du fuel et de l’électricité font, pour la quatrième fois, capoter le projet.
La décision demeure néanmoins inflexible de poursuivre par n’importe quel moyen ce dialogue sur les catastrophes, sur ce qui nous arrive à travers elles et, par-delà nos différences, ce qui nous unit contre elles. À défaut de pouvoir réunir les écrivains, et dans la crainte d’un nouvel échec, l’association choisit de poursuivre ce dialogue à distance en demandant aux cinq écrivains initialement sollicités pour venir parler de leur expérience d’en faire désormais le récit par écrit, sous la forme d’une petite fiction. C’est ainsi que naît l’ouvrage intitulé Ce qui nous arrive, sorti le 12 octobre, qui sera présenté durant le festival Beyrouth Livres, en présence des cinq coauteurs: la Grecque Ersi Sotiropoulos, l'Haïtien Makenzy Orcel, le Français du Japon Michaël Ferrier et les deux écrivains libanais Camille Ammoun et Fawzi Zebian.
Quel est le thème de l’ouvrage «Ce qui nous arrive»?
Dans ce livre se trouvent réunies cinq fictions ayant pour sujet les catastrophes qui touchent le monde depuis le début du millénaire et qui résultent tantôt des ruades de la nature, tantôt des actes irresponsables de ceux qui dirigent le destin des peuples et de la planète. D'Haïti à Fukushima, en passant par Beyrouth et Athènes, ces catastrophes (tremblement de terre, explosion, accident nucléaire ou écologique, crise économique) réveillent des échos similaires, parlent des mêmes traumas et des mêmes souffrances, et aussi parfois des mêmes capacités de résurrection et de recommencement.
L’idée du recueil est liée au choc causé par l’explosion du 4 août 2020 dans le port de Beyrouth et à ses conséquences, une explosion qui a mêlé en elle les composantes et la forme tant du séisme que de la déflagration atomique. Mais le fait que le projet d’un tel ouvrage part de Beyrouth vient de ce que la capitale libanaise et le Liban tout entier vivent aussi une crise économique qui est en train de se transformer en catastrophe sociale et écologique.
Longtemps, le Liban est passé pour un modèle, un pays «message», ou encore un laboratoire dans la gestion des complexités sociales du monde moderne. Naguère, c’était son système politique et sa gestion des différences communautaires et confessionnelles qui faisaient l’admiration du monde, ainsi que son système économique hyper libéral, ou encore ses capacités à se redresser après tous les coups durs. Aujourd’hui, il apparaît, à l’inverse, comme la métaphore de la mauvaise gouvernance, avant que la classe dirigeante libanaise, par son irresponsabilité et son laxisme, ne réussisse le tour de force de réunir tous les ingrédients et toutes les déclinaisons possibles de la catastrophe – explosion, séisme, crise économique, sociale et écologique – et d’en offrir au monde effaré le modèle ainsi condensé.
Pour les Libanais, parler de leur épreuve est devenu une épuisante routine. Confronter ce qui constitue le sujet constant de la préoccupation des citoyens de ce pays à ce que d’autres ont vécu, ou vivent encore, de similaire nous a semblé passionnant, et peut-être thérapeutique, comme le serait une thérapie de groupe. Mettre en commun le récit de la catastrophe et réfléchir à la manière dont l’homme en gère les conséquences, le souvenir et le traumatisme: telles sont donc les idées à l’origine de cet ouvrage.
Les 5 écrivains publiés dans l'ouvrage seront présents lors du festival Beyrouth Livres et interviendront le 30 octobre. Est-ce que des notes d’espoir y trouveront leur place?
On peut l’espérer, même si le monde ne nous donne pas à l’heure qu’il est un spectacle rassurant, ni les hommes qui le gouvernent des raisons de croire en leur sens des responsabilités. Mais il y a toujours moyen. Le beau texte de Michaël Ferrier, dans Ce qui nous arrive, offre ainsi de magnifiques échappées dans la quête du bonheur à partir de leçons venues du Japon. Et puis la littérature et l’art (comme le montrent aussi bien Michaël Ferrier que Makenzy Orcel) sont aussi des moyens de réfléchir au sens de désordre du monde, de lui donner sens, et donc de le rendre habitable, malgré tout.
Michaël Ferrier, sera en résidence à Beyrouth avant et après le festival. Ferrier est un écrivain français d’origine mauricienne et indienne, qui a passé son enfance au Tchad, qui vit au Japon, et dont une partie de l’œuvre traite des questions liées au désastre de Fukushima, mais aussi de son enfance africaine et du Japon. Il est l’auteur, entre autres, d’un saisissant Fukushima, récit d’un désastre (Gallimard). Charif Majdalani débattra avec lui le 28 octobre (Crypte de l’Université Saint-Joseph, à 18h), dans le cadre du festival où son Journal d’un effondrement sera confronté au récit du désastre de Fukushima…
Lire aussi
Commentaires