Les familles de détenus face à l'enfer carcéral iranien
Torture, mauvais traitements, le système carcéral iranien est connu pour ses conditions de détention extrêmes, une souffrance pour les militants emprisonnés et leurs familles.

La militante des droits de l'Homme iranienne Narges Mohammadi, emprisonnée à Téhéran alors que son pays est le théâtre d'un vaste mouvement de contestation, n'a pas vu ses jumeaux de 16 ans depuis sept longues années, et ses conditions de détention viennent d'être durcies.

Elle n'a pas revu son mari, Taghi Rahmani - qui a lui-même passé des années dans des prisons iraniennes mais vit désormais en exil à Paris - depuis une décennie.

La militante des droits de l'Homme iranienne Narges Mohammadi avant son emprisonnement à Téhéran (AFP)

 

Cette militante et journaliste, âgée de 50 ans, est emprisonnée dans la prison d'Evine à Téhéran depuis bientôt un an. Elle a consacré sa vie à la défense des droits humains en Iran, s'opposant au voile obligatoire ou à la peine de mort dans la République islamique.

Dans une apparente réponse aux manifestations en cours en Iran, les autorités ont retiré à Narges Mohammadi, pour au moins les deux prochains mois, ses cartes de téléphone lui permettant d'appeler depuis la prison.

Elle avait déjà été privée depuis deux mois de tout coup de téléphone en France à ses enfants, Ali et Kiana. Elle ne peut désormais même plus joindre sa famille en Iran.

"Le système carcéral en Iran torture les familles", a accusé M. Rahmani, dans un entretien à l'AFP à Paris. "Ce n'est pas seulement une torture pour le prisonnier, mais pour toute sa famille".

Répression contre la contestation

Ce durcissement des conditions de détention de Mme Mohammadi intervient alors que les autorités iraniennes répriment une immense vague de contestation. A l'origine, la mort le 16 septembre de Mahsa Amini, une Kurde iranienne de 22 ans, trois jours après son arrestation pour avoir violé, selon la police des mœurs, le drastique code vestimentaire en vigueur.

Narges Mohammadi a reçu l'interdiction de parler au téléphone à son mari, figure de l'opposition très suivie sur les réseaux sociaux. "S'ils l'entendaient me parler, ils coupaient la ligne", fustige-t-il.

"Ils torturent nos enfants qui n'ont pas pu voir Narges depuis 2015. Je ne l'ai pas vue depuis 2010".

Des étudiants iraniens manifestent devant l'université de Tabriz (AFP)

 

La militante s'est vue en début de mois infliger une nouvelle condamnation à 15 mois de prison. Elle est accusée d'avoir provoqué des manifestations et doit désormais purger un total d'au moins 8 ans de prison.


"Elle ne participe à aucune audience. Le juge n'est pas indépendant et elle a dit qu'elle n'y prendrait pas part", explique M. Rahmani.

Narges Mohammadi avait rejoint dans les années 2000 le Centre des défenseurs des droits de l'Homme, fondé par l'avocate iranienne Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix en 2003, qui vit aujourd'hui à l'extérieur de l'Iran.

Elle avait réclamé justice pour les manifestants tués lors de la répression du mouvement de novembre 2019 et a remporté plusieurs prix internationaux en récompense de son travail pour la défense des droits de l'Homme.

Coups de fouet

Ses prises de position lui ont valu d'être arrêtée de multiples fois depuis 1998. Elle avait été libérée en octobre 2020 puis arrêtée à nouveau en novembre 2021 à l'extérieur de Téhéran, alors qu'elle assistait à une cérémonie d'hommage à un homme tué lors des manifestations de 2019.

La militante, qui souffre de problèmes de cœur, avait aussi écopé de 70 coups de fouet. Elle a été brièvement relâchée en avril pour raisons médicales, mais a été ensuite de nouveau transférée à la prison de Qarchak, à l'extérieur de Téhéran, puis à Evine.

"Narges est à Evine, qui est maintenant remplie de personnes arrêtées pendant les manifestations. Les conditions de détention à Evine et dans les prisons iraniennes en général sont très mauvaises", souligne M. Rahmani.

Amnesty International a décrit Mme Mohammadi comme "une prisonnière d'opinion", affirmant qu'elle avait été "soumise à la torture et à d’autres mauvais traitements" et que les autorités la privent "délibérément des soins de santé spécialisés qui lui sont nécessaires".

Images satellite de la prison d'Evine à Téhéran avant et après les incendies (AFP)

 

M. Rahmani a décrit la situation à la prison d'Evine comme "enflammée", rapportant que les actions de prisonniers en soutien de manifestants avaient conduit à des mesures répressives la nuit du 15 octobre où un incendie - qui au fait au moins huit morts parmi les détenus - s'est déclenché dans l'enceinte de l'établissement.

Certains détenus avaient été transférés dans la prison de Gohardasht, où ils avaient été accueillis par des "tunnels de bienvenus" : des rangées de forces de sécurité qui les frappaient en sortant du car, affirme-t-il, citant des sources internes à la prison.

Sa famille continue de payer le prix de leur opposition aux autorités iraniennes.

"L'un de nous était toujours là-bas (en prison) quand l'autre était dehors. La vie continue, mais c'est difficile. J'espère que quand les enfants grandiront, ils comprendront pourquoi nous nous sommes engagés", lance Taghi Rahmani.

"Narges ne reste pas silencieuse. Ce qui n'est pas acceptable pour le gouvernement iranien", ajoute-t-il. "La pression va s'intensifier maintenant".

Avec AFP
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