Le glas sonne-t-il pour l’accord de Mar Mikhaël ?
L’existence de deux ailes au sein du Courant patriotique libre est sans doute un secret de polichinelle.

La première aile critique ouvertement depuis un certain temps le Hezbollah et ses pratiques et pousse à une rupture de l’alliance avec ce dernier d’une manière ou d’une autre à travers la résiliation de l’accord de Mar Mikhaël, en place depuis 2006.

La seconde aile, quant à elle, trouve des circonstances atténuantes à ces pratiques et considère qu’il est dans l’intérêt du CPL, et plus largement du pays, de s’accrocher à cette entente, quels que soient les défis rencontrés.

En revanche, la nouveauté, que certains ignorent, est que ce clivage au sein du courant aounien est désormais présent aussi au sein du le Hezbollah.

Il existe ainsi, selon des sources bien informées, deux approches dans les rangs du parti. La première considère que le Hezbollah n’a non seulement plus aucun intérêt à maintenir l'entente avec le CPL, mais qu'elle lui porte même préjudice. La seconde incite au maintien de l’accord, dans la mesure où la perte d’un allié chrétien-clé mettrait le parti à découvert face à l’étranger et amplifierait ainsi ses crises et ses problèmes.

Un boulet pour le Hezbollah

Il s’agit de la première fois depuis la signature de l’accord de Mar Mikhaël que les deux partis remettent sérieusement en question l'utilité de leur alliance. C’est aussi la première fois que les voix des partisans du "divorce" sont les plus fortes. Lorsque la relation des deux parties traversait une zone de turbulences, c’était le camp aouniste qui prenait le pli d’opérer cette remise en question... avant de se plier ensuite aux décisions de son directoire.

La nouveauté est que c’est désormais le Hezbollah qui s’interroge sur l’opportunité de maintenir cette entente, à l'heure où les deux parties divergent sur plusieurs dossiers stratégiques. Et, partant, le parti chiite se demande si cela vaut encore vraiment la peine de s’accabler en permanence à trouver des circonstances atténuantes aux aounistes, et surtout de s'acharner à en convaincre le public du Hezbollah.

Le rôle militaire transfrontalier du Hezbollah constitue l'un des dossiers stratégiques les plus importants et la pierre d’achoppement entre les deux partis. Alors que les dirigeants du CPL rejettent en bloc ce rôle et considèrent qu’il doit se limiter à la scène intérieure pour l’instant, le Hezbollah, à l’instigation de Téhéran, trouve que sa capacité expansionniste dans la région est une grande réussite, fruit d’une planification de plusieurs décennies, et sur laquelle il n’est pas question de faire marche arrière maintenant, pour quelque raison que ce soit.

Divergences stratégiques


Les deux "pseudo-alliés" divergent également dans leur approche concernant des dossiers stratégiques tels que l’existence des armes et la main-d’œuvre palestinienne au Liban, de même que sur le bras de fer avec les pays du Golfe et Washington, en plus de désaccords sur des problématiques de fond récemment apparues au grand jour. Autant de gouttes d’eau qui pourraient fort bien faire défaire l'union de Mar Mikhaël.

Le Hezbollah lie en effet le sort du gouvernement à l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020 et sa volonté de dessaisir le juge d’instruction chargé du dossier, Tarek Bitar. Le parti chiite a décidé, au-delà, de prendre pour cible l’ensemble du système judiciaire et d’en exiger la réévaluation. Le CPL voit dans cette manœuvre un tournant dangereux dans le comportement du parti, et ne se prive plus de critiquer ouvertement ce dernier.

Après avoir longtemps tenté de s’abstenir de tout reproche à l’encontre du Hezbollah, préférant la communication directe avec la banlieue sud aux messages politiques de mécontentement, le président de la République, Michel Aoun, a dû monter au créneau. La persistance dans le blocage des réunions du Conseil des ministres, à un moment où Michel Aoun considère qu’il dispose encore d’une occasion en or pour sauver son mandat, a poussé le chef de l’Etat à évoquer "certaines questions qui doivent se dire entre amis", en affirmant : "Nous appelons (toutes les parties) à se conformer à la Constitution, car, à défaut, le chaos prévaudra". Ce qui revient à accuser directement le Hezbollah de violer la Constitution et d’œuvrer au chaos.

Pente glissante ?

L’échec des deux parties à s'asseoir simplement autour d'un table pour réévaluer l’entente de 2006 et la développer, comme ils avaient communément annoncé vouloir le faire l’an dernier, constitue l’indicateur le plus puissant de la détérioration de leurs relations.

Des sources auprès des deux partis affirment que les réunions entre elles "revêtaient pour la plupart un caractère parlementaire et portaient plutôt sur des dossiers économiques et non stratégiques" et indiquent "qu’il est plus que jamais difficile de voir leurs relations reprendre leur cours normal, chacun des deux étant parvenu à la conviction que toute concession supplémentaire pour protéger cette entente serait un suicide pour lui".

Frustré par l’échec du mandat, le CPL est pleinement conscient que le fait de continuer à trouver des justificatifs au Hezbollah et à le ménager lui porte préjudice tant sur le plan intérieur électoral qu’international. C’est pour cette raison, estime le courant aounien, que des sanctions ont été prises par les USA à l’encontre de le son chef Gebran Bassil, qui part ainsi avec un handicap sérieux à la prochaine élection présidentielle, les chances de M. Bassil étant pour l’instant compromises.

Le Hezbollah, qui dit mener pour sa part une bataille "existentielle", n’est nullement disposé à arrondir les angles et resserrer davantage de ce fait l’étau autour de lui. Il ne cache d’ailleurs pas sa grande exaspération face à certaines décisions récentes, comme celle de pousser le ministre de l’Information Georges Cordahi à la démission ou encore ce qu’il qualifie de "tentatives pitoyables et désespérées du Premier ministre de complaire aux pays du Golfe".

Cette confusion entre les deux partis se reflètera probablement lors des prochaines élections législatives. Des sources proches du Hezbollah indiquent que "le CPL a tout intérêt à s’allier avec le nous en vue du prochain scrutin étant donné que près de quatre de ses députés sont élus grâce à nos voix et, compte tenu des données actuelles, il n’a aucunement intérêt de prendre des risques à ce niveau ».

*In fine*, nul ne sera vraiment surpris par l’effondrement la fameuse entente de Mar Mikhaël qui peut survenir à tout moment... A l’heure de tous les effondrements majeurs que le pays est en train de vivre, il ne s’agira d'ailleurs sans doute que d’un petit épiphénomène.
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