Le premier jour du reste de l’Indépendance
«C’est une beauté votre fille. Un éclat de diamant brut.

Ses sœurs sont belles, elles bousculent le cœur des hommes qui font leur connaissance, mais elles ne chamboulent pas leur tête au premier regard. Pas comme elle, non... Elle, c’est une Princesse.»

À force d’entendre pareils propos depuis mon adolescence, sinon avant, à la frontière ténue entre l’enfant-poupée et la jeune fille en fleur qui se découvre, j’ai bien fini par l’intégrer.

Toutefois, c’est une vérité qui me cause plus de tort que de joie.

Les propositions de mariage ont afflué de tout le pays. Des dizaines de prétendants se sont présentés tous les jours dans notre maison. Je ne les ai jamais rencontrés, mais ma riche famille les a fait languir un à un jusqu’à porter son choix sur le futur époux parfait. Pour leur aînée, ils ont signé la promesse d’une union grandiose. C’est ce qui a causé ma première souffrance, mon départ loin de chez moi, loin des miens.

Le début d’une longue descente en tyrannie. Le savaient-ils à l’époque?

Assise sur le fauteuil rose empire devant ma haute coiffeuse de marbre blanc, je scrute mes yeux tendres de biche, mes lèvres pleines, mon teint hâlé et ma longue chevelure couleur d’automne.

C’est vrai que je suis divine.

Dans l’encadrement de la porte, mes deux sœurs m’observent, déjà nostalgiques de la vie d’avant qui devient sous leurs yeux la vie d’après.

Dans un mois, nous ne nous chamaillerons plus pour cette place devant la coiffeuse. Dans un mois, nous ne nous glisserons plus dans le lit de l’une ou de l’autre pour dévorer des histoires jusqu’au bout de la nuit.

Dans un mois, je serai une épouse.

Et je serai soumise et abusée de mille façons.

Diane et Victorine m’envient. Oh comme elles aimeraient porter la robe blanche et finir leur vie dans les bras d’un époux riche, dans un somptueux palais! Elles rêvent de grands bals, de robes froufroutantes et de parures de bijoux étincelantes. Elles imaginent des banquets et des fêtes à n’en plus finir.

La conformité et l’obéissance ne leur déplaisent guère. La promesse leur semble belle! Et elle l’est… Moi, je ne peux m’y résoudre, ce n’est pas la vie dont je rêve.

Le loquet de mon existence ne va pas tarder à se fermer sur moi. Je ne vais le réaliser qu’au fil de ma longue vie, mais les portes étaient déjà verrouillées bien avant le jour de cette union. Ma mère, sa mère avant elle, mon arrière-grand-mère… Chaque terre fertile avait déjà été savamment possédée par l’Homme.

Et dire que ma famille pensait m’offrir l’indépendance ce grand jour-là…

Sauf que je suis follement éprise d’une autre.




Je l’adore depuis que je suis une jeune femme, que je lis, que j’écris, que ma tête est pleine, que je sais que le monde est grand et que l’homme est plus petit.

Elle s’appelle Liberté.

Je ne peux que le soupçonner, mais elle va posséder le cœur de nombreuses femmes, et cela bien après moi.

Leur passion pour elle va se décupler et se renforcer au fil du temps. Et, de génération en génération, ces femmes deviendront des combattantes mordues de Liberté.

Moi j’y aurais seulement goûté, un peu…

J’ai appelé ma première-née Colette. «La victoire du peuple».

Est-ce un hasard si une vingtaine d’années après est venue au monde une autre Colette? Une figure de l’Histoire, une icône, une passionnée de littérature, une des amantes symboliques de cette Liberté. Colette, l’insoumise.

Je ne crois pas au hasard. Je crois au destin.

Chaque année à la date anniversaire de ma fille, je me rappelle pourquoi l’indépendance est la valeur la plus précieuse qui soit.

Ce texte est très librement inspiré de l’histoire passionnante d’une impératrice célèbre pour son esprit rebelle et ses rêves d’indépendance.

Une femme qui a tenté de jouir de sa Liberté chérie, malgré les contraintes de son époque et de sa condition, et dans les tourments de sa vie difficile.

Sa destinée est dramatique, mais cette femme a laissé d’elle un souvenir puissant et inspirant.

 

Ce texte est écrit avec, en pensée, quelque part dans un coin de mon esprit, un pays.

Dans ce pays, gît un peuple privé de ses droits les plus fondamentaux. Un pays qui mérite plus que tout de croire encore en sa Liberté. Particulièrement en ce lendemain de la date anniversaire de la proclamation de son Indépendance.

 

Le 22 novembre 2022 est le 79e anniversaire de l’indépendance du Liban.

Nous sommes le jour d’après.
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