Le monde est-il à l'aube d'une guerre nucléaire? Avec les récentes menaces de Vladimir Poutine à l'Ukraine, les essais de plus en plus fréquents en Corée du Nord et l'Iran, la menace devient de plus en plus réelle. Le président Biden n'a pas hésité à évoquer un possible "Armageddon" nucléaire.
L'éventualité longtemps occultée d'une guerre nucléaire est brutalement revenue au premier plan avec l'invasion russe de l'Ukraine, même si la délicate architecture de sécurité internationale bâtie après la Seconde Guerre mondiale avait commencé à se déliter depuis des années.
Mêmes vagues et imprécises, les menaces du président russe Vladimir Poutine, laissant entendre qu'il pourrait utiliser l'arme atomique si ses ambitions ukrainiennes étaient contrariées, ont rompu un pacte tacite fondé sur la retenue et bouleversé le concept de dissuasion.
Vidéo d’archive datant du 24 mars dernier montrant, avec une mise en scène digne d’un film de série Z, le premier test du Hwasong-17, " missile monstre " du régime.
"C'est la première fois depuis le début de l'âge nucléaire qu'une puissance dotée utilise son statut et mène une guerre conventionnelle sous l'ombre portée du nucléaire", résume l'ancien secrétaire général adjoint de l'OTAN, le Français Camille Grand."On imaginait qu'une telle attitude serait le fait d'États voyous. Or, tout à coup, c'est l'une des deux puissances nucléaires majeures, membre du Conseil de sécurité de l'ONU, qui se comporte en +pirate stratégique+, c'est nouveau et préoccupant", ajoute-t-il, même si l'emploi de l'arme lui semble encore "improbable". Le "tabou nucléaire", concept à la fois moral et stratégique sur le non-emploi de l'arme atomique, forgé après les bombardements américains de Hiroshima et Nagasaki en 1945, tient toujours, mais pas la rhétorique, désormais totalement désinhibée.
En 2022, des télévisions russes peuvent ainsi évoquer les possibilités d'une frappe nucléaire sur Paris ou New-York. Un ancien diplomate russe a même affirmé sans sourciller que si Poutine pense la Russie menacée de disparaître, "il appuiera sur le bouton".
Les bombardements réguliers autour de la centrale ukrainienne de Zaporijjia, plus grande centrale nucléaire (AFP)
Désinhibition, extrême "brutalisation" des relations internationales, retour de la guerre en Europe…
Pour les démocraties, qui ont longtemps vécu sur "les dividendes de la paix", le réveil est brutal. À tel point que le président américain Joe Biden a mis en garde en octobre contre un possible "Armageddon" nucléaire, illustrant le sentiment à présent répandu que le monde danse sur un volcan.
"L'événement le plus spectaculaire du dernier demi-siècle est un événement qui ne s'est pas produit", écrivait en 2007 le prix Nobel d'Économie et spécialiste américain des questions stratégiques Thomas Schelling, résumant parfaitement la fragilité de l'équilibre sur lequel a reposé le monde depuis Hiroshima et Nagasaki en 1945.
Bien avant l'Ukraine, l'échafaudage stratégique international avait commencé à vaciller depuis des années. En Europe, mais aussi et surtout en Asie et au Moyen-Orient.
Cette année, la Corée du Nord a multiplié les tirs balistiques, créant un regain de tension avec ses voisins (AFP)
Pour l'historien et spécialiste français de non-prolifération et désarmement, Benjamin Hautecouverture, le bouleversement est à l'œuvre depuis le début des années 2000.
La sortie en 2002 des États-Unis du traité ABM interdisant les missiles anti-balistiques, qui a longtemps constitué la clef de voûte de l'équilibre nucléaire entre les États-Unis et l'URSS, marque le début de la déconstruction des traités de contrôle ou de désarmement signés entre les anciens rivaux de la guerre froide. Parmi eux, l'emblématique traité FNI sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, signé en 1987 et mort en 2019 après les retraits américain puis russe.
"Sur le plan du désarmement, c'est un champ de ruines, à part New Start", le dernier accord du genre liant États-Unis et Russie, constate Camille Grand.
Outre la déconstruction des traités, la sortie unilatérale en 2003 de la Corée du Nord du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), est aussi un marqueur de la montée des périls. L'activisme balistique de Pyongyang s'est accru dangereusement, avec une série record de tirs de projectiles ces derniers mois, et Washington, Tokyo et Séoul lui prêtent l'intention de réaliser prochainement un septième essai nucléaire.
Un missile tactique russe "Iskander".
La Corée du Nord a en outre annoncé en septembre une nouvelle doctrine précisant qu'elle ne renoncerait jamais à l'arme atomique et prévoyant son utilisation à des fins de préemption.
"Nous allons voir une crise très dangereuse en Asie", s'inquiétait Chung Min Lee, chercheur à la Carnegie, lors d'un récent colloque de la Fondation pour la Recherche stratégique (FRS) à Paris. Relayant les craintes des pays non nucléaires de la région sur la fiabilité du parapluie américain, il expliquait: "Si vous imaginez la dissuasion nucléaire comme un ballon rempli d'eau, ce ballon est aujourd'hui troué et l'eau s'échappe".
Ceci sans compter l'accroissement rapide des capacités nucléaires chinoises, qui préoccupe les spécialistes.
Selon des estimations du Pentagone, la Chine pourrait disposer de 1.000 TN (têtes nucléaires) d'ici à une décennie, soit proche du nombre de TN déployées par les Américains.
Un MiG-31 emportant un missile hypersonique "Kinzhal". Depuis plusieurs mois, Vladimir Poutine agite le spectre d'un possible bombardement nucléaire tactique en Ukraine. (AFP)
Au Moyen-Orient, la question iranienne est au cœur des préoccupations, Téhéran étant soupçonné depuis 20 ans de chercher à se doter de la bombe et désormais proche de devenir "un État du seuil", s'il ne l'est déjà. Les négociations entre l'Iran et les grandes puissances pour faire revivre l'accord de 2015 prévoyant une limitation drastique du programme iranien contre une levée des sanctions se sont engluées et leur reprise semble très improbable en raison de la situation intérieure en Iran.
Quel est l'avenir du TNP, outil vital pour la sécurité internationale? La conférence d'examen à l'ONU du traité en août dernier, où une déclaration commune des 191 pays signataires avait été bloquée au dernier moment par la Russie, raconte les bouleversements en cours. Une source diplomatique française a raconté "la rhétorique nucléaire extraordinairement agressive" de la Russie, et même son "dédain" vis-à-vis du TNP.
"On a assisté à une rupture de l'attitude de la Russie, pourtant historiquement en soutien du TNP", a dit cette source.
Malgré les protestations internationales, l'Iran est déterminé à militariser son programme nucléaire (AFP)
Elle a également relevé "l'attitude très vocale" de la Chine, qui s'était livrée à une "dénonciation très crue d'Aukus", l'alliance militaire dans l'Indo-Pacifique entre États-Unis, Australie et Grande-Bretagne, prévoyant notamment la livraison à Canberra de sous-marins à propulsion nucléaire.
La Chine a dénoncé une alliance "proliférante", mais, a noté la source, elle n'a pas elle-même "levé les doutes sur l'opacité de sa propre doctrine nucléaire, ni sur la vitesse d'augmentation de son arsenal".
Plus que jamais désormais, se pose la question du risque d'une accélération de la prolifération, alors qu'un pays dénucléarisé, l'Ukraine, a été envahie par son voisin.
"Aujourd'hui, des pays comme le Japon ou la Corée du Sud peuvent légitimement se poser la question", d'avoir la bombe, explique à l'AFP Jean-Louis Lozier, ancien chef de la division Forces Nucléaires de l'état-major des Armées. "Il en va de même au Moyen-Orient pour l'Arabie, la Turquie et l'Égypte", ajoute-t-il.
Neuf États aujourd'hui possèdent l'arme nucléaire: les cinq membres du Conseil de sécurité, le Pakistan, l'Inde, Israël (même si ce dernier ne l'a jamais officiellement reconnu) et la Corée du Nord.
Avec AFP
L'éventualité longtemps occultée d'une guerre nucléaire est brutalement revenue au premier plan avec l'invasion russe de l'Ukraine, même si la délicate architecture de sécurité internationale bâtie après la Seconde Guerre mondiale avait commencé à se déliter depuis des années.
Mêmes vagues et imprécises, les menaces du président russe Vladimir Poutine, laissant entendre qu'il pourrait utiliser l'arme atomique si ses ambitions ukrainiennes étaient contrariées, ont rompu un pacte tacite fondé sur la retenue et bouleversé le concept de dissuasion.
Vidéo d’archive datant du 24 mars dernier montrant, avec une mise en scène digne d’un film de série Z, le premier test du Hwasong-17, " missile monstre " du régime.
"C'est la première fois depuis le début de l'âge nucléaire qu'une puissance dotée utilise son statut et mène une guerre conventionnelle sous l'ombre portée du nucléaire", résume l'ancien secrétaire général adjoint de l'OTAN, le Français Camille Grand."On imaginait qu'une telle attitude serait le fait d'États voyous. Or, tout à coup, c'est l'une des deux puissances nucléaires majeures, membre du Conseil de sécurité de l'ONU, qui se comporte en +pirate stratégique+, c'est nouveau et préoccupant", ajoute-t-il, même si l'emploi de l'arme lui semble encore "improbable". Le "tabou nucléaire", concept à la fois moral et stratégique sur le non-emploi de l'arme atomique, forgé après les bombardements américains de Hiroshima et Nagasaki en 1945, tient toujours, mais pas la rhétorique, désormais totalement désinhibée.
En 2022, des télévisions russes peuvent ainsi évoquer les possibilités d'une frappe nucléaire sur Paris ou New-York. Un ancien diplomate russe a même affirmé sans sourciller que si Poutine pense la Russie menacée de disparaître, "il appuiera sur le bouton".
Les bombardements réguliers autour de la centrale ukrainienne de Zaporijjia, plus grande centrale nucléaire (AFP)
Désinhibition, extrême "brutalisation" des relations internationales, retour de la guerre en Europe…
Pour les démocraties, qui ont longtemps vécu sur "les dividendes de la paix", le réveil est brutal. À tel point que le président américain Joe Biden a mis en garde en octobre contre un possible "Armageddon" nucléaire, illustrant le sentiment à présent répandu que le monde danse sur un volcan.
"L'événement le plus spectaculaire du dernier demi-siècle est un événement qui ne s'est pas produit", écrivait en 2007 le prix Nobel d'Économie et spécialiste américain des questions stratégiques Thomas Schelling, résumant parfaitement la fragilité de l'équilibre sur lequel a reposé le monde depuis Hiroshima et Nagasaki en 1945.
Bien avant l'Ukraine, l'échafaudage stratégique international avait commencé à vaciller depuis des années. En Europe, mais aussi et surtout en Asie et au Moyen-Orient.
Cette année, la Corée du Nord a multiplié les tirs balistiques, créant un regain de tension avec ses voisins (AFP)
Pour l'historien et spécialiste français de non-prolifération et désarmement, Benjamin Hautecouverture, le bouleversement est à l'œuvre depuis le début des années 2000.
La sortie en 2002 des États-Unis du traité ABM interdisant les missiles anti-balistiques, qui a longtemps constitué la clef de voûte de l'équilibre nucléaire entre les États-Unis et l'URSS, marque le début de la déconstruction des traités de contrôle ou de désarmement signés entre les anciens rivaux de la guerre froide. Parmi eux, l'emblématique traité FNI sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, signé en 1987 et mort en 2019 après les retraits américain puis russe.
"Sur le plan du désarmement, c'est un champ de ruines, à part New Start", le dernier accord du genre liant États-Unis et Russie, constate Camille Grand.
Outre la déconstruction des traités, la sortie unilatérale en 2003 de la Corée du Nord du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), est aussi un marqueur de la montée des périls. L'activisme balistique de Pyongyang s'est accru dangereusement, avec une série record de tirs de projectiles ces derniers mois, et Washington, Tokyo et Séoul lui prêtent l'intention de réaliser prochainement un septième essai nucléaire.
Un missile tactique russe "Iskander".
La Corée du Nord a en outre annoncé en septembre une nouvelle doctrine précisant qu'elle ne renoncerait jamais à l'arme atomique et prévoyant son utilisation à des fins de préemption.
"Nous allons voir une crise très dangereuse en Asie", s'inquiétait Chung Min Lee, chercheur à la Carnegie, lors d'un récent colloque de la Fondation pour la Recherche stratégique (FRS) à Paris. Relayant les craintes des pays non nucléaires de la région sur la fiabilité du parapluie américain, il expliquait: "Si vous imaginez la dissuasion nucléaire comme un ballon rempli d'eau, ce ballon est aujourd'hui troué et l'eau s'échappe".
Ceci sans compter l'accroissement rapide des capacités nucléaires chinoises, qui préoccupe les spécialistes.
Selon des estimations du Pentagone, la Chine pourrait disposer de 1.000 TN (têtes nucléaires) d'ici à une décennie, soit proche du nombre de TN déployées par les Américains.
Un MiG-31 emportant un missile hypersonique "Kinzhal". Depuis plusieurs mois, Vladimir Poutine agite le spectre d'un possible bombardement nucléaire tactique en Ukraine. (AFP)
Au Moyen-Orient, la question iranienne est au cœur des préoccupations, Téhéran étant soupçonné depuis 20 ans de chercher à se doter de la bombe et désormais proche de devenir "un État du seuil", s'il ne l'est déjà. Les négociations entre l'Iran et les grandes puissances pour faire revivre l'accord de 2015 prévoyant une limitation drastique du programme iranien contre une levée des sanctions se sont engluées et leur reprise semble très improbable en raison de la situation intérieure en Iran.
Quel est l'avenir du TNP, outil vital pour la sécurité internationale? La conférence d'examen à l'ONU du traité en août dernier, où une déclaration commune des 191 pays signataires avait été bloquée au dernier moment par la Russie, raconte les bouleversements en cours. Une source diplomatique française a raconté "la rhétorique nucléaire extraordinairement agressive" de la Russie, et même son "dédain" vis-à-vis du TNP.
"On a assisté à une rupture de l'attitude de la Russie, pourtant historiquement en soutien du TNP", a dit cette source.
Malgré les protestations internationales, l'Iran est déterminé à militariser son programme nucléaire (AFP)
Elle a également relevé "l'attitude très vocale" de la Chine, qui s'était livrée à une "dénonciation très crue d'Aukus", l'alliance militaire dans l'Indo-Pacifique entre États-Unis, Australie et Grande-Bretagne, prévoyant notamment la livraison à Canberra de sous-marins à propulsion nucléaire.
La Chine a dénoncé une alliance "proliférante", mais, a noté la source, elle n'a pas elle-même "levé les doutes sur l'opacité de sa propre doctrine nucléaire, ni sur la vitesse d'augmentation de son arsenal".
Plus que jamais désormais, se pose la question du risque d'une accélération de la prolifération, alors qu'un pays dénucléarisé, l'Ukraine, a été envahie par son voisin.
"Aujourd'hui, des pays comme le Japon ou la Corée du Sud peuvent légitimement se poser la question", d'avoir la bombe, explique à l'AFP Jean-Louis Lozier, ancien chef de la division Forces Nucléaires de l'état-major des Armées. "Il en va de même au Moyen-Orient pour l'Arabie, la Turquie et l'Égypte", ajoute-t-il.
Neuf États aujourd'hui possèdent l'arme nucléaire: les cinq membres du Conseil de sécurité, le Pakistan, l'Inde, Israël (même si ce dernier ne l'a jamais officiellement reconnu) et la Corée du Nord.
Avec AFP
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