Recherche scientifique: plus de quantité, moins de qualité
La science est aux prises avec un véritable paradoxe: alors que la production de connaissance s'accélère et s'intensifie, les découvertes majeures ou révolutionnaires se font de plus en plus rares. Parmi les causes d'un tel déclin, la course à la publication qui conduit les chercheurs à se soucier de la quantité davantage que de la qualité, ainsi qu'à prendre moins de risques. 

Durant les premières décennies étudiées, les verbes évoquant la création et la découverte prédominent ; dans les dernières décennies, ils s'effacent au profit de mots évoquant des améliorations ou des applications. (AFP)

Les publications scientifiques et innovations technologiques connaissent une croissance exponentielle, mais les découvertes majeures qui font avancer la science de manière spectaculaire déclinent avec le temps, selon une étude de Nature publiée mercredi.

Ce paradoxe, celui d'une science au ralenti malgré une accélération de la production des connaissances, était déjà documenté pour certains domaines de recherche comme les semi-conducteurs ou la pharmacie, relèvent les auteurs de l'étude, chercheurs à la Carlson School of Management de l'Université du Minnesota (États-Unis).

Ils ont voulu le mesurer pour la première fois à travers l'ensemble des disciplines. En s'appuyant sur 45 millions d'articles scientifiques sur six décennies passées (de 1945 à 2010), et 3,9 millions de brevets (1976 à 2010), extraits de bases de données mondiales dont la plateforme d'information Web of Science.

Au fil des ans, leurs travaux décortiquent les papiers les plus cités, la façon dont les scientifiques se citent entre eux, pour élaborer un "indice de disruptivité". Qui permet d'estimer si un article a changé la donne ou si une innovation technologique a créé une rupture.

Ils distinguent deux types de découvertes: d'une part, les contributions qui viennent consolider un "statu quo", comme les prix Nobel Khon et Sham (1965) qui se sont fondés sur des théorèmes existants pour développer une méthode originale de calcul de la structure électronique des atomes.
Un déclin progressif

Les publications scientifiques et innovations technologiques connaissent une croissance exponentielle, mais les découvertes majeures qui font avancer la science de manière spectaculaire déclinent avec le temps (AFP)

D'autre part, les découvertes "disruptives" qui bousculent les théories et propulsent la science dans une autre direction, à l'instar des Nobel Watson et Crick, qui révolutionnèrent la biologie en démontrant la structure à double hélice de l'ADN.

Leur index va d'un score négatif de -1 (consolidation) à un score positif de +1 (disruption). Selon leurs calculs, le pourcentage de cet index décroît considérablement et continuellement entre 1945 et 2010 pour les publications (91,9%), touchant aussi bien les sciences médicales, physiques que sociales. Idem pour les brevets, avec une chute de 80%.

Le déclin se ressent dans le vocabulaire: durant les premières décennies étudiées, les verbes évoquant la création et la découverte prédominent ; dans les dernières décennies, ils s'effacent au profit de mots évoquant des améliorations ou des applications.


"Cela ne veut pas dire qu'il n'y a plus d'avancées", nuance Michael Park, l'auteur principal. En dépit d'une cadence ralentie, "il y a toujours un nombre assez consistant de travaux disruptifs dans les découvertes récentes, comme les ondes gravitationnelles en 2015 ou le vaccin à ARN messager contre la Covid-19", explique-t-il à l'AFP.

Mais "un écosystème scientifique sain est un système où se mêlent découvertes disruptives et de consolidation. Or la nature de la science est en train de changer", souligne le professeur Russell Funk, qui a dirigé les travaux.
"Publier, publier, publier"

Dans les universités, notamment anglo-saxonnes, une course effrénée à la publication prend le pas sur les réelles avancées scientifiques (Creative Commons)

En cause, le poids croissant des connaissances que doivent acquérir chercheurs et inventeurs, qui passent plus de temps à se former qu'à "repousser les limites de la science".

Ce "fardeau de la recherche" conduit à s'appuyer "sur des portions de plus en plus étroites des savoirs existants", regrette le Pr Funk. L'étude note par exemple une tendance à citer davantage les mêmes travaux antérieurs, donc un manque de renouvellement.

Autre facteur: la pression pour "publier, publier, publier", gage de succès académique comme dit l'expression "publier ou périr", commente-t-il.

"La course à la publication s'est accélérée depuis le début des années 2000", abonde Jérôme Lamy, historien et sociologue des sciences, qui n'a pas pris part aux travaux.

"Si la notion de découverte +disruptive+ est un peu difficile à cerner, cette étude met justement le doigt sur une tendance mondiale poussant les chercheurs à +saucissonner+ leurs papiers pour améliorer leur indicateur de performance et trouver des financements", poursuit le chargé de recherche au CNRS, interrogé par l'AFP.

Cette "atomisation" des travaux finit par "affadir la recherche, qui prend de moins en moins de risques", analyse l'expert.

Pour y remédier, l'étude appelle les agences nationales de recherche à privilégier la qualité à la quantité, et à libérer davantage de temps pour permettre aux universitaires de réfléchir en profondeur aux grands sujets.

Avec AFP
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