4 août: Ibrahim et Saliba dans le viseur de Bitar
Rebondissement inattendu dans l'affaire de l'explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth. Le juge d’instruction, Tarek Bitar, a repris la main sur le dossier et s'apprête à convoquer les directeurs de la Sûreté générale et du Service de sécurité de l'État, les généraux Abbas Ibrahim et Tony Saliba, entre autres officiels.

Une source judiciaire qui a requis l'anonymat a confirmé à l'AFP la reprise de l'enquête bloquée depuis décembre 2021, ainsi que la volonté du magistrat d'inculper huit personnes dont les généraux Abbas Ibrahim et Tony Saliba. Elle n'a pas cependant précisé les charges retenues contre les deux responsables de sécurité. Interrogé à ce sujet en fin de journée, à l'occasion d'une visite à Beit Beyrouth, le général Ibrahim n'a pas voulu commenter les informations relayées par les médias. "Les poursuites engagées par le juge Bitar ne méritent pas un commentaire. Je n'évoquerai pas ma comparution devant la justice avant ma convocation", a-t-il dit.

Avant la suspension de l'enquête en décembre 2021, le juge Bitar avait voulu interroger les deux hommes, alors que plusieurs responsables politiques et de la sécurité étaient soupçonnés d'être au courant de la présence du nitrate d'ammonium qui avait pulvérisé plusieurs quartiers de Beyrouth en août 2020 et de ses dangers.

Le magistrat, qui se serait fondé sur une étude qu'il a lui-même établie en se basant sur une jurisprudence exhaustive du magistrat Philippe Khairallah, ancien président du Conseil supérieur de la justice et de la Cour de justice, (un tribunal d'exception dont les décisions sont sans recours), pour passer outre les 34 recours en dessaisissement du dossier, a repris ses activités lundi. La jurisprudence en question dispose qu'un juge d’instruction près la Cour de justice ne peut pas être dessaisi d’un dossier.

Selon diverses sources concordantes, M. Bitar a ordonné la remise en liberté d’un groupe de détenus et a engagé des poursuites contre d’autres, dont des officiels, notamment les généraux Abbas Ibrahim et Tony Saliba, et des magistrats. Selon le quotidien arabophone An-Nahar, Tarek Bitar considère, sur base de la même jurisprudence, qu'un juge d'instruction près la Cour de justice n'a pas besoin d'une autorisation, au même titre que le procureur près la Cour de cassation, pour convoquer des responsables de sécurité à titre de prévenus en vue de les interroger. Les mandats de convocation seraient prêts et devraient être mis à exécution sous peu, par le biais du Parquet de cassation. Au cas où les deux responsables de sécurité ne seraient pas notifiés dans les règles, les mandats seraient affichés à l'entrée de leurs bureaux respectifs, toujours selon An Nahar. Une démarche qui précède normalement l'émission d'un mandat d'arrêt par contumace.

Les détenus qu'il devait relâcher sont Salim Chebli, un entrepreneur en charge des travaux d'entretien au port, Ahmad Rajab, un ouvrier syrien travaillant pour le compte de Salim Chebli, Michel Nahoul, directeur au port, Chafic Merhi, ancien directeur général des douanes et Sami Hussein, directeur des opérations au port. Douze autres restent maintenus en détention pour les besoins de l'enquête, dont notamment l'ancien directeur général des douanes, Badri Daher, proche du Courant patriotique libre, fondé par l'ex-président de la République, Michel Aoun. Le CPL a essayé sans succès d'obtenir la nomination d'un juge suppléant à Tarek Bitar pour que celui-ci planche sur le dossier des détenus, dans l'espoir qu'ils soient relâchés du moment que l'enquête était bloquée. Il avait à cette fin exercé des pressions, par le biais du ministre sortant de la Justice, Henry Khoury, (qui lui est également proche) sur le CSM pour que celui-ci nomme la juge Samaranda Nassar, proche aussi du CPL, à la place de Tarek Bitar.

Dans la journée, lundi, M. Khoury a indiqué dans un communiqué avoir remis au CSM "le contenu des extraits d'une décision du juge Bitar, publiés par les médias, afin qu'il en prenne connaissance". Il a expliqué son initiative par "l'impact" de ce rebondissement "sur l'évolution du dossier et le cours de la justice, pour ce qui a notamment trait au secret de l'instruction".  Une initiative qui montre surtout à quel point l'initiative de M. Bitar importune une certaine sphère politique, laquelle ne devrait pas tarder à contre-attaquer.


Le juge d'instruction est combattu par le CPL et surtout par le tandem Amal-Hezbollah depuis qu'il a mis en cause les anciens ministres Ghazi Zeaïter et Ali Hassan Khalil, dans le cadre de cette affaire. Il a retenu leur responsabilité administrative dans l'affaire de l'explosion apocalyptique qui avait tué 226 personnes, blessé au moins 7. 500 autres et laissé près de 300.000 personnes sans toit pendant des mois. D'autres responsables politiques sont poursuivis par M. Bitar pour les mêmes motifs, notamment l'ancien Premier ministre, Hassane Diab, et les anciens ministres Nouhad Machnouk et Youssef Fenianos. Tous ont présenté des recours contre le juge d'instruction.

Les autorités libanaises ont, depuis le départ, refusé une enquête internationale, réclamée principalement par les proches des victimes et des organisations de défense des droits humains. Pointées du doigt pour négligence criminelle, elles sont accusées par les familles des victimes et des ONG de torpiller l'enquête pour éviter des inculpations.

La semaine dernière, deux magistrats français avaient rencontré à Beyrouth le juge Bitar, sans obtenir les informations qu'ils souhaitaient.

Une enquête avait été ouverte en France, deux Français figurant parmi les morts et quelque 93 Français ayant été blessés.

 

 
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