Sky Light: que cache le directeur du port de Beyrouth?
Sulfate ou nitrate d’ammonium? Les résultats des analyses devant déterminer la nature de la cargaison que transporte le navire Sky light, apparu mardi dans les eaux territoriales libanaises alors que la tempête faisait rage, sont définitifs: le navire transporte du sulfate d’ammonium, dans le respect des normes édictées par les règlementations. Mais l’affaire est loin d’être terminée. Des zones d’ombre devraient encore être élucidées, ce qui explique l’arrestation du directeur du port Ayman Karkar, sur ordre du juge près la Cour de cassation de Beyrouth Ghassan Khoury.

Depuis mardi soir, les Libanais suivent de près l’affaire de ce bateau chargé donc de sulfate d’ammonium. Il était tombé en panne, puis interdit d’entrée au port de Saïda selon les informations préliminaires relayées par les médias, enfin autorisé à jeter l’ancre au port de Beyrouth. Tous n’ont retenu qu’un seul mot: ammonium. Peu importe qu’il s’agisse de sulfate ou de nitrate. Cette matière, associée à la terrible explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, a fait remontrer des souvenirs douloureux.

La question qui inquiétait surtout les Libanais était de savoir si le navire avait été autorisé à entrer au port. Des informations contradictoires circulaient à ce sujet. Ici Beyrouth a appris de source autorisée que le bateau qui s’est arrêté à Beyrouth le 4 février à 11 heures 40 minutes, a quitté son port dans la soirée du mardi, à 19 heures 5 minutes. Il est actuellement en mouillage, c’est-à-dire immobilisé en mer, en attendant la décision des autorités portuaires, le juge Ghassan Khoury n’ayant plus compétence en la matière, étant donné que la marchandise n’est pas dangereuse.

Sauf que l’affaire n’est pas terminée. M. Khoury a ordonné l’arrestation du directeur du port, Ayman Karkar, qui a donné l'ordre au nom du juge Khoury de permettre au bateau d’entrer au port avant que la cargaison ne soit examinée, contrairement aux lois en vigueur.

L’enquête se poursuit pour déterminer les raisons pour lesquelles M. Karkar «a tellement tenu à satisfaire les intérêts de la société libanaise qui a commandé le sulfate d’ammonium» (fabriqué en Chine), comme l’a précisé le juge Ghassan Khoury à Ici Beyrouth.


Basée à Tripoli, la compagnie NR&S Trading CO, appartient à la famille Rafei. «Les échantillons auraient dû être prélevés et les résultats des tests effectués en laboratoire révélés, avant que le bateau n’entre au port», a insisté Ghassan Khoury. «Or, pour des raisons douteuses, l’ordre a été donné, en mon nom, de permettre au navire d’accoster et aux prélèvements d’être effectués au port», s’est étonné le juge, qui ne lâchera pas le dossier avant que les «liens entre M. Karkar et la société ne soient déterminés», comme il l’a souligné.

Construit en 1978, il y a donc 45 ans, le Sky light (enregistré sous le numéro 7724019) bat pavillon tanzanien. Il aurait quitté Alexandrette, en Turquie, le 28 janvier à 22 heures 21 minutes pour accoster au port de Beyrouth et non à celui de Saïda, comme rapporté dans les médias.

Or, pour des raisons techniques (il avait subi des avaries – cela rappelle l’affaire du Rhosus chargé du funeste nitrate d’ammonium qui avait fait sauter de npmbreux quartiers de la capitale), il s’est trouvé dans l’«urgence» de s’arrêter au port de Beyrouth, pour des travaux de maintenance qui devaient durer dix jours. Ce n’est pas la première fois que le Sky light tombe en panne. Le 8 janvier 2021, l’autorisation de départ du port de Gabès en Tunisie ne lui avait pas été accordée, avant que les réparations nécessaires ne soient entreprises et que le bateau soit examiné par les autorités tunisiennes.

Rappelons qu’en 2020, les 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium avaient été introduites au Liban, sans que l'armée libanaise n’intervienne. Pour que de tels produits puissent franchir la frontière, il faut une autorisation préalable du ministère de l’Économie, après approbation du ministère de la Défense nationale (le commandement de l’armée) et du Conseil des ministres. La nécessité d’une telle démarche se comprend à la lumière de l’article 17 de la loi libanaise sur les armes et munitions : «sont considérés comme explosifs [entre autres] le nitrate d’ammonium à plus de 33,5% de teneur en azote». Or, selon une source interrogée, l’armée libanaise n’a pas été sollicitée dans le cadre de l’affaire. Devrait-elle l’être? Ce qui inquiète aujourd’hui n’est plus la nature de la marchandise, puisque confirmée par le ministère de l’Agriculture, mais la raison pour laquelle le directeur du port a tenu à ce que le navire accoste au port de Beyrouth. Affaire à suivre.
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