Comme un mois de février au Liban 1/2
«L’homme doit s’appuyer sur le passé et tendre vers l’avenir», nous dit Henri Bergson. De ce siècle dernier où notre pays a connu diverses occupations, la famine, des guerres et des misères, nous allons retenir l’édification d’une nation, son impact dans le monde, son rayonnement culturel et sa formidable vitalité. Mois par mois, un peu de ces petites lucioles d’hier pour éclairer notre chemin vers demain.

Pour commencer ce mois de février dans un chatoiement, le jour 11 du deuxième mois de l’année 1930 s’est ouvert le premier Congrès libanais de la soie. La sériciculture qui a fait ses débuts au Liban sous le règne de l’émir Fakhreddine II et qui en 1900 et avec 150 filatures locales assurait au pays 60% de ses revenus est un peu en déclin, et par ce congrès, le gouvernement veut étudier les moyens de la raviver. La même année, le 15 février, le Taurus-Express est inauguré. Ce train de luxe de la Compagnie internationale des wagons-lits et des Grands Express européens va desservir Rayak et Tripoli. On ferme les yeux et on imagine un instant, et en noir et blanc, tout le romantisme d’une locomotive entrant en gare traînant dans son sillage notre belle histoire du chemin de fer, une histoire d’échanges et d’espoirs, une histoire d’hommes et de machines.



C’est en creusant les fondations d’un immeuble près du cinéma Rivoli que deux tombeaux phéniciens ont été mis à jour le 10 février 1954. Ces vestiges qui datent du XVIIIe siècle av. J.-C. viennent confirmer que les sous-sols de Beyrouth recèlent des trésors archéologiques que l’on découvrira partiellement lors des fouilles de l’après-guerre. Mais c’est le Liban tout entier qui est si riche de ses vestiges et, en février 1963, les fouilles entreprises par l’émir Maurice Chéhab à Tyr dévoilent un arc de triomphe de 20 mètres et une véritable ville en sous-sol traversée par ce qu’on appelait la route d’Alexandre le Grand. Et à l’heure où le Liban avait pris totalement conscience de ses atouts archéologiques touristiques, le projet Libanorama dont les maquettes reconstituent les monuments antiques du Liban est inauguré le 1er février 1970.

Heureux temps où l’on considérait prioritaires les richesses du passé. C’est ainsi que le 26 février 1966, le palais Sursock qui abrite le musée entre dans la liste des monuments classés. Rien ni personne ne devrait plus entraver sa pérennité. C’était sans compter la guerre ignorante. Mais dans les années 90, on s’est attelé à réparer les outrages. Et le 22 février 1998, le palais de l’Unesco, érigé en 1948 pour accueillir la troisième conférence de l’Unesco qui a adopté la Déclaration des droits de l’homme, est de nouveau opérationnel, cinquante ans presque jour pour jour après son inauguration. Un an plus tard, le 22 février 1999 le palais de Beiteddine qui servait avant la guerre de résidence d’été aux présidents de la République est récupéré par l’État.

Hier encore, la politique éducative comptait parmi les priorités du Liban. Et le niveau était d’excellence. C’est le 4 février 1921 que le Syrian Protestant College devient officiellement l’American University of Beirut. Un peu plus loin dans le siècle, et devant l’ampleur des manifestations d’étudiants venus réclamer l’équité de l’enseignement, le gouvernement promet en février 1951 la création d’une université libanaise qui accueillera toutes les ambitions. Le 18 février 1956, le Collège protestant de jeunes filles, fondé en 1927, inaugure ses nouveaux locaux rue Madame Curie à Koraytem. Dessiné par Michel Ecochard, son architecture conçue pour attirer la lumière et ses larges espaces verts font l’unanimité. C’est le président Frangié et le ministre de l’Éducation nationale français qui inaugurent, le 13 février 1971, les nouveaux locaux de l’École supérieure d’ingénieurs de Beyrouth (Esib) à Mar Roukoz. Plus de 15.000 m2 de surface bâtie au service des étudiants libanais. Beaucoup moins glorieux sera la polémique qui surgira en février 2012 autour du nouveau livre d’histoire et dont certains passages, notamment la Révolution du Cèdre, seront purement et simplement «biffés» par l’obscurantisme.




Mais allons plutôt vers la lumière avec la naissance le 11 février 1886 de May Ziadé dans la ville mythique de Nazareth. Celle qui entretient dès 1914 une correspondance exaltée avec Gibran Khalil Gibran lutte aussi farouchement pour les droits de la femme à l’instruction, mène de concert une carrière de journaliste et d’écrivain avec un des esprits les plus brillants du XXe siècle. Les amoureux de la langue arabe pleurent le 16 février 1930 la disparition d’un de ses plus grands connaisseurs. Abdallah al-Boustany, écrivain et enseignant, est enterré à Deir el-Kamar. Le mois de février ne sera pas l’ami des hommes et femmes de lettres. Chebli Mallat, connu sous le nom de Poète des Cèdres, s’en va en février 1961 et c’est le grand Mikhaël Neaiymé qui s’éteint le 28 février 1988 à l’âge de 98 ans. «Si tu veux être grand, bâtis ta citadelle; Loin de tous et très haut, bâtis-là pour toi seul ; Qu’elle soit imprenable et vierge et qu’autour d’elle; Le mont fasse un rempart et la neige un linceul ». En février 1994, le Liban pleurera longtemps Fouad Ephrem el-Boustany. Historien, écrivain, enseignant, journaliste et chercheur, il aura donné au Liban les bases de l’Université libanaise et surtout une Encyclopédie arabe inachevée en 24 tomes, Dairat el-Maaref, que son fils Hareth s’efforce de terminer. Le 14 février 1994, c’est au tour de l’écrivain Farjallah Hayek de nous quitter. Celui qui avait obtenu le prix Monceau pour l’ensemble de son œuvre avait écrit «… le Libanais a pour première compagne sa terre qui le nourrit, qu’il éventre sans pitié et qui lui reste pourtant docile.» Le 6 février 2011, l’élégante Andrée Chédid partira, laissant derrière elle une littérature d’exil et de poésie et ses mots de nous: «Chaque Libanais possède un Liban bien à lui, parfaitement différencié de celui du voisin, qu’il exhausse ou dénigre, agrandit ou amoindrit à la mesure de son tempérament, de ses humeurs, de son savoir, de ses passions, bourgeon de rêves et de réalités ensemble.» En février 2014, Etel Adnan reçoit des mains de Jack Lang la distinction de Chevalier des arts et des lettres.



Le 22 février 1968, le jeune Gabriel Yared donne un récital d’orgue à l’Université Saint-Joseph et montre toute la mesure de son talent. Le même jour, c’est le pianiste Walid Akl qui triomphe à Paris et commence à bien faire parler de lui. En février 1973, devinez qui est de retour comme une revanche? Eh oui, c’est bien Johnny Halliday qui, cette fois-ci, aura la permission de chanter et d’enflammer la salle. Fidèle amie du Liban, Dalida donne en février 1974 plusieurs concerts au Picadilly dont les places s’arracheront même au marché noir. Le 8 février 1975, deux mois avant la terrible guerre, une famille pas comme les autres charme tous ceux qui la découvrent. Les treize membres Bandaly, qui chantant, qui jouant d’un instrument, présentent un récital au cinéma Clémenceau. Plus tard, c’est la petite Rémy, née en 1979, qui touchera tous les cœurs en chantant un hymne à la paix. En pleine guerre, et pour redonner de l’espoir aux cœurs, Michel Sardou se produit au Casino du Liban et, dès les premiers moments de paix, la musique est remise au premier plan avec les concerts du pianiste Abdel Rahman el-Bacha en février 1993.

Commentaires
  • Aucun commentaire