Qu’en est-il de la fable du Père Noël? Est-ce un mensonge? Faut-il avouer la vérité de ce mythe à l’enfant, se demandent souvent les parents, ou conserver cette croyance nostalgique dans le cœur et l’imagination?
Voici comment Françoise Dolto en parle à son fils Jean qu’elle ramène de la maternelle à la période de Noël en passant par les rues envahies par les nombreux Pères Noël aux abords des magasins. Dialogue où Dolto interprète la fable du Père Noël en humanisant le sens du mythe, en en conservant toute la subtilité émotionnelle et imaginaire, la poésie ainsi que la féérie:
Jean: «Mais comment ça se fait que les Pères Noël, il y en ait tant? Il y en a des bleus, des violets, des rouges!»
Françoise Dolto: «Tu sais, le père Noël, celui-là, je le connais, c’est Untel» (c’était un employé du magasin de jouets qui s’était déguisé), et de rajouter «Tu vois, il s’est déguisé en père Noël.»
Et Jean demande: «Mais alors le vrai?»
Françoise Dolto: «Le vrai, c’est celui qu’on a dans son cœur. C’est comme un lutin géant qu’on imagine. Quand on est petit, on est content de penser que les lutins ou les géants, ça peut exister. Tu sais bien que les lutins, ça n’existe pas. Les géants des contes non plus. Le père Noël, il n’est pas né, il n’a pas eu de papa, de maman: il n’est pas vivant. Il est vivant seulement au moment de Noël, dans le cœur de tous ceux qui veulent faire une surprise pour fêter les petits enfants. Et souvent, les grandes personnes regrettent de ne plus être des petits enfants.C’est pour cela, qu’elles aiment bien continuer à dire aux enfants: c’est le père Noël! Quand on est petit, on ne sait pas faire la différence entre les choses vraies vivantes et les choses vraies qui se trouvent seulement dans notre cœur.»
Jean: «Alors, le lendemain de Noël, il ne va pas s’en aller dans son char, avec ses rennes? Il ne va pas remonter dans les nuages?»
Françoise Dolto: «Non, puisqu’il est dans notre cœur!»
Jean: «Alors, si je mets mes souliers, il ne me donnera rien?»
Françoise Dolto: «Qui ne te donnera rien?»
Jean: «Il n’y aura rien dans mes souliers?»
Françoise Dolto: «Mais si!»
Jean: «Mais alors qui l’aura mis?»
Françoise Dolto sourit aux questions de son fils et lui dit: «C’est toi et papa qui y mettrez quelque chose.»
Jean: «Alors moi, je peux être aussi le père Noël?»
Françoise Dolto: «Bien sûr, tu peux être le père Noël et nous allons tous mettre nos souliers sous le sapin. Tu pourras y mettre des choses dedans. Tu sauras que c’est toi le père Noël pour les autres et moi, je remercierai le père Noël. Ce sera toi qui auras eu le merci, mais je ferai comme si je ne savais pas. Pour ton père, je ne lui dirai pas que c’est toi, ce sera une surprise aussi.»
Et Jean était ravi et enchanté et sur le retour de la promenade, il dit à sa mère: «C’est maintenant que je sais qu’il n’existe pas pour de vrai, que c’est vraiment bien, le Père Noël.»
C’est très tôt que l’enfant découvre qu’il peut embellir une réalité ressentie comme frustrante ou décevante afin de la rendre plus conforme à ses souhaits. Avant l’âge de quatre ans, il confond la réalité extérieure avec ses représentations fictionnelles. Il l’ajuste alors à la dimension de son imaginaire afin de soutenir la fragilité de son moi naissant en cours de construction. Il s’invente ainsi des histoires fantaisistes, anime des personnages, transforme le monde en l’adaptant au monde magique de son désir. C’est l’âge de la fabulation. Son intention n’est pas de tromper l’autre ou de mentir. Ce n’est que plus tard, à l’âge adulte, que la fabulation peut s’avérer pathologique. Cette pensée magique disparaîtra progressivement vers six ans, la réalité extérieure devenant plus prégnante. Il comprendra la différence qui existe entre ses pensées, ses ressentis et ceux des autres. C’est alors qu’il réalisera l’utilité de la dissimulation et du mensonge afin de se soustraire aux empiètements psychiques parentaux.
On peut même dire – ce qui risque de choquer – qu’il est essentiel que l’enfant apprenne à mentir parce qu’il prend ainsi conscience de la différence entre son psychisme et celui de son père ou de sa mère. Comme nous l’avons déjà vu, mentir est synonyme de séparation avec les parents, processus indispensable à la construction de son identité future. Il apprendra à se dégager d’une parole imposée par un autre pour y substituer la sienne, plus personnelle. Il prendra le risque de proférer une parole qui le révèlera, puisque «les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux» (René Char).
Certains enfants traversent des situations si angoissantes que le mensonge s’avère une défense nécessaire à la sauvegarde de leur équilibre psychosomatique. Voici ce qu’en dit l’éducateur spécialisé Xavier Bouchereau:
«Dans des cas extrêmes, le mensonge devient un véritable mécanisme de défense de la psyché. Certains enfants maltraités, par exemple, se construisent une image parentale douce et rassurante, non pas qu’ils soient dupes de ce qu’ils vivent au quotidien, mais ils préservent leur narcissisme en circonscrivant leur mal-être aux quatre murs de l’intime. À l’intérieur, la réalité est insupportable, mais à l’extérieur, elle est tamisée pour ne pas être nuisible une nouvelle fois. Ils s’inventent une autre vie familiale. C’est pour cette raison que les situations de maltraitance sont si difficiles à évaluer: peu d’enfants dénoncent les faits dont ils sont victimes, certains les contestent, défendent leurs parents, s’accrochent jusqu’au bout à leurs constructions imaginaires pour ne pas s’écrouler. Il ne viendrait à l’idée d’aucun professionnel de reprocher à ces enfants de mentir, d’en faire une question morale; nous sommes tous évidemment conscients qu’il s’agit d’un détournement de la réalité qui se met en place dans des circonstances particulières et qui, jusqu’à un certain point, sert leur équilibre. Ce que révèlent ces situations dramatiques c’est qu’un sujet peut manipuler le réel pour se réconcilier avec lui, pour négocier toutes les ambivalences que la réalité dévoile, toutes les contradictions qu’elle superpose et impose. Et si nous revenons à la banalité du quotidien, il n’est pas rare d’observer les mêmes mécanismes dans des formats moins morbides. Chacun est traversé par ces phénomènes qui sont avant tout des logiques d’adaptation au réel et de sauvegarde narcissique. Qui n’a jamais menti sur ses parents? Sur son travail? Qui n’a jamais été tenté d’embellir sa vie par un petit mensonge sans conséquence? Qui n’a jamais essayé de se valoriser exagérément en arrangeant un peu les faits? Les mots sont faits pour apprivoiser le réel, pour l’intégrer, le métaboliser, le pacifier.» (Revue Sens-Dessous, no 14.)
Voici comment Françoise Dolto en parle à son fils Jean qu’elle ramène de la maternelle à la période de Noël en passant par les rues envahies par les nombreux Pères Noël aux abords des magasins. Dialogue où Dolto interprète la fable du Père Noël en humanisant le sens du mythe, en en conservant toute la subtilité émotionnelle et imaginaire, la poésie ainsi que la féérie:
Jean: «Mais comment ça se fait que les Pères Noël, il y en ait tant? Il y en a des bleus, des violets, des rouges!»
Françoise Dolto: «Tu sais, le père Noël, celui-là, je le connais, c’est Untel» (c’était un employé du magasin de jouets qui s’était déguisé), et de rajouter «Tu vois, il s’est déguisé en père Noël.»
Et Jean demande: «Mais alors le vrai?»
Françoise Dolto: «Le vrai, c’est celui qu’on a dans son cœur. C’est comme un lutin géant qu’on imagine. Quand on est petit, on est content de penser que les lutins ou les géants, ça peut exister. Tu sais bien que les lutins, ça n’existe pas. Les géants des contes non plus. Le père Noël, il n’est pas né, il n’a pas eu de papa, de maman: il n’est pas vivant. Il est vivant seulement au moment de Noël, dans le cœur de tous ceux qui veulent faire une surprise pour fêter les petits enfants. Et souvent, les grandes personnes regrettent de ne plus être des petits enfants.C’est pour cela, qu’elles aiment bien continuer à dire aux enfants: c’est le père Noël! Quand on est petit, on ne sait pas faire la différence entre les choses vraies vivantes et les choses vraies qui se trouvent seulement dans notre cœur.»
Jean: «Alors, le lendemain de Noël, il ne va pas s’en aller dans son char, avec ses rennes? Il ne va pas remonter dans les nuages?»
Françoise Dolto: «Non, puisqu’il est dans notre cœur!»
Jean: «Alors, si je mets mes souliers, il ne me donnera rien?»
Françoise Dolto: «Qui ne te donnera rien?»
Jean: «Il n’y aura rien dans mes souliers?»
Françoise Dolto: «Mais si!»
Jean: «Mais alors qui l’aura mis?»
Françoise Dolto sourit aux questions de son fils et lui dit: «C’est toi et papa qui y mettrez quelque chose.»
Jean: «Alors moi, je peux être aussi le père Noël?»
Françoise Dolto: «Bien sûr, tu peux être le père Noël et nous allons tous mettre nos souliers sous le sapin. Tu pourras y mettre des choses dedans. Tu sauras que c’est toi le père Noël pour les autres et moi, je remercierai le père Noël. Ce sera toi qui auras eu le merci, mais je ferai comme si je ne savais pas. Pour ton père, je ne lui dirai pas que c’est toi, ce sera une surprise aussi.»
Et Jean était ravi et enchanté et sur le retour de la promenade, il dit à sa mère: «C’est maintenant que je sais qu’il n’existe pas pour de vrai, que c’est vraiment bien, le Père Noël.»
C’est très tôt que l’enfant découvre qu’il peut embellir une réalité ressentie comme frustrante ou décevante afin de la rendre plus conforme à ses souhaits. Avant l’âge de quatre ans, il confond la réalité extérieure avec ses représentations fictionnelles. Il l’ajuste alors à la dimension de son imaginaire afin de soutenir la fragilité de son moi naissant en cours de construction. Il s’invente ainsi des histoires fantaisistes, anime des personnages, transforme le monde en l’adaptant au monde magique de son désir. C’est l’âge de la fabulation. Son intention n’est pas de tromper l’autre ou de mentir. Ce n’est que plus tard, à l’âge adulte, que la fabulation peut s’avérer pathologique. Cette pensée magique disparaîtra progressivement vers six ans, la réalité extérieure devenant plus prégnante. Il comprendra la différence qui existe entre ses pensées, ses ressentis et ceux des autres. C’est alors qu’il réalisera l’utilité de la dissimulation et du mensonge afin de se soustraire aux empiètements psychiques parentaux.
On peut même dire – ce qui risque de choquer – qu’il est essentiel que l’enfant apprenne à mentir parce qu’il prend ainsi conscience de la différence entre son psychisme et celui de son père ou de sa mère. Comme nous l’avons déjà vu, mentir est synonyme de séparation avec les parents, processus indispensable à la construction de son identité future. Il apprendra à se dégager d’une parole imposée par un autre pour y substituer la sienne, plus personnelle. Il prendra le risque de proférer une parole qui le révèlera, puisque «les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux» (René Char).
Certains enfants traversent des situations si angoissantes que le mensonge s’avère une défense nécessaire à la sauvegarde de leur équilibre psychosomatique. Voici ce qu’en dit l’éducateur spécialisé Xavier Bouchereau:
«Dans des cas extrêmes, le mensonge devient un véritable mécanisme de défense de la psyché. Certains enfants maltraités, par exemple, se construisent une image parentale douce et rassurante, non pas qu’ils soient dupes de ce qu’ils vivent au quotidien, mais ils préservent leur narcissisme en circonscrivant leur mal-être aux quatre murs de l’intime. À l’intérieur, la réalité est insupportable, mais à l’extérieur, elle est tamisée pour ne pas être nuisible une nouvelle fois. Ils s’inventent une autre vie familiale. C’est pour cette raison que les situations de maltraitance sont si difficiles à évaluer: peu d’enfants dénoncent les faits dont ils sont victimes, certains les contestent, défendent leurs parents, s’accrochent jusqu’au bout à leurs constructions imaginaires pour ne pas s’écrouler. Il ne viendrait à l’idée d’aucun professionnel de reprocher à ces enfants de mentir, d’en faire une question morale; nous sommes tous évidemment conscients qu’il s’agit d’un détournement de la réalité qui se met en place dans des circonstances particulières et qui, jusqu’à un certain point, sert leur équilibre. Ce que révèlent ces situations dramatiques c’est qu’un sujet peut manipuler le réel pour se réconcilier avec lui, pour négocier toutes les ambivalences que la réalité dévoile, toutes les contradictions qu’elle superpose et impose. Et si nous revenons à la banalité du quotidien, il n’est pas rare d’observer les mêmes mécanismes dans des formats moins morbides. Chacun est traversé par ces phénomènes qui sont avant tout des logiques d’adaptation au réel et de sauvegarde narcissique. Qui n’a jamais menti sur ses parents? Sur son travail? Qui n’a jamais été tenté d’embellir sa vie par un petit mensonge sans conséquence? Qui n’a jamais essayé de se valoriser exagérément en arrangeant un peu les faits? Les mots sont faits pour apprivoiser le réel, pour l’intégrer, le métaboliser, le pacifier.» (Revue Sens-Dessous, no 14.)
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