La croyance populaire affuble l’enfant de nombreuses vertus : il symbolise l’innocence, l’angélisme, l’insouciance, l’authenticité, la spontanéité et avec J -J. Rousseau, il possède la bonté. Dans L’Émile ou de l’éducation il donne la recommandation suivante : «Aimez l’enfance : favorisez ses jeux, ses plaisirs, son aimable instinct. Qui de vous n’a pas regretté quelquefois cet âge où le rire est toujours sur les lèvres et où l’âme est toujours en paix ?». Le dicton populaire certifie même que la vérité sort de la bouche des enfants.
Qu’en est-il de cette idéalisation de «l’âge tendre» ? Si l’on fait l’effort de se rappeler sa propre enfance, y voit-on son «âme toujours en paix et le rire toujours sur les lèvres» ? N’y retrouve-t-on pas des peines et des souffrances muettes, masquées derrière un sourire de convenance ? N’a-t-on jamais, enfant, dissimulé un doute sur la sincérité parentale ? Jamais menti ?
Le sociologue Michel Fize cite le témoignage que lui a confié Hector, un adulte de trente-huit ans : «J’ai passé toute mon enfance à mentir. C’était une suite de petits mensonges qui étaient essentiellement destinés à offrir à mes parents une image d’enfant idéal. Je vivais avec l’impression permanente qu’ils attendaient de moi quelque chose que je ne pouvais pas leur donner et je voulais les protéger de la réalité, de ma réalité. Le problème c’est que ma mère est pire que Sherlock Holmes. Elle questionnait tout le monde autour de moi, fouillait dans mes affaires… J’avais l’impression de ne pas avoir ma propre pensée.»
Non seulement le mensonge existe chez l’enfant mais son apparition est le signe d’une maturation de son développement psychique. Le psychanalyste D. Winnicott pense que le mensonge d’un enfant vise à interpeller l’adulte pour que ce dernier prête plus d’attention aux conflits ou aux souffrances qui le tourmentent et qui, autrement, resteraient non résolus. L’enfant manifeste ainsi un désir paradoxal : (re)créer un lien avec les autres tout en s’en éloignant, en s’en cachant. Ce qui fait dire au psychanalyste cette phrase absolument géniale : « Se cacher est un plaisir, ne pas être trouvé est une catastrophe » !
Tout se passe comme si, pour une grande majorité des parents, l’enfant devait leur être transparent, totalement accessible à leur perception. Rien de son univers ne devrait leur échapper. Beaucoup sont dans l’illusion « qu’ils connaissent leur enfant comme leur poche ». Mais l’enfant, dans son désir spontané d’autonomie, tend à sortir de la confusion que cette emprise crée. Ils lui font croire qu’ils peuvent lire dans ses pensées, dans son esprit, sur son front ou sur son ongle, exerçant ainsi une redoutable manipulation de son psychisme. Pour sortir de cet état de passivité, pour briser la confusion et initier une séparation en tout point nécessaire pour l’acquisition de son indépendance, il recourt alors au mensonge. L’enfant sait que ce qu’il dit est faux et c’est ce savoir même qui lui donne le sentiment qu’il n’est pas impuissant face aux parents. Il en retire même du plaisir. Les parents ont du mal à comprendre, encore moins à accepter, ce processus de construction subjective. Pour beaucoup, le mensonge de l’enfant apparait comme un écart moral repréhensible, une trahison d’un pacte de confiance imaginaire qui suppose que rien ne soit caché par l’enfant, qu’il doit tout dire sans omission, que son monde leur soit accessible en permanence. Ils se retrouvent ainsi non seulement avec une exigence impossible à satisfaire mais ils se heurtent au désir légitime et indispensable de l’enfant de se soustraire à leur volonté intrusive en créant une intériorité secrète, une sorte de jardin secret qui le préserve de la toute-puissance parentale. Ainsi peut-il vérifier qu’il peut avoir des pensées intimes qu’il peut garder pour lui et ajuster ses mimiques faciales pour ne pas se trahir.
L’enfant a non seulement droit au secret mais c’est la condition pour penser, souligne la psychanalyste Piera Aulagnier. Cela l’aidera également à découvrir la bonne distance avec les adultes : s’en rapprocher au moyen d’un échange langagier vrai, s’en éloigner pour se préserver d’une conduite intrusive angoissante. C’est ce qu’illustre la fable suivante racontée par S. Freud : « Un jour d’hiver glacial, les porcs-épics d’un troupeau se serrèrent les uns contre les autres, afin de se protéger contre le froid par la chaleur réciproque. Mais, douloureusement gênés par les piquants, ils ne tardèrent pas à s’écarter de nouveau les uns des autres. Obligés de se rapprocher de nouveau, en raison du froid persistant, ils éprouvèrent une fois de plus l’action désagréable des piquants, et ces alternatives de rapprochement et d’éloignement durèrent jusqu’à ce qu’ils aient trouvé une distance convenable où ils se sentirent à l’abri des maux. ». Comme les porcs-épics, l’enfant ressent le besoin vital de se sentir proche de ses parents mais en même temps leur emprise lui apparait excessive ou insupportable. Le mensonge lui octroie le moyen de découvrir la distance convenable pour la préservation de son intimité.
Avant de s’offusquer du mensonge d’un enfant, les adultes doivent en rechercher les mobiles. Et ceux-ci sont toujours liés à l’interaction avec son environnement d’abord familial. Car, souvent, c’est par les parents que l’enfant fait connaissance avec le mensonge, notamment lorsqu’ils donnent des recommandations morales telles que « Ne mens pas », « c’est interdit de frapper, d’être violent » et qu’ils ne s’appliquent pas ces préceptes à eux-mêmes.
Pour exiger des enfants la sincérité ou l’authenticité, l’adulte doit d’abord en montrer l’exemple.
Qu’en est-il de cette idéalisation de «l’âge tendre» ? Si l’on fait l’effort de se rappeler sa propre enfance, y voit-on son «âme toujours en paix et le rire toujours sur les lèvres» ? N’y retrouve-t-on pas des peines et des souffrances muettes, masquées derrière un sourire de convenance ? N’a-t-on jamais, enfant, dissimulé un doute sur la sincérité parentale ? Jamais menti ?
Le sociologue Michel Fize cite le témoignage que lui a confié Hector, un adulte de trente-huit ans : «J’ai passé toute mon enfance à mentir. C’était une suite de petits mensonges qui étaient essentiellement destinés à offrir à mes parents une image d’enfant idéal. Je vivais avec l’impression permanente qu’ils attendaient de moi quelque chose que je ne pouvais pas leur donner et je voulais les protéger de la réalité, de ma réalité. Le problème c’est que ma mère est pire que Sherlock Holmes. Elle questionnait tout le monde autour de moi, fouillait dans mes affaires… J’avais l’impression de ne pas avoir ma propre pensée.»
Non seulement le mensonge existe chez l’enfant mais son apparition est le signe d’une maturation de son développement psychique. Le psychanalyste D. Winnicott pense que le mensonge d’un enfant vise à interpeller l’adulte pour que ce dernier prête plus d’attention aux conflits ou aux souffrances qui le tourmentent et qui, autrement, resteraient non résolus. L’enfant manifeste ainsi un désir paradoxal : (re)créer un lien avec les autres tout en s’en éloignant, en s’en cachant. Ce qui fait dire au psychanalyste cette phrase absolument géniale : « Se cacher est un plaisir, ne pas être trouvé est une catastrophe » !
Tout se passe comme si, pour une grande majorité des parents, l’enfant devait leur être transparent, totalement accessible à leur perception. Rien de son univers ne devrait leur échapper. Beaucoup sont dans l’illusion « qu’ils connaissent leur enfant comme leur poche ». Mais l’enfant, dans son désir spontané d’autonomie, tend à sortir de la confusion que cette emprise crée. Ils lui font croire qu’ils peuvent lire dans ses pensées, dans son esprit, sur son front ou sur son ongle, exerçant ainsi une redoutable manipulation de son psychisme. Pour sortir de cet état de passivité, pour briser la confusion et initier une séparation en tout point nécessaire pour l’acquisition de son indépendance, il recourt alors au mensonge. L’enfant sait que ce qu’il dit est faux et c’est ce savoir même qui lui donne le sentiment qu’il n’est pas impuissant face aux parents. Il en retire même du plaisir. Les parents ont du mal à comprendre, encore moins à accepter, ce processus de construction subjective. Pour beaucoup, le mensonge de l’enfant apparait comme un écart moral repréhensible, une trahison d’un pacte de confiance imaginaire qui suppose que rien ne soit caché par l’enfant, qu’il doit tout dire sans omission, que son monde leur soit accessible en permanence. Ils se retrouvent ainsi non seulement avec une exigence impossible à satisfaire mais ils se heurtent au désir légitime et indispensable de l’enfant de se soustraire à leur volonté intrusive en créant une intériorité secrète, une sorte de jardin secret qui le préserve de la toute-puissance parentale. Ainsi peut-il vérifier qu’il peut avoir des pensées intimes qu’il peut garder pour lui et ajuster ses mimiques faciales pour ne pas se trahir.
L’enfant a non seulement droit au secret mais c’est la condition pour penser, souligne la psychanalyste Piera Aulagnier. Cela l’aidera également à découvrir la bonne distance avec les adultes : s’en rapprocher au moyen d’un échange langagier vrai, s’en éloigner pour se préserver d’une conduite intrusive angoissante. C’est ce qu’illustre la fable suivante racontée par S. Freud : « Un jour d’hiver glacial, les porcs-épics d’un troupeau se serrèrent les uns contre les autres, afin de se protéger contre le froid par la chaleur réciproque. Mais, douloureusement gênés par les piquants, ils ne tardèrent pas à s’écarter de nouveau les uns des autres. Obligés de se rapprocher de nouveau, en raison du froid persistant, ils éprouvèrent une fois de plus l’action désagréable des piquants, et ces alternatives de rapprochement et d’éloignement durèrent jusqu’à ce qu’ils aient trouvé une distance convenable où ils se sentirent à l’abri des maux. ». Comme les porcs-épics, l’enfant ressent le besoin vital de se sentir proche de ses parents mais en même temps leur emprise lui apparait excessive ou insupportable. Le mensonge lui octroie le moyen de découvrir la distance convenable pour la préservation de son intimité.
Avant de s’offusquer du mensonge d’un enfant, les adultes doivent en rechercher les mobiles. Et ceux-ci sont toujours liés à l’interaction avec son environnement d’abord familial. Car, souvent, c’est par les parents que l’enfant fait connaissance avec le mensonge, notamment lorsqu’ils donnent des recommandations morales telles que « Ne mens pas », « c’est interdit de frapper, d’être violent » et qu’ils ne s’appliquent pas ces préceptes à eux-mêmes.
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