La réouverture du dossier de l’attentat du Drakkar (octobre 1983 à Beyrouth) met mal à l'aise la justice libanaise, à cause du message implicite qu'elle envoie, d'autant que l’Iran et le Hezbollah avaient été pointés du doigt dans cette affaire.
La requête est pour le moins surprenante, de par son contenu et son timing: la justice libanaise a reçu récemment une demande d'assistance judiciaire de la part des autorités françaises, qui demandent à interroger des individus soupçonnés d’implication dans l’affaire de l’attentat suicide du 23 octobre 1983, contre le poste français Drakkar, à Ramlet el-Bayda, dans la partie sud-ouest de Beyrouth. Cinquante-huit parachutistes français et la famille libanaise du gardien avaient péri dans l’explosion.
Dans sa note, la France insiste sur «la communication des résultats de l’enquête pour agir en conséquence».
La «requête mystère» signée par le procureur général de Paris, qui demande l’assistance du Liban dans le cadre de l’enquête autour de cet attentat, est parvenue mercredi, au bureau du procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate.
Selon une source officielle digne de confiance, la demande a été «enregistrée auprès du greffe du Parquet». Le procureur n’avait pas pris connaissance tout de suite de son contenu», selon la même source. La demande d'interrogatoire concerne deux individus, Youssef Khalil et Sanaa Khalil, soupçonnés d’avoir collaboré avec d’autres dans l’attaque contre le Drakkar.
Dans la forme, la requête française ne constitue pas un précédent et ne déroge pas aux clauses de la convention d’entraide judiciaire signée entre les deux pays, mais comporte des implications politiques – et probablement sécuritaires – dans une période particulièrement délicate pour le Liban.
Elle revêt une importance particulière, dans la mesure où elle intervient alors que le Liban peine depuis plus de cinq mois à élire un nouveau président de la République. Elle intervient aussi alors que l'enquête sur l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, qui constitue un des défis majeurs dans le contexte actuel, est bloquée à cause des nombreux efforts politiques déployés depuis plus d’un an pour empêcher le juge d’instruction Tarek Bitar de la poursuivre.
Toute personne familière avec les principes d'échange d'informations et les procédures régissant les commissions rogatoires analyserait donc avec pertinence la symbolique de la demande française qui met mal à l'aise la justice libanaise, non seulement parce qu'elle rappelle un crime commis il y a de cela quarante ans, mais aussi pour le message implicite qu'elle envoie.
Selon la même source officielle, la requête est claire et met l'accent sur la nécessité de convoquer deux individus dont l'identité n'est que partiellement révélée, et qui sont jusque-là inconnus de la justice. Leur nationalité et les charges retenues contre eux ne sont pas non plus précisées.
Il ne fait aucun doute que l’initiative française embarrasse au plus haut point la justice libanaise. Elle ne fera qu'exacerber la crise qu'elle traverse, sachant que l'attentat contre les parachutistes français tombe, d’un point de vue judiciaire, sous le coup de la prescription. En l'occurrence, il n'est plus possible de relancer l'enquête, quarante ans plus tard, surtout que les parties concernées s’en étaient abstenues au cours des quarante dernières années.
Partant de ce constat, on s’interroge, de même source, sur le point de savoir si l’initiative française représente un moyen de pression politique. On essaie aussi de déterminer à qui en particulier s’adresserait le message français, qui intervient quelques semaines après la réunion qu’ont tenue à Paris, le 6 février, des représentants des cinq États qui suivent de près le dossier libanais, à savoir la France, les États-Unis, l’Arabie saoudite, l’Égypte et le Qatar.
Il serait intéressant de rappeler à ce propos que l’attentat de 1983 contre les parachutistes français n’était pas un acte isolé mais s’inscrivait dans un plan plus large visant les forces multinationales présentes à l’époque au Liban. Il avait été perpétré moins d’une heure après l'attentat contre le QG des Marines américains situé dans la même zone, tuant 241 soldats américains.
Ce jour-là, un groupe qui avait pris pour nom le «Mouvement du jihad islamique» avait revendiqué les deux attaques, avec comme objectif avoué «l’expulsion des forces multinationales». Son chef, Hussein Moussaoui, avait confirmé à l’époque les liens de ce groupe terroriste avec l’Iran.
Paris et Washington avaient par la suite accusé le Hezbollah et l’Iran d’être les commanditaires des deux opérations terroristes. Washington avait en particulier accusé Imad Moghniyé, chef militaire du Hezbollah, d'avoir planifié et exécuté les deux attaques.
Les États-Unis avaient en outre indiqué que «tous les individus recherchés pour le double attentat sont des cadres du Hezbollah».
À la fin des années 90, la justice libanaise avait pris la décision de clore le dossier en évoquant la prescription «pour des crimes commis quinze ans plus tôt». Des observateurs avaient cependant considéré à l’époque que la décision «avait été prise sous l’influence de la Syrie qui exerçait un contrôle total sur tous les aspects du pouvoir au Liban, dont le corps judiciaire».
La requête française risque fort de subir le même sort, dans la mesure où le Liban ne peut pas se permettre aujourd’hui de rouvrir les dossiers de la guerre civile, qui pourraient commencer par l’affaire du Drakkar et s’étendre aux enlèvements d'otages et d'ambassadeurs étrangers, ce qui placerait le pays sous une nouvelle tutelle judiciaire.
Quoi qu’il en soit, d’après la même source, un lien existerait entre la requête française et «la contribution récente de la France et d’autres États aux dossiers financiers, l’enquête bloquée sur l’explosion du port de Beyrouth ou encore la volonté européenne de participer à l’enquête menée au sujet des attaques contre les patrouilles de la Finul opérant au sud du Liban». La dernière en date était l’embuscade contre un détachement du contingent irlandais dans le village d’al-Aaqibiya, qui avait coûté la vie à un Casque bleu.
Tout ce qui précède justifie la question de savoir si le Liban est ou non en phase d’être placé sous tutelle étrangère.
* Houna Loubnan
La requête est pour le moins surprenante, de par son contenu et son timing: la justice libanaise a reçu récemment une demande d'assistance judiciaire de la part des autorités françaises, qui demandent à interroger des individus soupçonnés d’implication dans l’affaire de l’attentat suicide du 23 octobre 1983, contre le poste français Drakkar, à Ramlet el-Bayda, dans la partie sud-ouest de Beyrouth. Cinquante-huit parachutistes français et la famille libanaise du gardien avaient péri dans l’explosion.
Dans sa note, la France insiste sur «la communication des résultats de l’enquête pour agir en conséquence».
La «requête mystère» signée par le procureur général de Paris, qui demande l’assistance du Liban dans le cadre de l’enquête autour de cet attentat, est parvenue mercredi, au bureau du procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate.
Selon une source officielle digne de confiance, la demande a été «enregistrée auprès du greffe du Parquet». Le procureur n’avait pas pris connaissance tout de suite de son contenu», selon la même source. La demande d'interrogatoire concerne deux individus, Youssef Khalil et Sanaa Khalil, soupçonnés d’avoir collaboré avec d’autres dans l’attaque contre le Drakkar.
Dans la forme, la requête française ne constitue pas un précédent et ne déroge pas aux clauses de la convention d’entraide judiciaire signée entre les deux pays, mais comporte des implications politiques – et probablement sécuritaires – dans une période particulièrement délicate pour le Liban.
Elle revêt une importance particulière, dans la mesure où elle intervient alors que le Liban peine depuis plus de cinq mois à élire un nouveau président de la République. Elle intervient aussi alors que l'enquête sur l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, qui constitue un des défis majeurs dans le contexte actuel, est bloquée à cause des nombreux efforts politiques déployés depuis plus d’un an pour empêcher le juge d’instruction Tarek Bitar de la poursuivre.
Toute personne familière avec les principes d'échange d'informations et les procédures régissant les commissions rogatoires analyserait donc avec pertinence la symbolique de la demande française qui met mal à l'aise la justice libanaise, non seulement parce qu'elle rappelle un crime commis il y a de cela quarante ans, mais aussi pour le message implicite qu'elle envoie.
Selon la même source officielle, la requête est claire et met l'accent sur la nécessité de convoquer deux individus dont l'identité n'est que partiellement révélée, et qui sont jusque-là inconnus de la justice. Leur nationalité et les charges retenues contre eux ne sont pas non plus précisées.
Il ne fait aucun doute que l’initiative française embarrasse au plus haut point la justice libanaise. Elle ne fera qu'exacerber la crise qu'elle traverse, sachant que l'attentat contre les parachutistes français tombe, d’un point de vue judiciaire, sous le coup de la prescription. En l'occurrence, il n'est plus possible de relancer l'enquête, quarante ans plus tard, surtout que les parties concernées s’en étaient abstenues au cours des quarante dernières années.
Partant de ce constat, on s’interroge, de même source, sur le point de savoir si l’initiative française représente un moyen de pression politique. On essaie aussi de déterminer à qui en particulier s’adresserait le message français, qui intervient quelques semaines après la réunion qu’ont tenue à Paris, le 6 février, des représentants des cinq États qui suivent de près le dossier libanais, à savoir la France, les États-Unis, l’Arabie saoudite, l’Égypte et le Qatar.
Il serait intéressant de rappeler à ce propos que l’attentat de 1983 contre les parachutistes français n’était pas un acte isolé mais s’inscrivait dans un plan plus large visant les forces multinationales présentes à l’époque au Liban. Il avait été perpétré moins d’une heure après l'attentat contre le QG des Marines américains situé dans la même zone, tuant 241 soldats américains.
Ce jour-là, un groupe qui avait pris pour nom le «Mouvement du jihad islamique» avait revendiqué les deux attaques, avec comme objectif avoué «l’expulsion des forces multinationales». Son chef, Hussein Moussaoui, avait confirmé à l’époque les liens de ce groupe terroriste avec l’Iran.
Paris et Washington avaient par la suite accusé le Hezbollah et l’Iran d’être les commanditaires des deux opérations terroristes. Washington avait en particulier accusé Imad Moghniyé, chef militaire du Hezbollah, d'avoir planifié et exécuté les deux attaques.
Les États-Unis avaient en outre indiqué que «tous les individus recherchés pour le double attentat sont des cadres du Hezbollah».
À la fin des années 90, la justice libanaise avait pris la décision de clore le dossier en évoquant la prescription «pour des crimes commis quinze ans plus tôt». Des observateurs avaient cependant considéré à l’époque que la décision «avait été prise sous l’influence de la Syrie qui exerçait un contrôle total sur tous les aspects du pouvoir au Liban, dont le corps judiciaire».
La requête française risque fort de subir le même sort, dans la mesure où le Liban ne peut pas se permettre aujourd’hui de rouvrir les dossiers de la guerre civile, qui pourraient commencer par l’affaire du Drakkar et s’étendre aux enlèvements d'otages et d'ambassadeurs étrangers, ce qui placerait le pays sous une nouvelle tutelle judiciaire.
Quoi qu’il en soit, d’après la même source, un lien existerait entre la requête française et «la contribution récente de la France et d’autres États aux dossiers financiers, l’enquête bloquée sur l’explosion du port de Beyrouth ou encore la volonté européenne de participer à l’enquête menée au sujet des attaques contre les patrouilles de la Finul opérant au sud du Liban». La dernière en date était l’embuscade contre un détachement du contingent irlandais dans le village d’al-Aaqibiya, qui avait coûté la vie à un Casque bleu.
Tout ce qui précède justifie la question de savoir si le Liban est ou non en phase d’être placé sous tutelle étrangère.
* Houna Loubnan
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