Habituellement, il faut accepter l'éloignement prolongé, la promiscuité, les horaires interminables. Désormais, il y a aussi les contraintes sanitaires. A bord de la frégate Auvergne qui croise en mer Noire, l'équipage aura passé les fêtes sous l'épée de Damoclès du Covid-19.
Mais le spectre d'une contamination est lourd : "il suffit qu'il y en ait un ou deux qui le chopent et on est soumis à une septaine en rentrant avant de retrouver la famille".
Le capitaine de frégate Pierre-Alban (seul son prénom est publiable), commandant-en-second de l'Auvergne, supervise ce combat indispensable. Au briefing quotidien avec les officiers, il le martèle sèchement: "on fait attention et on le rappelle aux équipes".
"On est garant de la défense de la France, on doit faire en sorte que le bâtiment soit disponible", explique-t-il à l'AFP. "On est censé pouvoir mourir un jour pour la France. Il ne faut pas trop se regarder le nombril. C'est plus dur pour les mères ou pères de famille, qui travaillent et sont seuls avec les enfants" à terre.
Son expérience sur le dossier est riche. Début 2020, il embarque sur le porte-hélicoptères amphibie (PHA) Tonnerre, direction l'Océan indien. "On passe (le canal de) Suez et ça commence à exploser en France", se souvient-il. "On devait faire une dizaine d'escales, tout a été chamboulé".
De son propre aveu, il devient alors "un extrémiste du Covid". Un marin de métropole se réjouissait de revoir son fils resté à la Réunion. Mais lors de l'escale, il a été soumis aux "mêmes règles que les autres: un mètre de distance entre l'enfant et lui, derrière une grille".
Depuis, l'officier supérieur n'a plus lâché ce dossier qui, comme à terre, évolue en fonction des connaissances scientifiques de la maladie et des variants qui rythment la pandémie.
Sa première mission après son déclenchement s'est déroulée sans sortie à terre. Lors de la seconde, une "bulle sanitaire" a été mise en place aux escales via la privatisation de plages, d'hôtels ou de musées. La troisième, sur l'Auvergne, est encore différente: le personnel est vacciné.
"L'idée aujourd'hui sur les bateaux n'est pas de minimiser les choses, mais de prendre vite les mesures nécessaires et de continuer à travailler comme si de rien n'était. Il y a deux ans, on rentrait à quai", rappelle-t-il.
A chaque navire ses contraintes: sur certains, les marins dorment dans des cabines à 30 ou à 40. Et sur la plupart, de conception plus ancienne, il est impossible d'isoler la ventilation des espaces comme peut le faire l'Auvergne.
Partout, les procédures sont cadrées entre le Service de santé des armées (SSA), le commandant de la zone maritime concernée et la direction du navire. Un processus mis en place notamment après la contamination controversée, en 2020, des deux-tiers de l'équipage du porte-avions français Charles-de-Gaulle.
Mais il y a le cadre et il y a les marins. La règle et la réalité. Et lorsque le Dr. Diane, médecin-en-chef de la frégate, décrit son quotidien, elle évoque d'elle même la psychologie, l'équilibre mental, le registre du discours.
"Le vaccin est faussement rassurant parce que psychologiquement, ça incite les gens à relâcher les mesures barrières", constate-t-elle. Et en mer, l'attention aux gestes barrières diminue progressivement. "C'est normal, c'est humain".
Du coup, les rappels à l'ordre sont finement dosés. "Il faut garder de l'humour, de la distance. La culpabilité peut marcher, mais ça pèse sur les marins" estime-t-elle. "Il faut arriver à ce que (le militaire) adhère aux mesures de prévention qu'on lui propose".
Au moment des fêtes, l'équipe se focalise sur des détails. Une attention, un sourire, une conversation. Et ce cadeau qui, à terre, passerait inaperçu. "Je suis enfermée ici. Si je reçois une boite de chocolat de la part de mon mari, c'est grand-chose", explique Tatiana, la Wallisienne.
"A bord d'un bateau, les petites choses comptent vraiment".
AFP
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