Pour écrire ma chronique postlecture de l’ouvrage de Jean-Paul Enthoven Les Raisons du cœur, il me fallait flirter avec le danger, pour être au plus près de ce qu’il a vécu; ces moments où nous nous trouvons dans un entre-deux, vie, maladie, mort, rémission… des moments fiévreux à l’issue desquels notre sort pourrait basculer vers le meilleur ou vers le pire. Attendre les résultats d’un test PCR en plein boum du dernier variant Covid en date n’est pas comparable avec un pronostic vital comme l'a été le sien, mais l’idée du danger que comporte la maladie y est.
J’ai lu Les Raisons du cœur au compte-goutte, au moment où Ici Beyrouth devait être lancé et où je n’avais pas le temps de faire autre chose que de me dédier à la partie qui me concernait au sein de ce nouveau média francophone qui voyait le jour – en dépit de tout – depuis Beyrouth, ville de toutes les surprises: les mauvaises comme les bonnes. Le livre a atterri chez moi au sens littéral du terme puisqu’il est venu en avion depuis Paris. J’ai entamé sa lecture dès que je l’ai eu entre les mains, tentant de m’octroyer quelques récrés, à coup de 4 à 5 pages par jour. Terriblement frustrant, surtout que – comme tout ce qui prend vie sous la plume de JPE – l’ouvrage est scotchant. On s’y aimante si fort qu’il est difficile de s’en détacher. Ce récit a été rédigé par une plume trempée dans les tréfonds de son cœur malmené. Pour la première fois sans doute, l’écrivain, pour qui la mort était un concept autour duquel il badinait, devenait probabilité cruelle.
Françoise Sagan, Michel Berger, Proust, «LesVies», et les autres…
C’est justement cette confrontation avec la camarde, proche d’un duel, qui a fait de cet ouvrage un bijou au sein duquel l’auteur a mis en scène des défunts célèbres avec lesquels il s’entretenait, les affublant de pseudos cousus-plume ou dévoilant leur nom, dans cette crudité qui lui est propre. Il passe en revue sa vie, la familiale dont une partie lui a littéralement brisé le cœur, lorsque son aîné, qui était son double, et qu’il chérissait par-dessus tout, a fait une crise d’adolescence tardive. Non pas par une simple poussée d’acné juvénile, mais en publiant un ouvrage dans lequel il fracassait l’image de ce père auparavant adulé. Injuste. Terriblement injuste. Décevant surtout. Le meurtre du père de la horde primitive est un concept freudien symbolique. De là à viser sciemment la carotide du paternel, il y a de quoi s’inquiéter pour l’équilibre psychique du fils. Mais bon, les règlements de compte ne sont pas à l’ordre du jour de ce papier, même si mon parti pris pour le papa est non négociable.
Une empathie d'une sincérité rare...
Ce que j’ai surtout perçu, c’est la sincérité d’un homme qui se met à nu, qui devient profondément humain, qui a peur, qui fait de l’empathie sa devise première. Tout cela transpire non seulement à travers son récit, mais aussi dans sa réponse à un mail que je lui avais envoyé, lui demandant – en ignorant totalement ce par quoi il était passé – d’écrire un mot d’encouragement pour Ici Beyrouth. Sa réponse a été bien au-delà de mes attentes, son engagement aussi, puisqu'il a proposé d'emblée un titre au sein de notre rédaction pour une chronique mensuelle! Désormais «L’air de Paris» allait insuffler de l’oxygène à une ville en apnée.
Pour moi, il n’y avait plus aucun doute: Jean-Paul Enthoven est bel et bien doté d’un cœur nouveau grand comme le monde; ce monde qu’il parcourt avec l’intensité de ceux qui ont compris que la vie – sa «Vita» c’est ici et maintenant, et qu’il fallait l’embrasser comme on accueille un miracle et la chérir jusqu’à la fin des temps.
Cet ouvrage est un chef-d’œuvre de prouesses linguistiques mais aussi d’esquives, de volte-face, d’allers-retours entre les vies et les morts, les grandes comme les petites, des vies dans des vies. On y trouve des régressions infantiles comme un «youpi» qui fuse au détour d'une page, et surtout des pépites, des «mots-titres» qui donneraient vie à plusieurs dizaines de romans. Et ça, ça s’appelle du génie. Ça s’appelle aussi «renvoyer la balle»… de tennis!
Les Raisons du cœur de Jean-Paul Enthoven, Grasset, 2021, 201 p.
PS: Bonne Année JPE!
J’ai lu Les Raisons du cœur au compte-goutte, au moment où Ici Beyrouth devait être lancé et où je n’avais pas le temps de faire autre chose que de me dédier à la partie qui me concernait au sein de ce nouveau média francophone qui voyait le jour – en dépit de tout – depuis Beyrouth, ville de toutes les surprises: les mauvaises comme les bonnes. Le livre a atterri chez moi au sens littéral du terme puisqu’il est venu en avion depuis Paris. J’ai entamé sa lecture dès que je l’ai eu entre les mains, tentant de m’octroyer quelques récrés, à coup de 4 à 5 pages par jour. Terriblement frustrant, surtout que – comme tout ce qui prend vie sous la plume de JPE – l’ouvrage est scotchant. On s’y aimante si fort qu’il est difficile de s’en détacher. Ce récit a été rédigé par une plume trempée dans les tréfonds de son cœur malmené. Pour la première fois sans doute, l’écrivain, pour qui la mort était un concept autour duquel il badinait, devenait probabilité cruelle.
Françoise Sagan, Michel Berger, Proust, «LesVies», et les autres…
C’est justement cette confrontation avec la camarde, proche d’un duel, qui a fait de cet ouvrage un bijou au sein duquel l’auteur a mis en scène des défunts célèbres avec lesquels il s’entretenait, les affublant de pseudos cousus-plume ou dévoilant leur nom, dans cette crudité qui lui est propre. Il passe en revue sa vie, la familiale dont une partie lui a littéralement brisé le cœur, lorsque son aîné, qui était son double, et qu’il chérissait par-dessus tout, a fait une crise d’adolescence tardive. Non pas par une simple poussée d’acné juvénile, mais en publiant un ouvrage dans lequel il fracassait l’image de ce père auparavant adulé. Injuste. Terriblement injuste. Décevant surtout. Le meurtre du père de la horde primitive est un concept freudien symbolique. De là à viser sciemment la carotide du paternel, il y a de quoi s’inquiéter pour l’équilibre psychique du fils. Mais bon, les règlements de compte ne sont pas à l’ordre du jour de ce papier, même si mon parti pris pour le papa est non négociable.
Une empathie d'une sincérité rare...
Ce que j’ai surtout perçu, c’est la sincérité d’un homme qui se met à nu, qui devient profondément humain, qui a peur, qui fait de l’empathie sa devise première. Tout cela transpire non seulement à travers son récit, mais aussi dans sa réponse à un mail que je lui avais envoyé, lui demandant – en ignorant totalement ce par quoi il était passé – d’écrire un mot d’encouragement pour Ici Beyrouth. Sa réponse a été bien au-delà de mes attentes, son engagement aussi, puisqu'il a proposé d'emblée un titre au sein de notre rédaction pour une chronique mensuelle! Désormais «L’air de Paris» allait insuffler de l’oxygène à une ville en apnée.
Pour moi, il n’y avait plus aucun doute: Jean-Paul Enthoven est bel et bien doté d’un cœur nouveau grand comme le monde; ce monde qu’il parcourt avec l’intensité de ceux qui ont compris que la vie – sa «Vita» c’est ici et maintenant, et qu’il fallait l’embrasser comme on accueille un miracle et la chérir jusqu’à la fin des temps.
Cet ouvrage est un chef-d’œuvre de prouesses linguistiques mais aussi d’esquives, de volte-face, d’allers-retours entre les vies et les morts, les grandes comme les petites, des vies dans des vies. On y trouve des régressions infantiles comme un «youpi» qui fuse au détour d'une page, et surtout des pépites, des «mots-titres» qui donneraient vie à plusieurs dizaines de romans. Et ça, ça s’appelle du génie. Ça s’appelle aussi «renvoyer la balle»… de tennis!
Les Raisons du cœur de Jean-Paul Enthoven, Grasset, 2021, 201 p.
PS: Bonne Année JPE!
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